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Quinze ans d'immobilité et non de stabilité

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    Quinze ans d'immobilité et non de stabilité



    En économie : gagner de l'argent n'est plus lié au travail. S'enrichir n'est pas s'efforcer. S'endetter n'est pas lié à rembourser. Couper une route, c'est mieux que de s'instruire. Casser, c'est parler. Corrompre, c'est comprendre. En quinze ans, nous avons formé plus d'émeutiers que de maçons. D'ailleurs, la main d'œuvre est chinoise et la main tendue est algérienne. Nous avons une autoroute géante mais nous tournons en rond.

    Sécuritaire : on était moins désespéré pendant la décennie 90 qu'aujourd'hui, paradoxalement. Les Algériens ne meurent plus, mais meurent d'ennui. Ou de volants. Ou de routes. On n'est pas assassiné, mais on se sent au-delà de toute chose. Ni morts, ni vivants. Malades un peu. Assis. AVC pour tous. Convalescents. On est tous des disparus. En quinze ans, le régime a réhabilité le Fis canal populaire, l'islamisme assis, celui des vêtements, des rokias et des zaouïas et de la grande mosquée.

    En politique : quinze ans de règne ont détruit l'APN devenue honteusement analphabète. Le Sénat réduit à un emploi de vieux. On n'a même plus de partis de soutien, ni de partis d'opposition. Le FLN est devenu une danse, le RND une circoncision permanente. Les ministres ont pour but de gagner du temps et de ne jamais décider. Gouverner, c'est attendre. Décider, c'est téléphoner. Prévoir, c'est se souvenir. Les meilleurs ministres algériens sont les ex-ministres. Partir, c'est se soigner. Rester, c'est s'asseoir.

    En culture : c'est de la promotion. Un joueur de tambour est devenu troisième homme de l'Etat. Le premier homme de l'Etat est deux hommes. Le second homme de l'Etat est un frère. Le frère est un Etat. En gros, l'Algérie est passée du progressisme à l'islamisme. De l'inspecteur Tahar à Cheikh Chemssou. De la fête à la fatwa. Il ne reste de la culture que ses budgets et son ministère. Le reste, ce sont des rites.

    En politique étrangère : l'Algérie est une singularité. Une vache à lait noir. Une extension du domaine du forage. Rien n'illustre mieux l'alliance désespérante entre pipeline et sécurité de l'approvisionnement que ces noces douces et tièdes entre notre régime et ses tuteurs. Nous ne sommes pas le centre du monde, ni son origine ni son meilleur ami. En quinze ans, la politique étrangère est un jubilé sans fin pour un homme sans fin.

    La stabilité : c'est ce qu'on vend sous forme de pneus crevés. Ceux qui croient que «Lui» apporte la stabilité se trompent et confondent immobilité et paix. L'homme menace le pays par sa personne, car il le réduit à lui-même. Quand il partira, nous partirons. Il ne veut pas mourir seul, mais nous tous avec lui. Il veut faire du pays sa tombe et d'une tombe tout notre pays.

    La justice : c'est le quatrième opérateur téléphonique durant son règne, après Djezzy, Nedjma, Mobilis et le téléphone de son frère. Le téléphone arabe n'étant plus. Durant son règne, on n'a pas jugé Khelil, ni Khalifa, ni les voleurs, ni El Para, mais les mangeurs du Ramadhan, des convertis chrétiens, des laïcs, des caricaturistes.

    Et à la fin ? On va sortir de cette époque mais sans métier, avec des dettes, sans valeurs, tous gardiens de parkings sauvages, tous corrompus, tous malades de la tête et de l'ego, tous vaniteux et tous méfiants, tous traînant et errant, sans vocation.



    En quinze ans, le pays n'a pas avancé, n'a pas reculé, il s'est assis et a pris des médicaments gratuits, se contente de murmurer et d'insister et de rêver d'éternité et de parler de son âge d'or et du non-alignement.


    par Kamel Daoud


    Le Quotidien d'Oran
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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