Un article assez interessant sur la relation des tunisiens et de leur regime autoritaire.
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L’obéissance des tunisiens
La Tunisie, Etat policier ? Sans doute, mais pas seulement. Dans un ouvrage remarquable (La force de l’obéissance, économie politique de la répression en Tunisie, éditions la Découverte) l’universitaire française Béatrice Hibou, chercheur au CNRS, analyse les mécanismes par lesquels le régime tunisien assujettit une population qui, même si elles souffre de l’absence de liberté d’expression, est largement consentante. Ce n’est pas un livre facile, mais au-delà du jargon universitaire, il a le grand mérite de faire comprendre les ressorts d’une discipline à la fois imposée et consentie en montrant comment les pratiques de répression sont en réalité indissociables d’une politique économique et sociale qui vise à satisfaire les besoins du plus grand nombre. Elle décrit une population sans cesse surveillée mais qui bénéficie de multiples avantages, petits et grands, tant qu’elle reste dans le droit chemin. Et elle fait du la politique du crédit l’une des institution centrale du rapport de domination. Tous les Tunisiens ou presque sont endettés, ce qui crée une relation de dépendance finalement jamais close. Consommateurs et entrepreneurs savent en outre qu’en cas de pépin ils pourront se voir remettre leurs arriérés, si du moins ils filent droit. Au point que « la dette non remboursée et le fondement de l’ordre social ». A cela s’ajoute la chaîne d’avantages dont bénéficient les fonctionnaires, ou encore ceux octroyés, très largement, aux responsables de l’UGTT, la principale centrale syndicale du pays – les membres du son bureau bénéficient d’une exemption des droits de douanes de leurs véhicules- et la politique de l’impôt que fait que l’on oublie les taxes non payées des entrepreneurs qui ont su tisser des liens avec les notables du parti. Alors qu’à l’inverse le contrôle fiscal est une arme presque systématiquement utilisé à l’encontre de tous ceux qui osent relever la tête.
Le maillage de la société est total. Il y a les policiers, dont les chancelleries estiment qu’ils sont environ 80 000 tandis que l’opposition tunisienne affirme pour sa part qu’ils sont 133 000. Même en prenant l’hypothèse basse, c’est un pour 67 habitants au lieu d’un pour 265 habitants en France, pays le plus policier d’Europ,e et un pour 380 habitants au Royaume Uni. Il y a aussi les associations, qui toutes ou presque sont liées au pouvoir ou au parti. Une petite dizaine seulement arrivent à subsister en restant indépendantes malgré le harcèlement ou les tentatives d’entrisme. La loi certes, permet sur le papier la liberté d’association puisqu’elle légalise les associations qui n’ont pas reçu de refus motivé quatre mois après avoir déposé leurs statuts. Mais les autorités tunisiennes ont trouvé la parade : elles ne délivrent pas de récipissé au moment du dépôt des statuts. De la sorte, le délai de quatre mois ne commence jamais à courir… Mais le principal instrument de contrôle, de surveillance et de récompense reste le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Sur le papier, il n’est ne s’agit plus d’un parti unique. Dans les faits il l’est encore. Les cellules du parti, fort de 2 millions de membres actifs, quadrillent littéralement tout le pays. Leur vigilance est constante dans les quartiers, les villages, les lieux publics. Elles sont les intermédiaires du pouvoir central, le lieu de diffusion du discours officiel. Elles sont incontournables pour les démarches administratives, les aides à obtenir. C’est notamment elles qui choisissent les bénéficiaires de la politique de solidarité du Fonds social national – le 2626- alimenté par des dons « volontaires » en réalité largement contraints – ne pas participer, c’est se faire mal voir. Béatrice Hibou cite ainsi le cas d’une section du Lion’s Club qui avait décidé d’aider les pauvres d’un quartier de Tunis en leur offrant leur mouton de l’Aïd et qui s’était vue interdire la distribution parce qu’elle avait osé sélectionner elle-même, sans passe par la cellule du RCD, les familles bénéficiaires !
Sur fonds de personnalisation extrême du pouvoir- les journaux célèbrent en permanence le chef de l’Etat, sa « clairvoyance » et sa « hauteur d’esprit »- ce qui est martelé chaque jour, c’est que la Tunisie est en danger, que l’ordre existant doit être défendu contre le chaos qu’entraînerait une situation sociale non maîtrisée favorisant les ambitions des islamistes. La discipline apparaît alors comme le prix à payer pour la sécurité, la stabilité et la prospérité. L’Etat dispensateur de biens, soucieux de répondre aux besoins de la population, de son désir de bien être, protège en assujettissant. Béatrice Hibou qualifie ce rapport de « pacte de sécurité ». Un pacte accepté par l’immense majorité des Tunisiens qui se satisfont d’un environnement disciplinaire, voire coercitif dès lors qu’ils ont le sentiment que l’Etat prend en compte leur bien –être matériel.
C’est l’aspect le plus intéressant – et sans doute dérangeant- de cet essai : les régimes autoritaires se perpétuent, aussi, parce que ceux qui les subissent y trouvent des avantages qui font qu’ils sont consentants.
