Pourquoi viellir en France ? La plupart des vieux immigrés dépensent une bonne partie de leurs pensions dans les voyages entre le Maghreb et la France. Qu'est-ce qui les empêchent de finir leurs retraites dignement chez eux ? A moins qu'ils aient été lobotomisé ou conditionné.
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Miloud Aourtilane, 82 ans, est algérien. Il travaillait dans
le bâtiment-travaux publics et en usine.
Il vit depuis dans le foyer de Montreuil
Ce sont de vieux messieurs indignes. Kabyles, Marocains, Maliens ou Sénégalais, émigrés il y a quarante ou cinquante ans, quand les chantiers et les usines de France manquaient de bras, ils auraient dû, une fois la retraite venue, repartir vers leur bled ou leur village. C'est ce qu'escomptait l'Etat français. C'est ce que le village attendait. On émigre pour faire de l'argent. Les racines, ils en ont déjà. Ils auraient dû...
"Vous savez comment ils nous appellent, quand on rentre au bled ? Les envahisseurs !", rétorque Achour, avec une moue amère, quand on lui parle de l'Algérie. Il porte une chemise à carreaux et une veste plutôt épaisse, malgré le temps doux. Assis à ses côtés, sur l'un des bancs du square Alban-Satragne, dans le 10e arrondissement de Paris, son copain Mohammed opine du chef. Il lève sa canette de bière et boit une gorgée, en clignant de l'oeil comme un gamin malgré sa moustache blanche. Achour et Mohammed sont arrivés en France au début des années 1950.
Le premier a d'abord travaillé à l'usine, dans le Nord, avant de s'installer en région parisienne. Le second a réussi à se faire embaucher au Ritz, place Vendôme, passant du poste d'agent d'entretien à celui de plongeur. A présent, ils ne font plus rien.
Achour est divorcé. Sa chambre d'hôtel, minuscule - 660 euros par mois, soit les deux tiers de ses revenus - ne lui permet pas de recevoir ses enfants, nés en France. "Quand ils viennent me voir, je les invite au McDo", dit le vieil homme. Mohammed vit avec sa femme, handicapée. Tous les après-midi ou presque, les deux retraités retrouvent les bancs du square et leurs canettes de bière, au milieu d'autres vieux, de SDF aux bras tatoués et de mères de famille avec leurs poussettes. La gardienne, une Antillaise, salue les habitués.
"Quand les immigrés rentrent en Algérie, les commerçants font monter les prix, ce qui pénalise tout le monde. Mais ce sont les immigrés qu'on accuse. Et qu'on traite d'envahisseurs", explique le sociologue Atmane Aggoun, qui connaît chaque retraité kabyle du quartier et fréquente assidûment les jardins publics où il sait pouvoir les trouver.
Chacun a son histoire, mais tous ont un point commun : leur présence en France est ressentie comme "incongrue". Aujourd'hui encore, le mythe du retour, cette "illusion collective d'une émigration provisoire", déjà décrite par le sociologue algérien Abdelmalek Sayad, notamment dans La Double Absence (Le Seuil, 1999), fait office de loi non écrite. "Ceux qui restent sont perçus comme des déviants, ajoute Atmane Aggoun. Pour atténuer leur "trahison", ils font sans arrêt la navette entre la France et le pays natal. Ils sont comme des hirondelles. Mais c'est seulement au moment de leur mort qu'ils remboursent leur dette : quand ils repartent entre quatre planches, afin d'être enterrés dans la terre des ancêtres", souligne le chercheur, qui vient de publier Les Musulmans face à la mort en France (Vuibert, 2006), un essai centré sur les immigrés d'origine kabyle.
Mais pourquoi restent-ils, ces vieux messieurs dont personne ne veut ? Est-ce, comme le suggère Achour, parce que le retour au bled, contrairement à ce qu'eux-mêmes en disent, est souvent source de blessures et de malentendus ? Est-ce parce que les retraités immigrés sont tenus, pour toucher l'allocation vieillesse, de résider en France plusieurs mois d'affilée, finissant, de ce fait, par faire souche ? Le gouvernement s'est en tout cas résolu au début du mois d'octobre à limiter cette présence obligatoire en France à trois mois, et non plus à neuf. Un amendement devrait être ajouté au projet de loi de finances 2007.
Les vieux immigrés restent-ils, tout simplement, pour continuer à vivre selon les habitudes et préférences acquises, qu'il s'agisse des soins de santé ou du système bancaire - qu'ils jugent plus fiables que dans leur pays d'origine -, ou encore du bistrot de quartier, avec "le ballon de rouge qu'on boit au comptoir en faisant son Loto avec les copains", comme le défend Atmane Aggoun ? Sans doute y a-t-il un peu de tout cela.
Ce qui est vrai des Kabyles et des Arabes ne l'est pourtant pas forcément des ressortissants d'Afrique noire. Si ces derniers décident de ne pas retourner au village et de vieillir en France, c'est "pour sauver un peu d'intimité, de solitude, de vie privée", observe Abdou Ndiaye, natif du Sénégal. "La communauté, ça te bouffe, tu as envie de courir, de t'enfuir !", s'exclame-t-il. Agé de 56 ans, ce Saint-Louisien, dont le grand-père appartenait à la grande confrérie mouride, est aujourd'hui directeur d'agence de la Sonacotra, rue Henri-Barbusse, à Gennevilliers.
Comme Achour, le vieux Kabyle du square Satragne, Abdou s'est marié en France, où ses enfants sont nés. "Ma mère, qui est âgée de 73 ans, vit au Sénégal, explique-t-il. Moi, je suis de la génération qui balance : quand je serai mort, dois-je reposer près de mes parents ou près de mes enfants ? Ce sont eux, mes nouvelles racines."
