Par Le Matin
L’entretien accordé par l’ex-général Hocine Benhadid (1) au quotidien El Watan du 12 février 2014 est à la fois instructif et stupéfiant.
Instructif parce qu’il nous informe sur les rouages du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), d’un organisme qui, "(…) ciblé par la Présidence pour l’affaiblir", demeurerait sous les coups de boutoir interlopes d’une cour bouteflikienne "(…) coupable de trahison" tant elle met en péril les bases souveraines du pays de l’Émir Abd-el-Kader en jouant notamment "(…) avec le destin de l’Algérie". La vieille garde de la "Famille révolutionnaire" roulerait dans la farine le premier locataire d’El Mouradia devenu "(…) otage de son entourage, (car) conscient qu’une demi-heure ou une heure par jour". Les rênes du pouvoir seraient entre les mains de son frère Saïd devant lequel "Tout le monde est à plat ventre (…), les ministres, les walis, la police, les hauts responsables, (…)" (2). L’unique adversaire de ce malfaisant est donc le DRS, seule digue protectrice en mesure de contrecarrer le passe-passe du quatrième mandat, de coder les clignotants de la phase terminale et de garer l’invalide sur la bande d’urgence, de le stopper net comme on fige un lapin aux longues oreilles en allumant des phares dirigés droit dans ses yeux. L’ambulance DRS serait à ces titres disposée à dévoiler les mécanismes interlopes d’une corruption qui "(…) a atteint des niveaux dangereux", à livrer le matricule de fraudeurs censés maintenant rendre la carte du crédit et débit illimités alors que depuis la fameuse campagne contre les maux sociaux d’octobre-novembre 1979 très peu d’affaires ont été solutionnées, alors que les commanditaires de l’assassinat de Mohammed Boudiaf dorment en paix pendant que son fils Nacer est dans la pressante obligation de demander des révélations à Ali Haroun, alors que tous les "(…) dossiers d’enquête sont chez les officiers du renseignement"(3), stagnent dans les vieux tiroirs parce que la direction de la police judiciaire (du DRS) a été supprimée. Nous avons vu du reste comment les noms des bénéficiaires de propriétés ou terrains mal acquis, affichés en 1989-90 par colonnes entières dans la presse, se sont ligués pour porter préjudice à l’opération "Mains propres" de Mouloud Hamrouche. Usurpant son slogan "ça passe ou ça casse", ils destitueront le 04 juin 1991 le gouvernement du Premier ministre après avoir volontairement laissé les partisans du FIS (Front islamique du salut)(4) occuper les rues de la capitale.
L’interview d’Hocine Benhadid est aussi stupéfiant de vérité lorsqu’il nous avoue que toutes les élections prétendues "transparentes et honnêtes" sont truquées, que "(…) si le Président peut mener une campagne (…), il serait "élu" par les appareils et l’administration, dans ce cas-là, on le sait ?". Voilà donc un homme aphone, dans l’incapacité physique de se tenir debout et qui pour sauver son fauteuil de monarque absolu chercherait cette fois à pousser le général Mohamed-Lamine Médiène à solliciter une retraite anticipée, une incitation susceptible de "(…) créer des remous dans l’armée, des divisions entre pro et anti-Bouteflika, pro et anti-Toufik…"(5). Faute d’un consensus large fomenté entre les différents clans du sérail, les rivalités au sommet se règlent dans la violence, reconduisent en somme les habituels clivages orchestrés par les pourfendeurs d’espace qui actionnent les antinomies primaires Bien-Mal ou Vrai-Faux pour les arborer aux cimaises d’un cadre dichotomique garant, via la sociologie des conflits, du schisme intérieur-extérieur, et par ailleurs rétablir l’unanimisme d’un "État-Armée-surveillance" à "(…)l’esprit de corps très fort".
À entendre Hocine Benhadid, rien ne peut le déstabiliser, et à fortiori pas une personne malade inapte à "(…) garantir la stabilité (…) instaurée depuis l’ère Zeroual qui a commencé par la loi de la rahma." (6). Mais, si sans aucune contestation, et pour reprendre ici les justes propos de Mohamed Sifaoui, il faut assurément "(…) saluer la trajectoire de quelques officiers, aujourd’hui retraités, et la promotion de certains jeunes cadres dont la réputation ne souffre d’aucune tache et dont le parcours honore l’institution militaire dans son ensemble" (7), il y a aussi lieu de soumettre à Hocine Benhadid cette salve d’interrogations : avez-vous vraiment tirer les leçons de ce "Grand pardon", réalisé le bilan comptable de la Concorde civile afin de savoir si elle n’a pas freiné une réelle montée en modernité, fait perdre quinze années de développement ? Êtes-vous capable de regarder la réalité en face et convenir que le pays va à vau-l’eau comme dériverait la pseudo planche de salut de Harraga en quête du cap salvateur sur leurs radeaux de fortune ? La réconciliation nationale n’est-elle finalement que la coûteuse vague ou lame de fond d’une concession faite aux fous d’Allah (illuminés auxquels de hauts stratèges promettront l’application de lois sclérosantes) avant l’ultime deal que le DRS s’apprête à arranger avec les prétoriens de la Présidence ?
