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L’enseignement du berbère en Algérie:Les défis d’un aménagement linguistique

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  • L’enseignement du berbère en Algérie:Les défis d’un aménagement linguistique

    La langue berbère vit, depuis les années 90, un moment décisif de son histoire. Des décisions historiques majeures sont prises dans les deux principaux pays concernés (Algérie, Maroc) par les plus hautes autorités de l’Etat. Elles concernent principalement la question de l’enseignement de cette langue. Celui-ci, vu l’importance des enjeux pédagogiques, culturels et politiques, doit obéir à des règles de scientificité et d’objectivité. Notre intervention alimentera le débat autour de cette question à partir de deux expériences : l’une personnelle, et concerne l’enseignement du berbère que nous avons nous-même pris en charge à l’université de Toulouse II, et l’autre internationale, et concerne l’expérience de l’intégration du berbère dans le système éducatif marocain. L’objectif étant d’apporter quelques éléments de réponse au débat sur l’aménagement linguistique en Algérie, un débat qui détermine l’avenir du berbère dans ce pays».
    Repères historiques : l’enseignement du berbère en Algérie
    Rappelons d’abord qu’en Algérie, le berbère a été institutionnalisé très tôt, c’est-à-dire dès 1880 à la Faculté des lettres d’Alger, initialement appelée l’Ecole supérieure des lettres, puis à l’Ecole Normale de Bouzaréah. Très vite après, respectivement en 1885 et en 1887, un brevet de langue kabyle et un diplôme de « dialectes berbères » sont créés. La Faculté des lettres d’Alger, mais également l’Institut d’Etudes Orientales formeront ainsi un nombre important de berbérisants qui ont beaucoup apporté à la langue et à la culture berbères.
    La chaire de berbère à la Faculté des lettres d’Alger, fut successivement occupée par des noms prestigieux : René Basset, André Basset et André Picard. Elle sera supprimée à l’indépendance. De toute cette tradition d’enseignement du berbère et de formation berbérisante, ne subsistera plus que le cours, tout juste toléré, de Mouloud Mammeri à la Faculté des Lettres d’Alger (1965-1972). Il s’agit d’un cours complémentaire en option rentrant dans le cadre de diplômes délivrés par cette Faculté.
    Depuis, pour disposer d’une formation en berbère souvent de 3ème cycle, il fallait se tourner vers des pays occidentaux comme la France, l’Angleterre ou encore les Etats-Unis.
    En effet, l’Algérie, pays désormais indépendant, entendant reconstruire l’unité nationale, jugeait impérieux, dans le cadre d’une vision arabo-musulmane très marquée, de nier toute forme de diversité linguistique susceptible de mettre en
    danger, à ses yeux, l’unité de la nation. (V. S. Chaker, 1989 ; V. A. Bounfour, 1994). A partir de là, tout enseignement du berbère, fut-il à une échelle strictement universitaire, était perçu comme potentiellement porteur de risques majeurs de conflit.
    Il faut attendre plusieurs décennies pour renouer avec cette tradition et aboutir enfin, en 1995, à la création du HCA (Haut Commissariat à l’Amazighité) et à l’enseignement à nouveau de la langue berbère.
    Dans l’article 4, le décret du 28 mai 1995, portant création de cet organisme directement rattaché à la Présidence de la République, il est précisé que le HCA a pour mission : « La réhabilitation et la promotion de l’amazighité en tant que l’un des fondements de l’identité nationale ; l’introduction de la langue amazighe dans les systèmes de l’enseignement et de la communication ».
    L’enseignement de la langue berbère était l’une des plus importantes revendications de toujours du Mouvement culturel berbère algérien. Cet enseignement qui a l’immense avantage d’exister, souffre tout de même d’un certain nombre de difficultés qui limitent son action : imprécision des objectifs pédagogiques, absence d’instruments didactiques, moyens financiers et humains limités, etc. L’heure est peut-être venue, comme le préconise à juste titre Le Centre National Pédagogique et Linguistique pour l’Enseignement de Tamazight (CNPLET), pour un aménagement linguistique doté d’outils didactiques adéquats et de moyens humains suffisants et formés pour cette tâche pédagogique qui ne peut être improvisée. L’Algérie dispose désormais d’une expérience appréciable d’enseignement/apprentissage qui autorise une évaluation objective dans le but d’asseoir cet enseignement sur des bases scientifiques solides. (V.N. Tigziri, Laceb, 2002). Il serait donc intéressant de faire appel aux expériences d’aménagement et d’enseignement des langues maternelles non officielles de par le monde, dans certains pays occidentaux, mais également au Maroc, comme on va évoquer ci-dessous, dont la situation sociolinguistique est comparable.
