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«Malgré les tensions diplomatiques, la relation France-Maroc reste solide»

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  • «Malgré les tensions diplomatiques, la relation France-Maroc reste solide»

    Accusation d’une ONG française contre un haut gradé marocain pour complicité de torture, descente de police chez l’ambassadeur du Maroc à Paris, propos « scandaleux » de l’ambassadeur de France à Washington au sujet du Maroc... Les tensions sont montées d’un cran ces derniers jours entre la France et le Maroc, provoquant un coup de froid dans les relations diplomatiques entre les deux pays. Pour Mansouria Mokhefi, responsable du programme Moyen-Orient / Maghreb à l’Institut français des relations internationales, si le Maroc a tapé du poing sur la table de la diplomatie, c’est peut-être aussi pour rappeler qu’il existe aux yeux de la France.

    Photos: MJS du Loiret / United States Government Work / flickr-cc

    François Hollande a téléphoné lundi 24 février au soir à Mohammed VI. Les deux chefs d’État ont convenu de « poursuivre les contacts durant les prochains jours [...] et d'œuvrer dans l'esprit des relations d’exception qui lient le Maroc et la France » selon le Quai d’Orsay.
    JOL Press : Les tensions diplomatiques entre la France et le Maroc sont montées d’un cran ces derniers jours. De quoi sont-elles l’expression ?


    Mansouria Mokhefi : Les différentes plaintes qui ont été déposées, le fait que les policiers français se soient présentés devant la résidence de l’ambassadeur du Maroc en France, et les propos humiliants pour le Maroc rapportés par l’acteur espagnol Javier Bardem – qu’ils aient été réellement tenus ou non – ont fait ressortir des tensions.
    Le fait que le Maroc tape le poing sur la table et que le président François Hollande ait été obligé de s’excuser nous donne en fait une meilleure idée des relations entre les deux pays, qui se sont développées surtout depuis le départ du Général de Gaulle – parce que l’on a connu des tensions beaucoup plus importantes entre le général de Gaulle et Hassan II, le père de Mohammed VI, notamment autour de l’affaire Ben Barka et de certains positionnements français.
    Depuis l’arrivée de François Hollande à la présidence, les Marocains sont sur leurs gardes. Ils ont toujours soupçonné François Hollande d’avoir plutôt le regard tourné vers l’Algérie, ce qui forcément les inquiète, étant donné les relations entre les deux pays maghrébins. Car bien que François Hollande ait accueilli Mohammed VI comme premier chef d’État en visite à Paris après son élection, il s’est quand même rendu en Algérie avant le Maroc, contrairement à ce que tous ses prédécesseurs avaient toujours fait. François Hollande sollicite, compte et a besoin de l’appui du Maroc, mais il apparaît plus attaché à la coopération avec l’Algérie, notamment sur le dossier sécuritaire.
    Malgré toutes ces relations avec le Maroc, les Marocains se sentent peut-être un peu délaissés par ce nouveau gouvernement. Ils montent donc au créneau quand il y a justement des événements aussi peu diplomatiques que la visite des policiers chez leur ambassadeur ou aussi humiliantes que les propos rapportés par Javier Bardem.
    JOL Press : Certains comparent les relations franco-marocaines entre Mohammed VI et François Hollande à celles du temps d’Hassan II et du président socialiste François Mitterrand. Le Maroc pencherait-il plutôt à droite ?


    Mansouria Mokhefi : Les relations entre la France socialiste et le roi Hassan II ne pouvaient que se détériorer après la « lune de miel » extraordinaire qu’Hassan II avait entretenue avec Valéry Giscard d’Estaing. Le Maroc a toujours fait le choix, depuis son indépendance, d’une politique libérale et attentiste, et il a pu voir avec méfiance l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir.
    Mais les relations se sont néanmoins apaisées, parce que la France et le Maroc ont des intérêts communs importants. De manière générale, le Maghreb est fondamental pour le commerce et les échanges. Il est placé très haut dans les intérêts français, et l’est encore plus aujourd’hui, parce que le Maroc s’est beaucoup développé. D’ailleurs, François Hollande a salué les efforts marocains en matière de réforme constitutionnelle et de réforme de la justice. Le Maroc est un pays stable, ce qui n’est pas négligeable dans cette région marquée par l’instabilité, où la France a besoin d’un allié qui tienne.
    Mais le Maroc s’est aussi développé économiquement et la France doit maintenir ses positions dans cette région. Le Maroc est en effet en train de séduire l’Afrique, il s’est largement ouvert aux Américains, et la France n’est pas le seul partenaire du Maroc en Europe. Aujourd’hui, les relations franco-marocaines sont donc beaucoup plus importantes, intéressantes, utiles et stratégiques que tout ce que nous avons pu connaître sous les prédécesseurs de François Hollande.
    JOL Press : Quels sont cependant les points de friction entre les deux pays ?


    Mansouria Mokhefi : Que les Marocains soupçonnent le président français de ne pas les considérer aussi bien que les Algériens est un des sujets qui fâchent. On peut voir cela comme une pointe de susceptibilité, mais c’est plus important. Sinon, il n’y a pas tant de sujets sensibles entre la France et le Maroc, et c’est bien pour cela que tout le monde est monté au créneau pour ces deux incidents la semaine dernière.
    Il faut quand même savoir que la France est rassurée par la stabilité du Maroc, par la coopération du royaume chérifien sur les questions africaines et notamment au Mali : la France a trouvé plus de soutiens au Maghreb qu’en Europe lorsque l’opération Serval a été lancée. La France soutient également la position marocaine sur le conflit au Sahara occidental. La relation franco-marocaine est solide, elle n’est pas à la merci de ces incidents dont on parle aujourd’hui. On en parle parce que le Maroc avait besoin de donner un grand coup de poing sur la table, mais cela ne remet rien en cause.
    JOL Press : Le roi Mohammed VI revient d’une nouvelle tournée en Afrique. Le renforcement des relations sud-sud pourrait-il éloigner le Maroc du vieux continent européen ?



    Mansouria Mokhefi : Ces tournées africaines ne remettent pas en questions les liens avec les pays européens. Ce n’est pas la première fois que Mohammed VI se rend au Mali. Cette visite rentre au contraire tout à fait dans la ligne diplomatique tenue par le Maroc depuis très longtemps.
    La France s’y intéresse particulièrement maintenant que la question africaine est rentrée dans notre quotidien avec l’insécurité qui règne au Sahel, mais le Maroc a toujours eu des liens importants et bien développés avec les pays africains, bien plus que ses voisins. L’Algérie, qui tenait depuis longtemps une grande rhétorique vis-à-vis de l’Afrique, est plutôt embourbée dans ses propres problèmes.
    La Tunisie n’a jamais vraiment eu de politique africaine ; quant à la Libye, elle en a eu une sous Kadhafi, mais plutôt dans l’optique de créer un faisceau d’allégeance de la Libye sans vraiment développer ce que le Maroc a fait, à savoir de véritables échanges commerciaux et de vrais liens culturels et religieux. Aujourd’hui, le Maroc, conformément à ce qu’avait dit Hassan II, est « un arbre dont les racines plongent en Afrique et les feuilles respirent en Europe ».
    Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press
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    Mansouria Mokhefi est responsable du programme Moyen-Orient / Maghreb docteur en histoire à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Diplômée de Sciences Po (section Relations Internationales), de l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales) et de New York University, elle a enseigné l’histoire et les relations internationales à Vassar College, New York, et enseigne aujourd’hui à New York University (Paris).
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