+ EXTRAITS SONORES - Les écoutes de l’ex-conseiller de Nicolas Sarkozy déstabilisent un peu plus l’UMP, et peuvent encore compliquer le retour de l’ex-chef de l’Etat.
Choc, sidération, trahison et « viol » dira même Henri Guaino, l’ancienne plume de Nicolas Sarkozy. Les mots n’étaient pas assez forts mercredi à droite pour exprimer la stupeur éprouvée face à la preuve que Patrick Buisson, éminence grise du quinquennat de Nicolas Sarkozy et inspirateur de la droitisation de sa campagne en 2012, a bien enregistré, à son insu, l’ancien chef de l’Etat et son entourage lors de réunions de travail et d’échanges privés. Issu de l’extrême droite, l’ancien patron de « Minute » avait pourtant farouchement nié l’existence de ces bandes auprès de Nicolas Sarkozy -qui avait commencé à prendre ses distances- quand « Le Point » les avait évoquées en février.
Las ! Mercredi, le site Atlantico a publié des extraits d’une bande relatant des conversations du 26 février 2011, veille du remaniement qui verra sortir du gouvernement Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux, ce dernier étant alors remplacé par Claude Guéant au ministère de l'Intérieur. Le « Canard Enchaîné » a, lui, révélé des verbatim d'une réunion du 27 février 2011. Où l’on découvre un Nicolas Sarkozy peu amène sur le bilan de Brice Hortefeux place Beauvau (« Brice dit que le sentiment d’insécurité a régressé, toutes les études montrent que c’est faux ») ou sur ses ministres (« Remplacer Fillon par Borloo, c’est grotesque ! »).
Enregistrements Buisson : "Il est gentil Nicolas" par Europe1fr
Ces extraits éclairent surtout, d’une lumière particulière, sur un climat et l’attitude de certains des conseillers que Nicolas Sarkozy s’était choisi. Il y a d’abord la méthode de Patrick Buisson, « d’une extrême violence » a fustigé mercredi sur France 2 Jean-Pierre Raffarin. Il y a aussi un problème institutionnel quand on l’entend dire au publicitaire Jean-Michel Goudard : « L’avantage de Guéant, c’est qu’il connaissait un petit peu les dossiers, notamment pour les affaires auprès du parquet. Il se mouillait un petit peu. Il va falloir expliquer tout çà à Musca [qui le remplace au poste de secrétaire général de l’Elysée, NDLR] et vite. » Sans parler de leurs déclarations sur des « ministres archinuls ». L’avocat de Patrick Buisson, Gilles-William Golnadel, a reconnu l'authenticité de ces enregistrements qui auraient été dérobés et les a justifiés comme étant des « documents de travail ». Il a prévenu que son client avait « dit d’une phrase sibylline qu’il rendrait coup pour coup »...
Des enregistrements qui, outre la stupeur, ont provoqué l’ire dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, lui-même étant, rapportent des proches, « fou furieux » contre Patrick Buisson. Henri Guaino a pointé un « malade » quand Claude Guéant s’est dit « surpris, déçu et choqué ». Brice Hortefeux a eu recours à Confucius -« le silence est un véritable ami car lui ne trahit jamais »-mais a refusé de « commenter, nourrir, alimenter des polémiques inutiles ». Signe de l’embarras de la Sarkozie, qui n’a pas d'autre choix que de laisser passer l’orage en espérant que d’autres bandes ne viendront grossir un feuilleton potentiellement risqué pour le retour de Nicolas Sarkozy. Ce dernier apparaît là bien mal avisé pour le choix de ses conseillers. En tous cas pour celui qui a eu une influence majeure, en dépit des oppositions fortes qu’il a pu susciter jusque chez les sarkozystes ou sa porte-parole de campagne, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui, après sa défaite, avait accusé Patrick Buisson d’avoir voulu « faire gagner Maurras ». « Heureusement, on a trois ans pour faire oublier » les dégâts, tentait mercredi de se rassurer un proche de l’ex-chef de l’Etat.
Mais les dégâts, on les redoute immédiats à l’UMP, qui vit là, en sus de l' affaire Copé/« Le Point » , une semaine horribilis à moins d’un mois des municipales. « C'est un climat qui va profiter au mieux à l’abstention », redoute un ancien ministre de Nicolas Sarkozy. Ou au FN. L’UMP bruisse aussi d’interrogations sur les « bénéficiaires » du crime. Crainte du feuilleton, crainte d'être éclaboussé par ces extraits ou de nouvelles publications. Nécessité aussi, glissent certains d’une opération mains propres à droite.
