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Algérie: derrière la candidature de Bouteflika, la guerre de l'ombre

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  • Algérie: derrière la candidature de Bouteflika, la guerre de l'ombre

    Par Catherine Gouëset, publié le 07/03/2014 à 11:25, mis à jour à 18:40
    L'annonce de la candidature d'Abdelaziz Bouteflika, 77 ans, suscite colère et incompréhension en Algérie. Seules les guerres de l'ombre entre les clans prétoriens qui dirigent le pays permettent de comprendre cette farce.

    Engoncé dans son fauteuil, Abdelaziz Bouteflika, 77 ans, a péniblement susurré sa décision de se porter candidat à un quatrième mandat présidentiel, mardi. Le pathétique vieillard, dont la déclaration était filmée par la télévision publique, n'a été capable de prononcer que 37 mots, selon le décompte approximatif de Kamel Daoud. Approximatif, parce que "dans les trois phrases, deux étaient proches du langage, une était à la frontière du SMS", ironise le chroniqueur du Quotidien d'Oran, déplorant que l'Algérie soit "l'unique pays au monde où l'argument d'un candidat n'est pas un programme, mais la preuve qu'il est vivant".


    Il s'agissait de la première déclaration publique du président depuis l'accident vasculaire dont il a été victime en avril 2013 qui lui avait valu une hospitalisation de 80 jours à Paris.
    La triste prestation du vieil homme très diminué, censé diriger un pays où près de la moitié de la population a moins de 25 ans, était si grotesque qu'elle a provoqué des manifestations à travers le pays, et donné naissance à un mouvement de contestation, "Barakat" (Ça suffit), que les autorités sont déterminées à étouffer.
    Manifestations contre une nouvelle candidature de Bouteflika à Algers, le 1er mars.
    Reuters/Ramzi Boudina
    Comment expliquer la candidature de "Boutefliquatre" le "mort-vivant", selon la formulation du Quotidien d'Algérie?
    Armée contre services secrets

    Probablement parce que depuis son arrivée à la présidence en 1999, le président algérien joue "de manière plutôt satisfaisante", un "rôle de façade civile du régime". Derrière cette vitrine, les véritables maîtres sont l'armée et les services de renseignements (Département du Renseignement et de la Sécurité, DRS), juge le site Algeria-Watch, créé par des journalistes algériens exilés.
    La candidature de Bouteflika intervient après des rumeurs et une agitation inhabituelle ces dernières semaines. Tout est parti d'une salve du secrétaire général du FLN, le 3 février, contre le tout-puissant général Mohamed Mediène, dit "Toufik", patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), les services secrets.
    Amar Saïdani pointait les échecs du DRS lors de l'assassinat du président Mohamed Boudiaf en 1992, celui des moines français de Tibehirine, en 1996, ou encore de l'attaque terroriste du complexe gazier de Tiguentourine, en janvier 2013, qui avait couté la vie à une quarantaine d'otages.
    C'est la première fois que "Toufik", un personnage secret qui n'est jamais apparu en public, était visé ouvertement par de telles accusations.
    Le clan du DRS a vivement réagi, s'en prenant au frère cadet du chef de l'Etat, Saïd Bouteflika qui fait office de directeur de cabinet, ainsi qu'au général Gaïd Salah, le chef d'état-major de l'armée (lui-même âgé de 74 ans).
    Abdelaziz Bouteflika aux côtés du général Gaïd Salah en juin 2012.
    Reuters/Ramzi Boudina