    Diversité et unité de la langue berbère
    Avant d’aller plus loin dans notre propos, interrogeons-nous d’abord sur le contenu de l’appellation «langue berbère». Il est vrai que l’on assiste
    aujourd’hui à une extrême fragmentation de cette langue. Sa présence sur des territoires distants les uns des autres affaiblit considérablement les échanges linguistiques et favorise énormément le morcellement de la langue aussi bien sur le plan lexical que phonétique.
    La facilité des moyens de communication au sens large, ces dernières décennies, a considérablement atténué1 ce problème en favorisant le contact entre les groupes berbérophones, mais il n’en demeure pas moins vrai que cette langue a souffert jusqu’à une date récente de l’absence de ce qui pouvait être l’atout majeur de son uniformisation et sa promotion à savoir une instance de normalisation officielle.
    Cet état de choses amène les linguistes à considérer la notion de langue berbère comme une abstraction linguistique et non une réalité sociolinguistique identifiable et localisable. La seule réalité observable, ce sont en effet les usages locaux effectifs. Cette diversité, inhérente à toutes les communautés et à tous les systèmes linguistiques et non pas seulement au berbère, n’est pas incompatible avec l’unité fondamentale de cette langue. Même les grandes langues à vieille tradition scripturale ou normalisatrice connaissent ce phénomène universel. Il n’existe pas de langue homogène, identique à elle-même à tout point de vue. La sociolinguistique a depuis longtemps remis en cause cette illusion. La langue amazighe souffre justement de ces clichés largement répandus aussi bien dans la masse que chez certains intellectuels non spécialistes1.
    La tradition berbérisante française a toujours fait sienne cette thèse d’unité. Venture de Paradis, l’un des premiers explorateurs linguistiques qui a mené ses enquêtes vers 1787-88 (publiées en 1838), reconnaissait déjà que le kabyle et le chleuh comme étant deux dialectes d’une seule et même langue. R. et A. Basset, grandes figures de cette tradition, ont toujours confirmé que «la langue berbère est une et chaque dialecte n’en est qu’une variante régionale».
    Cependant, depuis 1985, des linguistes comme L. Galand parlent de langues berbères. Cette approche pluralisante est en rupture totale avec la conception unitaire jusque-là admise partout et par tout le monde y compris même la tradition arabe qui depuis toujours a considéré les Berbères comme un seul peuple, comme une seule nation et ce malgré l’extraordinaire fragmentation de ses tribus.
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    dz(0000/1111)dz

  • #2
    Si l’on peut effectivement relever dans certains parlers périphériques (Libye, Egypte, Mauritanie) ou dans le touareg des phénomènes linguistiques spécifiques rebelles aux données de la langue berbère nord, il y a lieu de les considérer non comme des systèmes autonomes, mais bien plutôt comme des «modalités particulières de réalisation». Les différences sont à mettre sur le compte de ce qui est bien connu dans les études dialectologiques à savoir la variabilité et l’enchevêtrement trans-dialectal et intra-dialectal (V.S. Chaker, 1989).
    La thèse de l’unité de la langue berbère confirmée par des travaux récents met en évidence une hiérarchie à trois niveaux bien distincts : d’abord, au sommet, il y a la langue berbère, ensuite les dialectes régionaux correspondant à des aires d’intercompréhension immédiate comme le rifain, le kabyle, etc., et enfin, les parlers locaux correspondants, eux, à des usages intra-tribaux se caractérisant par des particularités phonétiques, lexicales rarement grammaticales et qui trahissent l’origine géo-linguistique des locuteurs.