A gauche, la garde des Sceaux Christiane Taubira a dénoncé une atteinte à la « morale publique » et le PS, manière d’en faire une affaire d'Etat et de prolonger le feuilleton, envisage de demander une enquête parlementaire. Histoire d’empêcher Nicolas Sarkozy de se poser en victime, Pierre Moscovici a vu dans le fait d'avoir écouté Patrick Buisson « une faute. »
Enregistrements Buisson : "Fillon n'est pas... par Europe1fr
Patrick Buisson, le conseiller de l'ombre
Très droitier conseiller de l'ombre, l'historien et politologue Patrick Buisson est une figure complexe, controversée, désormais accusée d'avoir trahi la confiance de Nicolas Sarkozy qu'il a fasciné par ses capacités d'analyse.
Cet homme de 64 ans érudit, paradoxal - « catholique de tradition », il a signé une somme sur l'érotisme pendant l'Occupation allemande - rêvait d'inspirer aussi la campagne présidentielle de 2017. Et ce, même si à l'UMP beaucoup lui imputent une responsabilité majeure dans la défaite de 2012, pour cause de rapprochement avec les thèses du Front national. Buisson « a contribué à décomplexer une grande partie de l'électorat UMP », commentait en juin 2012 Marine Le Pen, la présidente du FN. « Il voulait faire gagner Charles Maurras », accusait la porte-parole de campagne Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP) contre celui qui se dit « royaliste ». « Sarkozy, je ne l'ai pas fini », avait confié le conseiller à l'été 2013 à un journaliste.
La publication d'enregistrements sauvages, effectués par ses soins, de réunions élyséennes et de conversations privées, risque fort désormais de doucher cette ambition. D'autant que si l'on en croit l'UMP Henri Guaino, il y a des centaines d'heures en réserve... Leur diffusion au goutte-à-goutte relèverait du supplice chinois pour son mentor Sarkozy, auquel il ressemble par sa faconde, laissant peu de place aux interlocuteurs.
Grand, marchant légèrement voûté, physique austère - crâne chauve, lunettes - Patrick Buisson est « un homme d'intuition », selon un de ses anciens clients sondeurs, qui salue sa capacité à être « intéressé par les choses iconoclastes ». En 2005, il surprend et séduit Nicolas Sarkozy en prophétisant un non massif au référendum constitutionnel européen, quand presque tous prévoyaient la victoire du oui. A l'Elysée, après la victoire de 2007, il était un visiteur régulier du président mais sans bureau ni fonction dans l'organigramme. Tous alors sollicitaient ses conseils, son éclairage, se rengorgeait-il en privé, dans son bureau de la chaîne Histoire qu'il dirige, envahi par les livres. Y compris, selon lui, François Baroin ou NKM, ses critiques les plus résolus. C'est à ce titre de conseiller que M. Buisson se retrouve au coeur de l'affaire des sondages commandés, notamment à sa société Publifact, par l'Elysée, sans appel d'offres, qui font l'objet d'une enquête judiciaire.
Docteur en Histoire - sa thèse portait sur les relations France-Algérie - M. Buisson, intellectuel hypercultivé, est un avocat de l'union des droites, jusqu'à l'extrême. Discours sur l'identité nationale, sécurité, immigration, suspension de Schengen, référendum pour réformer l'assurance-chômage : autant de trouvailles martelées dans les meetings sarkozystes, attribuées à cette éminence grise (« l'Hémisphère droit de Sarkozy » avait titré Le Monde). Dans les adresses du candidat Sarkozy « aux petits, aux sans-grade », beaucoup voyaient une partition signée de cet expert friand d'enquêtes d'opinion.
Un de ses objectifs : reconquérir les classes moyennes paupérisées, exilées aux marges périurbaines qui se tournent vers le FN. On ne prête qu'aux riches : c'est aussi à celui qui se dit « politologue et non politique » qu'on attribue la « droite décomplexée » théorisée par Jean-François Copé. Ce regroupement voulu des droites, M. Buisson l'a illustré par son propre parcours : de l'hebdomadaire « Minute » qu'il a dirigé, à l'UMP, en passant par le souverainiste Philippe de Villiers et même une offre de service aux centristes, selon un haut responsable.
« Plus personne ne lit Marx », s'indignait M. Buisson l'an dernier, « même pas Mélenchon », qui avait assisté en 2007 à la remise de la Légion d'honneur à Buisson par le président Sarkozy. Le conseiller serait-il « le poison de la droite » comme l'affirme le socialiste Julien Dray? Dans une très surprenante tribune au « Point » datant du 12 juin 2013, son propre fils, Georges Buisson, traçait un portrait en demi-teinte de son père, « passé maître dans l'art de déceler les ressorts cachés de l'opinion ». Le texte s'achevait par une formule énigmatique : « le Semeur lançait aussi ses graines dans les buissons d'épines »...