Monsieur Hocine Benhadid et ses compagnons d’armes ont bien heureusement gagné la bataille sur le terrain militaire mais pas celle des idées qui trottinent dans la tête d’islamo-baathistes, tant ces proclamés dépositaires et interprètes de la légitimité révolutionnaire ont malicieusement manipulé la bipolarisation FİS-FLN mise en branle après octobre 1988 pour conforter le maintien de l’Ex-parti unique, rien d’autre en fait que des relents archaïques qui engendreront des ravages au sein des pôles culturels, et parmi ceux-ci le Palais Moufdi Zakaria. L’entretien entrepris en mai 2010 avec Tahar Arezki, alors le directeur de l'"Espace Noûn", nous apprenait que Khalida Toumi aurait au début de son règne fait allégeance à la mouvance islamiste le jour où elle autorisera qu'un homme envoyé par le ministère des Affaires religieuses et des wakfs fasse tourner sept fois un mouton dans la cour centrale de son Panthéon. Souhaitant avoir son avis sur le statut de l'artiste, nous avions alors improvisé une visite qui, menant d’abord au niveau d’un "bureau d'ordre", confortera le point de vue que le ministère de la Culture sert de relais propagandiste à un islamo-nationalisme mêlé de populisme. Depuis la grève insurrectionnelle de 1991 et surtout l'arrêt des élections législatives du 26 décembre 1991, le régime militaro-industriel, qui depuis juillet 1962 a embourbé le pays dans la crise politique, a circonscrit ses plates-bandes ou réserves de changes(8) en laissant en jachère une culture ressortant donc du fait religieux puis révolutionnaire, deux ressorts hypothéqués pendant des mois par la théocratie totalitaire du FİS. Malgré donc sa défaite sur zone, beaucoup de ses injonctions ont imprégné l'esprit des Algériens et par voie et voix de conséquence la société toute entière. Le nombre considérable de hidjab portés dans Alger-la-Blanche fait parti des indices démontrant qu’une certaine moralisation des moeurs pèse de tout son poids dans des cerveaux dorénavant accaparés par le paradigme de "renouveau dans l’authenticité", une renaissance dont les artefacts ou parangons se trouvent au niveau de tout ce qui est antérieur à l’irruption extérieure d’une culture occidentale venue pervertir une intégrité sacrale habituellement exprimée par le sentiment religieux. La référence à des espaces bafoués incitera très tôt nombre d’écrivains et d’artistes à rejeter de la conscience nationale les résidus étrangers, une éradication articulée parallèlement à une tendance consistant à revenir au passé pour rétablir des liens étroits avec une tradition non dépravée. Pour que la modernité artistique puisse être acceptée et intégrée en Algérie, il fallait que les éléments qui la constituent ne soient pas des produits importés mais proviennent d’un retour aux sources, de ce que le Marocain Abdelkébir Khatibi nommera une quête d’ "originéité", une chasse à référer en Algérie à une "plongée fanonienne". Ainsi, le "renouveau dans l’authenticité" procède en propre des aperceptions de Frantz Fanon, celui-ci ayant incité dans Les Damnés de la terre les hommes de culture à dépasser le seuil polémique de la jahilyya (ou jahiliyyah), ce panoptique ténébreux de l’autre substratum. İl ne s’agissait pas alors aux avant-corps de la re-singularisation artistique de retirer du l’humus archétypal une macule indélébile mais de formuler une adéquation "(…) avec la sève la plus ancienne, la plus anté-coloniale de leur Peuple" de manière à ce qu’ils fassent ce tri katébien consistant à choisir entre les bonnes et les mauvaises savates, entre le bon grain et l’ivraie.
Le dépassement de l’assimilation ou acculturation, du conservatisme, de l’histoire, donc des habitus, c’est-à-dire la désaliénation par la dé-singularisation/re-singularisation, c’est la décantation que préconisera le psychanalyste martiniquais afin que les auteurs et créateurs trouvent les fondements de leur modernité artistique non pas en s’agrippant à la perspective linéaire et transgressive des avant-gardes européennes mais en amorçant une subversion avec le déjà là de la domination et violence symbolique, le déjà-là de la peinture orientaliste, le déjà-là du figé dogmatique et de son puritanisme.