    Les deux clans de gérontes s'affrontent depuis plusieurs mois déjà, comme en témoigne la mise à la retraite par le général Gaïd Salah, en janvier d'officiers du DRS, les rumeurs de limogeage de "Toufik" ou l'arrestation de son adjoint au DRS, le général Hacène, pour "activités séditieuses". En face, tous les moyens sont bons pour se défendre. Ainsi, un ancien du DRS, proche du général Mediène, Hichem Aboud, a adressé une lettre à Said Bouteflika où il l'attaque au sujet de sa supposée "homosexualité" et le menace de révélations sur la corruption du clan présidentiel. Un appel téléphonique anonyme au général Gaïd Salah lui aurait même rappelé, selon le Quotidien d'Algérie, la mort dans un "accident de voiture" en 1996 du général Saïdi Fodil, que l'ancien président Liamine Zeroual voulait nommer à la place du trop puissant "Toufik".
    L'armée et le DRS ont pourtant su rester unis depuis le coup d'état du 11 janvier 1992, pour se partager les bénéfices de la rente pétrolière et gazière, mais le pouvoir des services secrets n'a cessé de s'étendre, tout en se dissimulant derrière un pouvoir civil. Ce qui n'a pas empêché la formation de plusieurs clans dont chacun présente "les caractéristiques d'une société secrète" et "dont les membres tentent de s'autonomiser, testent leur force, s'équilibrent, se surveillent, coopèrent, s'affrontent et se neutralisent mutuellement en respectant une ligne rouge absolue: rester solidaires face à l'adversité, c'est-à-dire face à une population qui ne profite pas des richesses du pays", analyse José Garçon, l'une des meilleures spécialistes de l'Algérie dans la presse française.
    Un scrutin joué d'avance

    Les dissensions se seraient aggravées depuis l'attaque de Tiguentourine. "L'armée estime que le DRS doit retrouver sa vocation stratégique de défense de la sécurité nationale, largement abandonnée", croit savoir Algeria-Watch. Les services secrets ont été incapables de faire leur métier, le renseignement, afin de préserver ce qui constitue un intérêt vital pour le pays, les ressources énergétiques.
    Pour certains observateurs, le clan Bouteflika (sa famille et les hommes d'affaires qui l'entourent) ne pèse pas lourd face à ces deux pôles du pouvoir. Pour d'autres en revanche, comme le chercheur Luis Martinez, le clan présidentiel a une réelle emprise sur le pays et a commencé avec succès à mettre "sous tutelle des services de renseignements". "Ce serait le dernier "service" rendu par le président à son pays, ajoute Jean-Pierre Séréni, autre bon connaisseur du jeu d'ombres algérien: le débarrasser de l'emprise du DRS qui, sous une forme ou une autre surdétermine depuis l'indépendance le fonctionnement effectif des pouvoirs publics".
    Seule certitude pour la plupart des observateurs, il n'y a rien à attendre de l'élection présidentielle du 17 avril, jouée d'avance... comme les précédentes. "S'il est candidat, c'est qu'il entend être réélu, et va être réélu", constate le journaliste Akram Belkaïd.
    Un vice-président pour assurer la continuité?

    "L'enjeu réel de cette 'nouvelle guerre de clans' n'est ni l'instauration d'un 'Etat civil' en lieu et place d'un 'Etat-DRS', mais davantage plutôt le partage du pouvoir (et non plus seulement de la rente comme on le répète souvent) entre prétoriens en vue de préparer l'après-Bouteflika", analyse de son côté le politologue Mohammed Hachemaoui.
    L'une des idées-forces pour cet "après" réside, selon José Garçon, "dans un amendement de la Constitution afin d'y introduire la fonction de vice-président". Comme il est peu probable que Bouteflika, une fois réélu en avril prochain, "aille au bout de ce mandat prévu en 2019, il reviendrait au vice-président de l'achever ... avant de briguer une nouvelle législature, et sans doute une deuxième".
    Ce qui explique sans doute l'appel d'un autre ancien chef de gouvernement, le réformateur Mouloud Hamrouche, à faire tomber le régime de Bouteflika "dans le calme", avec l'aide de l'armée. "Nous avons plusieurs exemples où l'intervention de l'armée a permis en fin de compte à mettre un système démocratique plus au moins réussi même si cela demande beaucoup de temps en effet", plaide-t-il dans une interview
    au site TSA. "Plusieurs jeunes cadres de l'armée ne cachent plus leur 'honte' d'être dirigés par une caste affairiste", croit savoir le Quotidien d'Algérie. Un putsch de jeunes généraux contre les vieux généraux? Le printemps algérien peut encore attendre.
    l'express
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