Dominique Lagarde
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L’obéissance des tunisiens
La Tunisie, Etat policier ? Sans doute, mais pas seulement. Dans un ouvrage remarquable (La force de l’obéissance, économie politique de la répression en Tunisie, éditions la Découverte) l’universitaire française Béatrice Hibou, chercheur au CNRS, analyse les mécanismes par lesquels le régime tunisien assujettit une population qui, même si elles souffre de l’absence de liberté d’expression, est largement consentante. Ce n’est pas un livre facile, mais au-delà du jargon universitaire, il a le grand mérite de faire comprendre les ressorts d’une discipline à la fois imposée et consentie en montrant comment les pratiques de répression sont en réalité indissociables d’une politique économique et sociale qui vise à satisfaire les besoins du plus grand nombre. Elle décrit une population sans cesse surveillée mais qui bénéficie de multiples avantages, petits et grands, tant qu’elle reste dans le droit chemin. Et elle fait du la politique du crédit l’une des institution centrale du rapport de domination. Tous les Tunisiens ou presque sont endettés, ce qui crée une relation de dépendance finalement jamais close. Consommateurs et entrepreneurs savent en outre qu’en cas de pépin ils pourront se voir remettre leurs arriérés, si du moins ils filent droit. Au point que « la dette non remboursée et le fondement de l’ordre social ». A cela s’ajoute la chaîne d’avantages dont bénéficient les fonctionnaires, ou encore ceux octroyés, très largement, aux responsables de l’UGTT, la principale centrale syndicale du pays – les membres du son bureau bénéficient d’une exemption des droits de douanes de leurs véhicules- et la politique de l’impôt que fait que l’on oublie les taxes non payées des entrepreneurs qui ont su tisser des liens avec les notables du parti. Alors qu’à l’inverse le contrôle fiscal est une arme presque systématiquement utilisé à l’encontre de tous ceux qui osent relever la tête.
Le maillage de la société est total. Il y a les policiers, dont les chancelleries estiment qu’ils sont environ 80 000 tandis que l’opposition tunisienne affirme pour sa part qu’ils sont 133 000. Même en prenant l’hypothèse basse, c’est un pour 67 habitants au lieu d’un pour 265 habitants en France, pays le plus policier d’Europ,e et un pour 380 habitants au Royaume Uni. Il y a aussi les associations, qui toutes ou presque sont liées au pouvoir ou au parti. Une petite dizaine seulement arrivent à subsister en restant indépendantes malgré le harcèlement ou les tentatives d’entrisme. La loi certes, permet sur le papier la liberté d’association puisqu’elle légalise les associations qui n’ont pas reçu de refus motivé quatre mois après avoir déposé leurs statuts. Mais les autorités tunisiennes ont trouvé la parade : elles ne délivrent pas de récipissé au moment du dépôt des statuts. De la sorte, le délai de quatre mois ne commence jamais à courir… Mais le principal instrument de contrôle, de surveillance et de récompense reste le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Sur le papier, il n’est ne s’agit plus d’un parti unique. Dans les faits il l’est encore. Les cellules du parti, fort de 2 millions de membres actifs, quadrillent littéralement tout le pays. Leur vigilance est constante dans les quartiers, les villages, les lieux publics. Elles sont les intermédiaires du pouvoir central, le lieu de diffusion du discours officiel. Elles sont incontournables pour les démarches administratives, les aides à obtenir. C’est notamment elles qui choisissent les bénéficiaires de la politique de solidarité du Fonds social national – le 2626- alimenté par des dons « volontaires » en réalité largement contraints – ne pas participer, c’est se faire mal voir. Béatrice Hibou cite ainsi le cas d’une section du Lion’s Club qui avait décidé d’aider les pauvres d’un quartier de Tunis en leur offrant leur mouton de l’Aïd et qui s’était vue interdire la distribution parce qu’elle avait osé sélectionner elle-même, sans passe par la cellule du RCD, les familles bénéficiaires !
Sur fonds de personnalisation extrême du pouvoir- les journaux célèbrent en permanence le chef de l’Etat, sa « clairvoyance » et sa « hauteur d’esprit »- ce qui est martelé chaque jour, c’est que la Tunisie est en danger, que l’ordre existant doit être défendu contre le chaos qu’entraînerait une situation sociale non maîtrisée favorisant les ambitions des islamistes. La discipline apparaît alors comme le prix à payer pour la sécurité, la stabilité et la prospérité. L’Etat dispensateur de biens, soucieux de répondre aux besoins de la population, de son désir de bien être, protège en assujettissant. Béatrice Hibou qualifie ce rapport de « pacte de sécurité ». Un pacte accepté par l’immense majorité des Tunisiens qui se satisfont d’un environnement disciplinaire, voire coercitif dès lors qu’ils ont le sentiment que l’Etat prend en compte leur bien –être matériel.
C’est l’aspect le plus intéressant – et sans doute dérangeant- de cet essai : les régimes autoritaires se perpétuent, aussi, parce que ceux qui les subissent y trouvent des avantages qui font qu’ils sont consentants.
Dominique Lagarde
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