Comment préserver le fragile équilibre qui lie la ressource halieutique, le milieu aquatique et l'homme ? En précisant le comportement des poissons, au moyen notamment d'ondes acoustiques.
Pour cette évaluation, nous examinerons comment l'hydroacoustique, qui consiste à émettre des sons sous l'eau et à recueillir les échos, a atteint une précision telle qu'il est aujourd'hui possible d'étudier le comportement des poissons et de reconstruire un banc en trois dimensions pour en suivre la dynamique et l'évolution. De surcroît, nous verrons que les spécialistes des ressources halieutiques ne s'intéressent plus seulement à la quantité des poissons qui ont un intérêt commercial, mais que leurs modèles prennent en compte les poissons dans leur environnement. Ces analyses écosystémiques incluent notamment les relations proies-prédateurs.
L'utilisation intensive des méthodes hydroacoustiques a commencé dès les années 1970, les chercheurs voulant obtenir des informations fiables sur l'abondance des poissons. Jusqu'alors on utilisait des méthodes classiques consistant à inventorier et observer les poissons d'après les statistiques de pêche. Mais cette pratique présente de nombreux biais ou des difficultés de mise en œuvre. En milieu lacustre et estuarien, on utilise des méthodes de capture passive (avec des filets verticaux statiques, nommés filets maillants) qui fournissent des estimations d'abondance relative et non une estimation du stock global. Selon la dimension des mailles, la taille des poissons capturés change. Et les petits poissons (de l'ordre de sept à huit centimètres) sont mal recensés, alors que leur rôle et leur impact sur le milieu sont importants. Les techniques de pêche actives, tels le chalut ou la senne (des filets qui encerclent les poissons de surface), fournissent des estimations d'abondance locales, mais les prélèvements doivent être répétés de nombreuses fois pour tenir compte de la répartition hétérogène des poissons. Les statistiques de pêche lorsque les prises sont déchargées à quai apportent une information sur les populations exploitées dans les zones de pêche, mais elles ne donnent pas une image globale des populations.
L'hydroacoustique n'est pas soumise à ces limites et, de surcroît, c'est une méthode non invasive. C'est ainsi qu'elle est devenue au cours des 40 dernières années un outil incontournable de l'étude de la ressource halieutique. En outre, cette méthode s'adapte à tous les milieux aquatiques. Elle peut être mise en place aussi bien en eaux douces peu profondes qu'en haute mer. La richesse des données acoustiques sur les répartitions spatiales et temporelles des poissons, ainsi que sur leur abondance, leurs comportements et sur l'environnement, fait désormais partie des programmes scientifiques et du suivi des milieux aquatiques.
Écouter dans l'eau
Ainsi, cette méthode apporte de précieuses informations. Elle n'est devenue efficace que récemment, même si les premières tentatives de détection du bruit sous-marin remontent à la fin du XVe siècle : Léonard de Vinci écoutait des bateaux éloignés en plongeant un tube dans l'eau et en collant son oreille à l'extrémité. Mais c'est surtout durant la Première Guerre mondiale que ces techniques utilisées pour repérer les sous-marins ont connu un développement important. En 1917, le physicien français Paul Langevin a notablement amélioré la technique en construisant une source sonore à partir de couches de matériau piézoélectrique (tel le quartz) confinées entre deux plaques de métal. La puissance de cette source sonore a alors permis de détecter pour la première fois en 1918 l'écho d'un sous-marin distant de plus de 1 500 mètres.
Rappelons qu'un cristal piézoélectrique produit une tension électrique lorsqu'il est soumis à une déformation mécanique et, inversement, soumis à une tension électrique, il se contracte ou se dilate. Ainsi, quand une tension alternative est appliquée, les plaques de métal qui enserrent le cristal vibrent. Au contact de l'eau, le dispositif, nommé sondeur, provoque des compressions et des dilatations du fluide. Ces perturbations se propagent dans le milieu sous forme d'ondes acoustiques. Ces dernières se transmettent d'autant mieux et plus vite dans un milieu que celui-ci est dense : les ondes se propagent donc lentement (à environ 300 mètres par seconde) dans l'air, plus rapidement dans l'eau de mer (à environ 1 500 mètres par seconde) et encore plus vite dans les milieux solides (jusqu'à plusieurs milliers de mètres par seconde). Quand elle rencontre un obstacle, l'onde est en partie réfléchie. Le dispositif récepteur est activé par l'écho et le signal est converti en une tension électrique mesurable. En pratique, le système hydroacoustique, ou sondeur, est utilisé alternativement comme émetteur et comme récepteur d'ondes acoustiques. Le temps mis par l'onde pour revenir au sondeur est lié à la distance de l'objet, qu'il s'agisse d'un sous-marin ou d'un poisson.
Premières applications halieutiques
En 1927, le navigateur français Raymond Rallier du Baty a utilisé un appareil acoustique pour observer des bancs de poissons en mer. Deux ans plus tard, le Japonais K. Kimura a repéré des grandes dorades nageant dans un bassin. En 1935, le Norvégien Oscar Sund a, en particulier, enregistré la répartition verticale de morues au large de la Norvège. L'industrie des pêches maritimes a alors commencé à s'intéresser à cette technique. Durant la Seconde Guerre mondiale, les sondeurs sont devenus plus puissants et précis, mais ils restaient encombrants et chers. Il fallut attendre la période d'après-guerre pour que les outils de détection acoustique deviennent plus accessibles.
À partir de 1963, le biologiste britannique David Cushing et d'autres ont suggéré que s'il était possible de localiser un poisson à l'aide d'un sondeur, on devait aussi pouvoir utiliser cette méthode de façon quantitative en comptant le nombre d'échos obtenus au cours d'une émission. C'était le début de l'évaluation acoustique de l'abondance des poissons. Il est aussi possible de mesurer l'intensité du signal au lieu de compter le nombre d'échos. On obtient alors une mesure de la densité de poisson, et donc de la biomasse. Cette méthode a l'avantage d'être applicable aussi bien aux poissons dispersés qu'aux bancs, ce que ne permet pas le seul comptage des échos.
D. Cushing a aussi étudié le phénomène de réflexion des ondes acoustiques sur les poissons. Les grands poissons produisent un signal plus élevé que les petits. Des relations de proportionnalité entre l'écho renvoyé par un poisson et sa taille ont été définies de façon expérimentale pour la plupart des espèces européennes depuis les années 1980. L'anatomie des poissons influe aussi sur le signal par l'intermédiaire de l'impédance acoustique. Celle-ci est, pour un milieu ou un matériau donné, le produit de la densité du milieu par la vitesse du son dans ce milieu. Et plus la différence (ou contraste) entre l'impédance de l'eau et celle du poisson est élevée, plus la réflexion est importante. Les tissus durs d'un poisson – os et arêtes – réfléchissent bien les ondes acoustiques. Mais la vessie natatoire, organe rempli d'air indispensable à la flottaison de nombreux poissons, offre un meilleur contraste. Tous les organismes ne sont pas pourvus de vessie mais ils peuvent néanmoins être détectés : zooplancton, méduses (quand elles sont rassemblées en colonies denses), etc.
Commentaire