    Le berbère : de l’oralité à la scripturalité
    Le passage à l’écrit des langues orales pose bon nombre de difficultés aussi bien aux chercheurs qu’aux politiques2. Mais il y a les langues qui, pour des raisons diverses, ne sentent pas le besoin de ce passage ; elles résistent tant bien que mal, mais elles sont à terme condamnées à l’extinction. Et il y a les langues qui voient s’accroître, sous la pression du sentiment identitaire ou nationaliste de ses locuteurs, le besoin d’accès au marché scriptural. Se pose alors le problème du choix d’une graphie et celui des moyens à mettre en oeuvre pour uniformiser une réalité linguistique caractérisée forcément par la diversité.
    Pour noter le berbère, nous avons trois systèmes d’écriture rivaux : la graphie latine, le tifinagh et la graphie arabe.Jusqu’à une date récente, c’est vers les pays d’immigration qu’il fallait se tourner pour trouver des expériences d’enseignement du berbère en graphie latine. En France, par exemple, où l’on dispose de plusieurs centres d’enseignement et de recherche universitaire s’intéressant au berbère, la graphie latine semble prédominante eu égard à l’importance de la production scientifique à laquelle elle a donné lieu ces dernières décennies3. Le tifinagh est marginalement utilisé par les Touaregs et une partie des Kabyles. Quant à la graphie arabe, elle a toujours été, depuis le Haut Moyen Age, la tradition chez les Ibadites et au sud du Maroc.
    Avant de voir quels sont les arguments des uns et des autres en faveur de l’un ou de l’autre des systèmes en question, il convient de rappeler que la langue berbère est en effet une langue orale partout où elle est parlée, mais elle est, curieusement de ce point de vue, non pas en passe de découvrir pour la première fois une graphie, mais elle tente de récupérer une graphie qui est la sienne et qu’elle a perdue il y a près de deux millénaires.
    Ce système graphique, appelé libyco-berbère, est l’ancêtre de l’écriture touarègue encore en vigueur, de façon marginale certes, chez la population de ce nom au Sahara et au Sahel.
    Cet alphabet libyco-berbère n’a pas fait l’objet d’une vaste utilisation pouvant lui donner un caractère tant soit peu officiel à l’échelle de l’amazighie (aire de l’amazighophonie). Par conséquent, la langue amazighe, n’a jamais joui au cours de toute son histoire du statut de langue écrite connue et reconnue à large échelle. C’est ainsi que les chercheurs ne peuvent que rester sur leur faim quand il s’agit de vouloir consulter, dans cette langue, une quelconque production littéraire malheureusement inexistante. Les études linguistiques portant sur la diachronie de la langue s’en trouvent particulièrement affectées. En matière d’évolution de la langue, les linguistes berbérisants s’en remettent à des formulations hypothétiques étant donné la profondeur historique qui sépare le berbère moderne du proto-berbère ou du berbère ancien.
    L’autre aspect du débat à propos de l’amazighe concerne l’alphabet pouvant prendre en charge son passage à l’écrit. Ce passage étant la condition impérative pouvant permettre à cette langue de se maintenir dans un monde où l’écrit règne en maître et où l’école représente le lieu incontesté de la transmission du savoir. C’est ainsi que le débat va s’imposer et mettre en confrontation trois options différentes pour tenter de réussir au mieux ce passage : celle de l’alphabet tifinagh, celle de l’alphabet arabe et celle de l’alphabet latin.
    L’alphabet tifinagh
    Les tenants de cette option mettent en avant la dimension psychologique et symbolique dont est investi cet alphabet. Ce choix permettrait de renouer avec l’histoire, de se la réapproprier et de consolider une identité linguistique et culturelle partie en miettes depuis longtemps sous l’effet des invasions successives. Selon ses tenants, cette option serait l’option de l’unification par la graphie, une graphie promue en symbole idéologique.
    Le tifinagh est issu du libyco-berbère. Celui-ci, d’origine probablement phénicienne, daterait au moins du VIe siècle av. J. -C. Mais la plus ancienne inscription libyque dont on soit sûr date de -138. C’est une dédicace de la dixième année du règne du roi numide Micipsa.