L’entretien accordé par l’ex-général Hocine Benhadid (1) au quotidien El Watan du 12 février 2014 est à la fois instructif et stupéfiant.
Instructif parce qu’il nous informe sur les rouages du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), d’un organisme qui, "(…) ciblé par la Présidence pour l’affaiblir", demeurerait sous les coups de boutoir interlopes d’une cour bouteflikienne "(…) coupable de trahison" tant elle met en péril les bases souveraines du pays de l’Émir Abd-el-Kader en jouant notamment "(…) avec le destin de l’Algérie". La vieille garde de la "Famille révolutionnaire" roulerait dans la farine le premier locataire d’El Mouradia devenu "(…) otage de son entourage, (car) conscient qu’une demi-heure ou une heure par jour". Les rênes du pouvoir seraient entre les mains de son frère Saïd devant lequel "Tout le monde est à plat ventre (…), les ministres, les walis, la police, les hauts responsables, (…)" (2). L’unique adversaire de ce malfaisant est donc le DRS, seule digue protectrice en mesure de contrecarrer le passe-passe du quatrième mandat, de coder les clignotants de la phase terminale et de garer l’invalide sur la bande d’urgence, de le stopper net comme on fige un lapin aux longues oreilles en allumant des phares dirigés droit dans ses yeux. L’ambulance DRS serait à ces titres disposée à dévoiler les mécanismes interlopes d’une corruption qui "(…) a atteint des niveaux dangereux", à livrer le matricule de fraudeurs censés maintenant rendre la carte du crédit et débit illimités alors que depuis la fameuse campagne contre les maux sociaux d’octobre-novembre 1979 très peu d’affaires ont été solutionnées, alors que les commanditaires de l’assassinat de Mohammed Boudiaf dorment en paix pendant que son fils Nacer est dans la pressante obligation de demander des révélations à Ali Haroun, alors que tous les "(…) dossiers d’enquête sont chez les officiers du renseignement"(3), stagnent dans les vieux tiroirs parce que la direction de la police judiciaire (du DRS) a été supprimée. Nous avons vu du reste comment les noms des bénéficiaires de propriétés ou terrains mal acquis, affichés en 1989-90 par colonnes entières dans la presse, se sont ligués pour porter préjudice à l’opération "Mains propres" de Mouloud Hamrouche. Usurpant son slogan "ça passe ou ça casse", ils destitueront le 04 juin 1991 le gouvernement du Premier ministre après avoir volontairement laissé les partisans du FIS (Front islamique du salut)(4) occuper les rues de la capitale.
L’interview d’Hocine Benhadid est aussi stupéfiant de vérité lorsqu’il nous avoue que toutes les élections prétendues "transparentes et honnêtes" sont truquées, que "(…) si le Président peut mener une campagne (…), il serait "élu" par les appareils et l’administration, dans ce cas-là, on le sait ?". Voilà donc un homme aphone, dans l’incapacité physique de se tenir debout et qui pour sauver son fauteuil de monarque absolu chercherait cette fois à pousser le général Mohamed-Lamine Médiène à solliciter une retraite anticipée, une incitation susceptible de "(…) créer des remous dans l’armée, des divisions entre pro et anti-Bouteflika, pro et anti-Toufik…"(5). Faute d’un consensus large fomenté entre les différents clans du sérail, les rivalités au sommet se règlent dans la violence, reconduisent en somme les habituels clivages orchestrés par les pourfendeurs d’espace qui actionnent les antinomies primaires Bien-Mal ou Vrai-Faux pour les arborer aux cimaises d’un cadre dichotomique garant, via la sociologie des conflits, du schisme intérieur-extérieur, et par ailleurs rétablir l’unanimisme d’un "État-Armée-surveillance" à "(…)l’esprit de corps très fort".
À entendre Hocine Benhadid, rien ne peut le déstabiliser, et à fortiori pas une personne malade inapte à "(…) garantir la stabilité (…) instaurée depuis l’ère Zeroual qui a commencé par la loi de la rahma." (6). Mais, si sans aucune contestation, et pour reprendre ici les justes propos de Mohamed Sifaoui, il faut assurément "(…) saluer la trajectoire de quelques officiers, aujourd’hui retraités, et la promotion de certains jeunes cadres dont la réputation ne souffre d’aucune tache et dont le parcours honore l’institution militaire dans son ensemble" (7), il y a aussi lieu de soumettre à Hocine Benhadid cette salve d’interrogations : avez-vous vraiment tirer les leçons de ce "Grand pardon", réalisé le bilan comptable de la Concorde civile afin de savoir si elle n’a pas freiné une réelle montée en modernité, fait perdre quinze années de développement ? Êtes-vous capable de regarder la réalité en face et convenir que le pays va à vau-l’eau comme dériverait la pseudo planche de salut de Harraga en quête du cap salvateur sur leurs radeaux de fortune ? La réconciliation nationale n’est-elle finalement que la coûteuse vague ou lame de fond d’une concession faite aux fous d’Allah (illuminés auxquels de hauts stratèges promettront l’application de lois sclérosantes) avant l’ultime deal que le DRS s’apprête à arranger avec les prétoriens de la Présidence ?