Isabelle Ficek
Écrit par Isabelle FICEK
Journaliste
[email protected]
Choc, sidération, trahison et « viol » dira même Henri Guaino, l’ancienne plume de Nicolas Sarkozy. Les mots n’étaient pas assez forts mercredi à droite pour exprimer la stupeur éprouvée face à la preuve que Patrick Buisson, éminence grise du quinquennat de Nicolas Sarkozy et inspirateur de la droitisation de sa campagne en 2012, a bien enregistré, à son insu, l’ancien chef de l’Etat et son entourage lors de réunions de travail et d’échanges privés. Issu de l’extrême droite, l’ancien patron de « Minute » avait pourtant farouchement nié l’existence de ces bandes auprès de Nicolas Sarkozy -qui avait commencé à prendre ses distances- quand « Le Point » les avait évoquées en février.
Las ! Mercredi, le site Atlantico a publié des extraits d’une bande relatant des conversations du 26 février 2011, veille du remaniement qui verra sortir du gouvernement Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux, ce dernier étant alors remplacé par Claude Guéant au ministère de l'Intérieur. Le « Canard Enchaîné » a, lui, révélé des verbatim d'une réunion du 27 février 2011. Où l’on découvre un Nicolas Sarkozy peu amène sur le bilan de Brice Hortefeux place Beauvau (« Brice dit que le sentiment d’insécurité a régressé, toutes les études montrent que c’est faux ») ou sur ses ministres (« Remplacer Fillon par Borloo, c’est grotesque ! »).
Enregistrements Buisson : "Il est gentil Nicolas" par Europe1fr
Ces extraits éclairent surtout, d’une lumière particulière, sur un climat et l’attitude de certains des conseillers que Nicolas Sarkozy s’était choisi. Il y a d’abord la méthode de Patrick Buisson, « d’une extrême violence » a fustigé mercredi sur France 2 Jean-Pierre Raffarin. Il y a aussi un problème institutionnel quand on l’entend dire au publicitaire Jean-Michel Goudard : « L’avantage de Guéant, c’est qu’il connaissait un petit peu les dossiers, notamment pour les affaires auprès du parquet. Il se mouillait un petit peu. Il va falloir expliquer tout çà à Musca [qui le remplace au poste de secrétaire général de l’Elysée, NDLR] et vite. » Sans parler de leurs déclarations sur des « ministres archinuls ». L’avocat de Patrick Buisson, Gilles-William Golnadel, a reconnu l'authenticité de ces enregistrements qui auraient été dérobés et les a justifiés comme étant des « documents de travail ». Il a prévenu que son client avait « dit d’une phrase sibylline qu’il rendrait coup pour coup »...
Des enregistrements qui, outre la stupeur, ont provoqué l’ire dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, lui-même étant, rapportent des proches, « fou furieux » contre Patrick Buisson. Henri Guaino a pointé un « malade » quand Claude Guéant s’est dit « surpris, déçu et choqué ». Brice Hortefeux a eu recours à Confucius -« le silence est un véritable ami car lui ne trahit jamais »-mais a refusé de « commenter, nourrir, alimenter des polémiques inutiles ». Signe de l’embarras de la Sarkozie, qui n’a pas d'autre choix que de laisser passer l’orage en espérant que d’autres bandes ne viendront grossir un feuilleton potentiellement risqué pour le retour de Nicolas Sarkozy. Ce dernier apparaît là bien mal avisé pour le choix de ses conseillers. En tous cas pour celui qui a eu une influence majeure, en dépit des oppositions fortes qu’il a pu susciter jusque chez les sarkozystes ou sa porte-parole de campagne, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui, après sa défaite, avait accusé Patrick Buisson d’avoir voulu « faire gagner Maurras ». « Heureusement, on a trois ans pour faire oublier » les dégâts, tentait mercredi de se rassurer un proche de l’ex-chef de l’Etat.
Mais les dégâts, on les redoute immédiats à l’UMP, qui vit là, en sus de l' affaire Copé/« Le Point » , une semaine horribilis à moins d’un mois des municipales. « C'est un climat qui va profiter au mieux à l’abstention », redoute un ancien ministre de Nicolas Sarkozy. Ou au FN. L’UMP bruisse aussi d’interrogations sur les « bénéficiaires » du crime. Crainte du feuilleton, crainte d'être éclaboussé par ces extraits ou de nouvelles publications. Nécessité aussi, glissent certains d’une opération mains propres à droite.