    La parenté fondamentale entre le libyque et le berbère actuel est définitivement établie tant sur le plan phonologique (en dehors de quelques articulations nouvelles dues plus à l’évolution de la langue et à l’emprunt qu’à la structure fondamentale de la langue, on note la présence quasi-totale des phonèmes), morphologique (le « t » initial des noms féminins et le « n » final du pluriel, par exemple) que syntaxique (l’ordre canonique VSO, la préposition « n » du complément déterminatif, etc.).
    A l’époque punique, le libyque semble avoir atteint un niveau non négligeable de vogue notamment avec le règne des rois numides comme Massinissa et Micipsa. L’époque romaine, en revanche, semble, elle, réserver à cet alphabet un destin plutôt moribond et ce, malgré les traces qu’on en trouve chez certains auteurs latins tardifs comme Coripus et autres. Chez les Arabes, arrivés après, on n’en trouve aucune mention, ce qui laisse supposer que son extinction était établie bien avant eux5.
    L’alphabet libyque pose un certain nombre de difficultés relatives à son déchiffrement (V. A. Basset, 1959 ; J-G. Février, 1956 ; L. Galand, 1966 ; S. Chaker, 1984). Malgré les nombreuses inscriptions, qu’on a découvertes (plus de mille dont un certain nombre de bilingues : punique/libyque, latin/libyque) notamment dans les régions fortement punicisées au nord du Maghreb, cet alphabet n’a pas encore livré tous ses secrets. Il y a beaucoup de raisons à cela : d’abord, comme ses congénères sémitiques, l’alphabet libyque ne note que les consonnes, ensuite les groupes consonantiques ne sont généralement pas séparés ce qui pose le problème de l’interprétation. Ajoutons à cela l’énorme distance historique (environ 2000 ans) qui sépare le berbère moderne de son ancêtre le libyque, sachant que des changements notables ont dû affecter la langue depuis.
    L’autre difficulté qui surgit encore à cet égard est celle de la diversité de cet alphabet même. Il y aurait à distinguer entre pas moins de quatre alphabets :
    1- le libyque oriental qui est le mieux connu et le plus attesté. Il concerne le nord de la Tunisie et le Constantinois, autrement dit la Numidie.
    2- le libyque occidental, il couvre l’aire des deux Mauritanies tangitane et césarienne, autrement dit l’Algérie occidentale et le Maroc. Les inscriptions de ce libyque sont moins nombreuses et plus courtes.
    3- les inscriptions touarègues ancêtres des tifinaghs actuels. Elles sont répandues sur la zone saharienne.
    4- les inscriptions des Iles Canaries apparentées évidemment aux écritures berbères.
    C’est ainsi que d’aucuns en arrivent à se demander si l’alphabet tifinagh est vraiment en mesure de prendre en charge la graphie berbère et d’en assurer la viabilité surtout quand on sait par ailleurs que si les tifinaghs sont familiers aux Touaregs, ils restent dans une large mesure assez étrangers à beaucoup de Berbères dont les Algériens et les Marocains, les plus nombreux par ailleurs.
    dz(0000/1111)dz

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    • #3
      L’alphabet arabe
      Cette option qui a elle aussi ses défenseurs met en avant des arguments relatifs notamment à la parenté généalogique entre l’arabe et l’amazighe, la familiarité qu’a l’alphabet arabe auprès des masses amazighophones ainsi que l’affinité religieuse qu’ont ceux-ci avec les caractères arabes investis de sacralité.
      Ces arguments étant certes, tous vrais, mais force est de constater, rétorque-t-on, que la parenté est tout simplement méconnue du grand public, la familiarité, elle, ne concerne que les berbérophones lettrés (la majorité étant analphabète) et enfin la sacralité ne fera qu’approfondir l’inséparable « couple » arabité/islamité.
      Signalons enfin que la graphie arabe n’a jamais fait l’objet d’une quelconque uniformisation dans ce sens et que toute la production berbère en caractères arabes était et est toujours livrée, jusqu’à présent, aux appréciations et aux ajustements intuitifs de son auteur.