Monsieur Hocine Benhadid et ses compagnons d’armes ont bien heureusement gagné la bataille sur le terrain militaire mais pas celle des idées qui trottinent dans la tête d’islamo-baathistes, tant ces proclamés dépositaires et interprètes de la légitimité révolutionnaire ont malicieusement manipulé la bipolarisation FİS-FLN mise en branle après octobre 1988 pour conforter le maintien de l’Ex-parti unique, rien d’autre en fait que des relents archaïques qui engendreront des ravages au sein des pôles culturels, et parmi ceux-ci le Palais Moufdi Zakaria. L’entretien entrepris en mai 2010 avec Tahar Arezki, alors le directeur de l'"Espace Noûn", nous apprenait que Khalida Toumi aurait au début de son règne fait allégeance à la mouvance islamiste le jour où elle autorisera qu'un homme envoyé par le ministère des Affaires religieuses et des wakfs fasse tourner sept fois un mouton dans la cour centrale de son Panthéon. Souhaitant avoir son avis sur le statut de l'artiste, nous avions alors improvisé une visite qui, menant d’abord au niveau d’un "bureau d'ordre", confortera le point de vue que le ministère de la Culture sert de relais propagandiste à un islamo-nationalisme mêlé de populisme. Depuis la grève insurrectionnelle de 1991 et surtout l'arrêt des élections législatives du 26 décembre 1991, le régime militaro-industriel, qui depuis juillet 1962 a embourbé le pays dans la crise politique, a circonscrit ses plates-bandes ou réserves de changes(8) en laissant en jachère une culture ressortant donc du fait religieux puis révolutionnaire, deux ressorts hypothéqués pendant des mois par la théocratie totalitaire du FİS. Malgré donc sa défaite sur zone, beaucoup de ses injonctions ont imprégné l'esprit des Algériens et par voie et voix de conséquence la société toute entière. Le nombre considérable de hidjab portés dans Alger-la-Blanche fait parti des indices démontrant qu’une certaine moralisation des moeurs pèse de tout son poids dans des cerveaux dorénavant accaparés par le paradigme de "renouveau dans l’authenticité", une renaissance dont les artefacts ou parangons se trouvent au niveau de tout ce qui est antérieur à l’irruption extérieure d’une culture occidentale venue pervertir une intégrité sacrale habituellement exprimée par le sentiment religieux. La référence à des espaces bafoués incitera très tôt nombre d’écrivains et d’artistes à rejeter de la conscience nationale les résidus étrangers, une éradication articulée parallèlement à une tendance consistant à revenir au passé pour rétablir des liens étroits avec une tradition non dépravée. Pour que la modernité artistique puisse être acceptée et intégrée en Algérie, il fallait que les éléments qui la constituent ne soient pas des produits importés mais proviennent d’un retour aux sources, de ce que le Marocain Abdelkébir Khatibi nommera une quête d’ "originéité", une chasse à référer en Algérie à une "plongée fanonienne". Ainsi, le "renouveau dans l’authenticité" procède en propre des aperceptions de Frantz Fanon, celui-ci ayant incité dans Les Damnés de la terre les hommes de culture à dépasser le seuil polémique de la jahilyya (ou jahiliyyah), ce panoptique ténébreux de l’autre substratum. İl ne s’agissait pas alors aux avant-corps de la re-singularisation artistique de retirer du l’humus archétypal une macule indélébile mais de formuler une adéquation "(…) avec la sève la plus ancienne, la plus anté-coloniale de leur Peuple" de manière à ce qu’ils fassent ce tri katébien consistant à choisir entre les bonnes et les mauvaises savates, entre le bon grain et l’ivraie.
Le dépassement de l’assimilation ou acculturation, du conservatisme, de l’histoire, donc des habitus, c’est-à-dire la désaliénation par la dé-singularisation/re-singularisation, c’est la décantation que préconisera le psychanalyste martiniquais afin que les auteurs et créateurs trouvent les fondements de leur modernité artistique non pas en s’agrippant à la perspective linéaire et transgressive des avant-gardes européennes mais en amorçant une subversion avec le déjà là de la domination et violence symbolique, le déjà-là de la peinture orientaliste, le déjà-là du figé dogmatique et de son puritanisme.
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