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Le possédé

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  • Le possédé

    L’homme était sexagénaire. Et il voulait me voir d’urgence. Toute affaire cessante. J’étais pris la journée. Pas de problème, il me verra la nuit, à minuit s’il le fallait ou même à l’aube. Il avait le débit pressé et stressé lui qui habituellement me faisait bailler avec sa lenteur. Il occupait une haute fonction. Et je pensais bêtement qu’il avait besoin de l’aide du journaliste.

    Je le vis à la tombée de la nuit. C’était un fantôme : maigre, hagard, les yeux cernés. Je le crus gravement malade. Il confirma. Il était atteint du mal d’amour. Aïe. Il voulait mon aide. Mais que puis-je ? Je n’étais ni psy, ni guérisseur, ni m’rabet. Il m’expliqua la voix éteinte qu’il n’avait personne à qui se confier et qu’un écrivain a réponse à tout ! Mythe.

    Il m’expliqua son problème. Sa chérie l’avait plaqué brutalement alors qu’il lui avait tout donné, tout acheté. Il est dévasté, blessé à mort par cette rupture. Comment faire pour récupérer la sans-cœur ? J’essayais d’abord de le consoler de cet amour qui le bouffait tout entier lui citant Comte-Sponville : “La passion ne peut durer que dans le malheur ; inévitablement le bonheur y met fin.” C’est inévitable : la fadeur du quotidien tue l'amour. On n’aime jamais sereinement et si on est serein c’est qu’on n’aime déjà plus. L’amour est angoisse, l’amour est peur, l’amour est jalousie, l’amour est servitude.

    Sourd, il murmura : “Elle me manque !” Il me fallait trouver les mots qui pouvaient le calmer, en attendant l'hypothétique retour de la cruelle. J’ai fait appel à la philosophie qui proscrit l’amour source de trouble de l’âme. J’ai appelé en renfort Marc Aurèle et son analyse des représentations qu’il préconise d’appliquer sur les choses et les êtres pour les vider de leur pouvoir de séduction. “Songe, lui-dis-je, à ce qu’est cette femme : de la chair, des viscères, du sang, de la morve, de l’urine, des excréments, à sa mort de la chair putréfiée et des vers…”

    Il me regardait les yeux ronds puis il balaya ces arguments : “Tu délires ! Ma chérie est une rose, elle embaume ma vie, tu comprends, je veux la récupérer, tu comprends, je n’ai pas envie de la haïr en me créant des répugnances, tu comprends ?” Je comprenais. Durant toute la discussion il ne quittait pas son portable des yeux. Il le prenait de la table, le déposait, le reprenait, le sentait, le caressait… Apparemment, c’est tout ce qui le reliait à elle. Que dire à un homme qui ne voulait pas entendre raison ? Accepter ce qu’on ne peut changer ? Faire le mort en attendant qu’elle revienne, sachant que l’amour ne meurt jamais du manque, mais de la satiété ?

    J’en étais là dans mes pensées quand son téléphone sonna. Il bondit, répondit, disparut. Ne me quitte pas…

    Par : Hamid GRINE- Liberté
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