      L’alphabet latin
      Parmi tous les systèmes d’écriture proposés, la graphie latine diacritée semble être prédominante à en juger par l’énorme production scientifique et aussi littéraire de ces dernières décennies. Cette option constitue un prolongement à la science coloniale de près d’un siècle et qui avait pour pôles principaux : Paris, Alger et Rabat. Depuis les indépendances, elle est enrichie par les études des berbérophones eux-mêmes et consolidée par des pôles scientifiques non français : européens et anglo-saxons. Mais, c’est par le fait même de ce rapport avec le passé colonial que cette graphie rencontre des résistances voire des rejets. La graphie latine n’est-elle pas, disent certains, une survivance déguisée de ce dont voudraient s’éloigner justement les États concernés et ce, par une politique linguistique axée sur l’arabisation à outrance.
      Pourtant, l’alphabet latin est doté d’une grande adaptabilité. Il est emprunté par plusieurs langues et plusieurs familles de langues, chacune d’elles, l’adapte fort bien à ses besoins phonologiques. Il a par ailleurs l’énorme avantage de fournir au berbère une entrée immédiate dans la modernité et l’universalité eu égard à la familiarité dont il jouit de par le monde. Ce qui n’est évidemment le cas ni de l’alphabet arabe, ni, encore moins, de l’alphabet tifinagh. N’oublions pas non plus qu’un long processus d’aménagement linguistique s’est opéré au fil des décennies et des recherches depuis plus d’un quart de siècle.
      Standardisation et enseignement de l’amazighe
      Entre autres questions posées par l’enseignement du berbère quel que soit le pays, il y a celle de la notation de la graphie et de sa codification, celle de la standardisation, celle de l’objet de l’enseignement (le parler local, le géolecte ou le pan-berbère), celle de sa généralisation à l’ensemble des cycles, à l’ensemble des apprenants, de son option ou de son obligation pour tous, etc.
      Pour ce qui est de la codification de la graphie qui représente une tâche préalable à toute opération de standardisation de la langue, il y a lieu de distinguer deux niveaux différents : d’un côté le choix d’une graphie et de l’autre, le mode de transcription de cette graphie.
      Pour cela, il existe deux types de transcriptions tout à fait distincts, la transcription phonétique et la transcription phonologique : la première s’attache à transposer le plus fidèlement possible toutes les particularités phonétiques des dialectes ou des parlers que l’on étudie. Le transcripteur note toutes les variantes individuelles, dialectales ou contextuelles observées, la seconde, celle qui est préconisée par la plupart des berbérisants dans une perspective pan-berbère, permet entre autres d’éliminer les variantes dialectales, les variantes contextuelles, notamment l’emphatisation et la sonorisation, les variantes vocaliques en s’en tenant uniquement au triangle vocalique fondamental et de rétablir les assimilations dans leur forme initiale. (cf. Taïfi, 1992).
      C’est ainsi qu’au Maroc, pour le choix d’une graphie, l’IRCAM a opté pour le tifinagh5. Ce choix est fondé sur une approche à tendance phonologique. Ce système graphique supradialectal présenterait l’avantage d’unifier l’amazighe au niveau de l’écrit tout en permettant des réalisations phonétiques particulières au niveau de la prononciation des unités phoniques, de l’accent, de l’intonation, du rythme, etc. (cf. Ameur & Bouhjar, 2003). L’objectif visé étant que le même texte écrit en amazighe soit lu par les locuteurs, éventuellement selon leurs données phoniques et prosodiques natives, exactement comme un texte écrit en alphabet arabe et lu différemment dans d’autres pays arabes, en Egypte, dans le Golfe ou ailleurs.
      L’autre question à laquelle est confronté l’enseignement du berbère est celle de la standardisation. Mais face à la réalité sociolinguistique du berbère, celle-ci requiert d’abord que l’on réponde à une question centrale qui déterminera les actions futures de normalisation. En effet, quel est l’objet à normaliser6 ? Est-ce le parler local, le géolecte ou le pan-amazighe pour en faire l’amazighe commun ?