La suite...
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Miloud Aourtilane, 82 ans, est algérien. Il travaillait dans
le bâtiment-travaux publics et en usine.
Il vit depuis dans le foyer de Montreuil
Ce sont de vieux messieurs indignes. Kabyles, Marocains, Maliens ou Sénégalais, émigrés il y a quarante ou cinquante ans, quand les chantiers et les usines de France manquaient de bras, ils auraient dû, une fois la retraite venue, repartir vers leur bled ou leur village. C'est ce qu'escomptait l'Etat français. C'est ce que le village attendait. On émigre pour faire de l'argent. Les racines, ils en ont déjà. Ils auraient dû...
"Vous savez comment ils nous appellent, quand on rentre au bled ? Les envahisseurs !", rétorque Achour, avec une moue amère, quand on lui parle de l'Algérie. Il porte une chemise à carreaux et une veste plutôt épaisse, malgré le temps doux. Assis à ses côtés, sur l'un des bancs du square Alban-Satragne, dans le 10e arrondissement de Paris, son copain Mohammed opine du chef. Il lève sa canette de bière et boit une gorgée, en clignant de l'oeil comme un gamin malgré sa moustache blanche. Achour et Mohammed sont arrivés en France au début des années 1950.
Le premier a d'abord travaillé à l'usine, dans le Nord, avant de s'installer en région parisienne. Le second a réussi à se faire embaucher au Ritz, place Vendôme, passant du poste d'agent d'entretien à celui de plongeur. A présent, ils ne font plus rien.
Achour est divorcé. Sa chambre d'hôtel, minuscule - 660 euros par mois, soit les deux tiers de ses revenus - ne lui permet pas de recevoir ses enfants, nés en France. "Quand ils viennent me voir, je les invite au McDo", dit le vieil homme. Mohammed vit avec sa femme, handicapée. Tous les après-midi ou presque, les deux retraités retrouvent les bancs du square et leurs canettes de bière, au milieu d'autres vieux, de SDF aux bras tatoués et de mères de famille avec leurs poussettes. La gardienne, une Antillaise, salue les habitués.
"Quand les immigrés rentrent en Algérie, les commerçants font monter les prix, ce qui pénalise tout le monde. Mais ce sont les immigrés qu'on accuse. Et qu'on traite d'envahisseurs", explique le sociologue Atmane Aggoun, qui connaît chaque retraité kabyle du quartier et fréquente assidûment les jardins publics où il sait pouvoir les trouver.
Chacun a son histoire, mais tous ont un point commun : leur présence en France est ressentie comme "incongrue". Aujourd'hui encore, le mythe du retour, cette "illusion collective d'une émigration provisoire", déjà décrite par le sociologue algérien Abdelmalek Sayad, notamment dans La Double Absence (Le Seuil, 1999), fait office de loi non écrite. "Ceux qui restent sont perçus comme des déviants, ajoute Atmane Aggoun. Pour atténuer leur "trahison", ils font sans arrêt la navette entre la France et le pays natal. Ils sont comme des hirondelles. Mais c'est seulement au moment de leur mort qu'ils remboursent leur dette : quand ils repartent entre quatre planches, afin d'être enterrés dans la terre des ancêtres", souligne le chercheur, qui vient de publier Les Musulmans face à la mort en France (Vuibert, 2006), un essai centré sur les immigrés d'origine kabyle.
Mais pourquoi restent-ils, ces vieux messieurs dont personne ne veut ? Est-ce, comme le suggère Achour, parce que le retour au bled, contrairement à ce qu'eux-mêmes en disent, est souvent source de blessures et de malentendus ? Est-ce parce que les retraités immigrés sont tenus, pour toucher l'allocation vieillesse, de résider en France plusieurs mois d'affilée, finissant, de ce fait, par faire souche ? Le gouvernement s'est en tout cas résolu au début du mois d'octobre à limiter cette présence obligatoire en France à trois mois, et non plus à neuf. Un amendement devrait être ajouté au projet de loi de finances 2007.
Les vieux immigrés restent-ils, tout simplement, pour continuer à vivre selon les habitudes et préférences acquises, qu'il s'agisse des soins de santé ou du système bancaire - qu'ils jugent plus fiables que dans leur pays d'origine -, ou encore du bistrot de quartier, avec "le ballon de rouge qu'on boit au comptoir en faisant son Loto avec les copains", comme le défend Atmane Aggoun ? Sans doute y a-t-il un peu de tout cela.
Ce qui est vrai des Kabyles et des Arabes ne l'est pourtant pas forcément des ressortissants d'Afrique noire. Si ces derniers décident de ne pas retourner au village et de vieillir en France, c'est "pour sauver un peu d'intimité, de solitude, de vie privée", observe Abdou Ndiaye, natif du Sénégal. "La communauté, ça te bouffe, tu as envie de courir, de t'enfuir !", s'exclame-t-il. Agé de 56 ans, ce Saint-Louisien, dont le grand-père appartenait à la grande confrérie mouride, est aujourd'hui directeur d'agence de la Sonacotra, rue Henri-Barbusse, à Gennevilliers.
Comme Achour, le vieux Kabyle du square Satragne, Abdou s'est marié en France, où ses enfants sont nés. "Ma mère, qui est âgée de 73 ans, vit au Sénégal, explique-t-il. Moi, je suis de la génération qui balance : quand je serai mort, dois-je reposer près de mes parents ou près de mes enfants ? Ce sont eux, mes nouvelles racines."
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