A gauche, la garde des Sceaux Christiane Taubira a dénoncé une atteinte à la « morale publique » et le PS, manière d’en faire une affaire d'Etat et de prolonger le feuilleton, envisage de demander une enquête parlementaire. Histoire d’empêcher Nicolas Sarkozy de se poser en victime, Pierre Moscovici a vu dans le fait d'avoir écouté Patrick Buisson « une faute. »
Enregistrements Buisson : "Fillon n'est pas... par Europe1fr
Patrick Buisson, le conseiller de l'ombre
Très droitier conseiller de l'ombre, l'historien et politologue Patrick Buisson est une figure complexe, controversée, désormais accusée d'avoir trahi la confiance de Nicolas Sarkozy qu'il a fasciné par ses capacités d'analyse.
Cet homme de 64 ans érudit, paradoxal - « catholique de tradition », il a signé une somme sur l'érotisme pendant l'Occupation allemande - rêvait d'inspirer aussi la campagne présidentielle de 2017. Et ce, même si à l'UMP beaucoup lui imputent une responsabilité majeure dans la défaite de 2012, pour cause de rapprochement avec les thèses du Front national. Buisson « a contribué à décomplexer une grande partie de l'électorat UMP », commentait en juin 2012 Marine Le Pen, la présidente du FN. « Il voulait faire gagner Charles Maurras », accusait la porte-parole de campagne Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP) contre celui qui se dit « royaliste ». « Sarkozy, je ne l'ai pas fini », avait confié le conseiller à l'été 2013 à un journaliste.
La publication d'enregistrements sauvages, effectués par ses soins, de réunions élyséennes et de conversations privées, risque fort désormais de doucher cette ambition. D'autant que si l'on en croit l'UMP Henri Guaino, il y a des centaines d'heures en réserve... Leur diffusion au goutte-à-goutte relèverait du supplice chinois pour son mentor Sarkozy, auquel il ressemble par sa faconde, laissant peu de place aux interlocuteurs.
Grand, marchant légèrement voûté, physique austère - crâne chauve, lunettes - Patrick Buisson est « un homme d'intuition », selon un de ses anciens clients sondeurs, qui salue sa capacité à être « intéressé par les choses iconoclastes ». En 2005, il surprend et séduit Nicolas Sarkozy en prophétisant un non massif au référendum constitutionnel européen, quand presque tous prévoyaient la victoire du oui. A l'Elysée, après la victoire de 2007, il était un visiteur régulier du président mais sans bureau ni fonction dans l'organigramme. Tous alors sollicitaient ses conseils, son éclairage, se rengorgeait-il en privé, dans son bureau de la chaîne Histoire qu'il dirige, envahi par les livres. Y compris, selon lui, François Baroin ou NKM, ses critiques les plus résolus. C'est à ce titre de conseiller que M. Buisson se retrouve au coeur de l'affaire des sondages commandés, notamment à sa société Publifact, par l'Elysée, sans appel d'offres, qui font l'objet d'une enquête judiciaire.
Docteur en Histoire - sa thèse portait sur les relations France-Algérie - M. Buisson, intellectuel hypercultivé, est un avocat de l'union des droites, jusqu'à l'extrême. Discours sur l'identité nationale, sécurité, immigration, suspension de Schengen, référendum pour réformer l'assurance-chômage : autant de trouvailles martelées dans les meetings sarkozystes, attribuées à cette éminence grise (« l'Hémisphère droit de Sarkozy » avait titré Le Monde). Dans les adresses du candidat Sarkozy « aux petits, aux sans-grade », beaucoup voyaient une partition signée de cet expert friand d'enquêtes d'opinion.
Un de ses objectifs : reconquérir les classes moyennes paupérisées, exilées aux marges périurbaines qui se tournent vers le FN. On ne prête qu'aux riches : c'est aussi à celui qui se dit « politologue et non politique » qu'on attribue la « droite décomplexée » théorisée par Jean-François Copé. Ce regroupement voulu des droites, M. Buisson l'a illustré par son propre parcours : de l'hebdomadaire « Minute » qu'il a dirigé, à l'UMP, en passant par le souverainiste Philippe de Villiers et même une offre de service aux centristes, selon un haut responsable.
« Plus personne ne lit Marx », s'indignait M. Buisson l'an dernier, « même pas Mélenchon », qui avait assisté en 2007 à la remise de la Légion d'honneur à Buisson par le président Sarkozy. Le conseiller serait-il « le poison de la droite » comme l'affirme le socialiste Julien Dray? Dans une très surprenante tribune au « Point » datant du 12 juin 2013, son propre fils, Georges Buisson, traçait un portrait en demi-teinte de son père, « passé maître dans l'art de déceler les ressorts cachés de l'opinion ». Le texte s'achevait par une formule énigmatique : « le Semeur lançait aussi ses graines dans les buissons d'épines »...
Isabelle Ficek
Écrit par Isabelle FICEK
Journaliste
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