      Même si la troisième option semble se fonder sur certains arguments solides comme l’unité de la langue au niveau de toute la Berbérie, le symbole idéologique fort, etc., elle a été à juste titre vite écartée parce que trop coûteuse, et de surcroît très risquée. Les linguistes berbérisants comme S. Chaker, mettent en garde contre l’élaboration d’un « monstre normatif » sans ancrage dans la réalité sociolinguistique et culturelle, à supposer que l’on puisse aplanir les difficultés inhérentes à la construction de son identité linguistique au niveau phonologique, morphologique, lexical et syntaxique (V. A. Boukous, 2003).
      Sur le plan pédagogique, cette option aurait l’immense inconvénient de détourner les apprenants d’une langue non familière assimilable aux langues non maternelles enseignées jusqu’ici à l’école avec les conséquences désastreuses que l’on connaît désormais en termes d’échec scolaire, d’insécurité linguistique, de haine de soi, d’aliénation, etc. (cf. Saib, 1995).
      Enfin, avec cette option, le risque est grand d’aboutir, comme l’a perçu S. Chaker, à une situation diglossique dans le domaine amazighe à l’instar de celle que connaît l’arabe. C’est ainsi qu’un consensus s’est formé entre les spécialistes autour de l’option de la standardisation de l’amazighe en deux étapes :
      « La première correspond à la normalisation de la situation linguistique intragéolectale, au niveau des grandes aires dialectales. Cela permet d’une part, de rester « collé » à la réalité sociolinguistique géolectale pour assurer les conditions de la sécurité linguistique et culturelle des communautés régionales, et d’autre part, d’obtenir un consensus nécessaire au succès de l’entreprise au niveau des différentes sensibilités régionales.
      La seconde étape correspond à la mise en place de l’opération de standardisation intergéolectale. Ce travail qui doit servir de base à la standardisation pan-amazighe, permet d’évaluer la nature et le volume des différences phoniques, morphologiques et lexicales entre les parlers dans le but d’apprécier à leur juste valeur les divergences significatives entre les dialectes
      » (V. A. Boukous, 2004)
      Cette stratégie à un double avantage. D’abord, elle garantit la proximité sociolinguistique du géolecte aux locuteurs des parlers d’une même aire dialectale et culturelle, ensuite, elle transcende les différences dialectales superficielles pour établir un pont d’intercompréhension à l’échelle nationale au service non seulement des berbérophones, mais également des arabophones soucieux d’accéder à cette langue ainsi normalisée6.
      L’unification de la langue est très attendue de la part des amazighophones et la pression militante se fait sentir chaque jour davantage. Mais le berbère connaît une situation inédite de son histoire, et les défis sont donc importants. Son aménagement s’inscrit dans cette conjoncture urgente certes, mais l’urgence ne devrait pas conduire à l’improvisation et à la précipitation. La réalisation de cette tâche devrait adopter une approche méthodique, rationnelle, progressive et flexible intégrant une démarche alliant la recherche, l’implémentation, l’expérimentation et la régulation. (V. A. Boukous, 2003).
      dz(0000/1111)dz

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      • #4
        Enfin, et pour rester fidèle à l’esprit de la Charte universelle des droits de l’homme et aux principes de l’éducation universelle préconisés par l’UNESCO, lesquels sont basés sur une approche rationnelle et équitable de l’insertion de la langue maternelle dans l’éducation, l’enseignement du berbère devrait être généralisé à l’ensemble de la population scolaire, en appliquant bien évidemment les principes didactiques qui s’imposent (ceux de L1 pour les amazighophones et L2 pour les arabophones), devrait être obligatoire au même titre que les autres enseignements fondamentaux afin d’éviter la baisse bien connue de l’investissement psychologique des élèves pour les enseignements optionnels non sanctionnés par une évaluation formelle, et intégré pleinement et entièrement dans les différents cycles du système éducatif, du préscolaire au supérieur. L’objectif est de former une génération de citoyens épanouis dans leur être, dans leur société ; ouvert sur le monde et sur les valeurs universelles qui fondent l’humanité.

        Références bibliographiques :
        1) AMEUR M. & BOUHJAR A. 2003 : « Norme graphique et prononciation de l’amazighe », in Prologue, Revue Maghrébine du Livre, n° 27/28, pp. 21-28.
        2) AMEUR M. & BOUMALEK A., (Dir.) 2004 : « Standardisation de l’amazighe »,
        Actes du séminaire organisé par le Centre de l’aménagement linguistique à Rabat du 8 au 9 décembre 2003, IRCAM, Rabat, p 278.
        3) AOURID, H. 1999 : « Les identités enrichissantes »,
        Le Journal, du 3 au 9 avril, Rabat. in Cahier du Centre Tarik Ibn Zyad, Casablanca.
        4) BASSET, A. 1959 : « Écriture libyque et touarègue »,
        Articles de dialectologie berbère, Paris, pp. 167-175.
        5) BOUKHRIS F. 2003 : « Tradition berbérisante et prémices de la standardisation de l’amazighe », in Prologue, Revue Maghrébine du Livre, n° 27/28, pp. 35-42.
        6) BOUKOUS, A. (Coord.) 2003 : « L’amazighe : les défis d’une renaissance », Prologue, Revue Maghrébine du Livre, n° 27/28.
        7) BOUNFOUR A. 1994 : Le Noeud de la langue. Langue, littérature et société au Maghreb, Aix-en-Provence, Edisud, 135 p. (Institut National des langues et Civilisations Orientales - Centre de Recherche Berbère, 3).
        8) CHAFIQ, M. 1989/93 : Dictionnaire arabe-amazighe, (en arabe), Académie du Maroc
        9) CHAFIQ, M. 2000 : Pour un Maghreb d’abord maghrébin, Publication du centre Tarik ibn Ziyad pour les études et la recherche, Rabat.
        10) CHAKER, S. 1984 : Textes en linguistique berbère, Paris, Éditions du CNRS.
        11) CHAKER, S. 1989 : Berbères aujourd’hui, Paris, l’Harmattan.
        12) FEVRIER, J.G. 1956 : « Que savons-nous du libyque? » Revue africaine, 100, pp. 263-273.
        13) GALAND, L. 1966 : « Inscriptions libyques », Inscriptions antiques du Maroc, Paris, pp. 1-79.
        14) GALAND, L. 1986 : « La langue berbère existe-t-elle? », Mélanges linguistiques offerts à Maxime Rodinson, Paris, Geuthner.
        15) LEWICKI T., « Queslques textes inédits en vieux berbères provenant d’une chronique ibadhite anaonyme », Revue d’études islamiques, 1934, Cahier III, pp. 275-296.
        16) QUITOUT, M. 1997 : Grammaire berbère (rifain, tamazight, chleuh, kabyle), l’Harmattan, Paris.
        17) QUITOUT, M. 1999 : « L’enseignement des langues orales : le cas du berbère au Maghreb », La Revue des Deux Rives, n°1, Toulouse, pp.155-161.
        18) QUITOUT, M. 2001 : « Le Maghreb, une diversité linguistique en quête de reconnaissance », in pluralité des langues, pluralisme linguistique, quels enjeux pour les systèmes d’éducation et de formation, Paris, l’Harmattan. Ouvrage collectif sous la direction de E. Régnault & T. Longo, pp. 110-115.
        19) QUITOUT, M. 2006 : « L’enseignement du berbère en France et en Europe », Le Monde amazighe, décembre n°79, Rabat. http://www.editions-harmattan.fr/ind...artiste&no=868.
        20) SAIB, J. 1995 : « Apprentissage dans une langue non maternelle et réussite scolaire : le cas des élèves berbères en milieu rural », Awal, 12, pp. 67-88.
        21) SAIB, J. 2003 : « Des méthodes de l’enseignement de l’amazighe : examen rétrospectif et prospectif », in Prologue, Revue Maghrébine du Livre, n° 27/28, pp. 53-60.
        22) TAÏFI, M. 1992 : « L’écriture de la langue berbère : problèmes de notation », Revue de la faculté des lettres de Fès, pp. 139-157.
        23) TIGZIRI, N. 2002 : « Enseignement de la langue amazighe : état des lieux », Passerelles, n° 24, Thionville, [www. passerelles.org].
        par Michel Quitout
        dz(0000/1111)dz

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