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Antonov, miroir du conflit entre Kiev et Moscou

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  • Antonov, miroir du conflit entre Kiev et Moscou

    Robustes, increvables, économes en carburant, d'une capacité de fret inégalée, capables de se poser sur n'importe quelle piste, conçus à l'aide d'un logiciel développé par Dassault Systèmes et d'un prix abordable : à en croire Olexandre Kiva, les avions ukrainiens Antonov ont toutes les qualités. Mais peut-être un seul défaut, que le vice-président et chef des ventes du groupe avoue à voix basse, dans un hangar de l'immense complexe industriel de la banlieue de Kiev : ils ont entre 30 % et 60 % de composants russes.

    Autant dire que si, dans la foulée du référendum qui se tenait dimanche 16 mars en Crimée, les relations entre l'Ukraine et la Russie continuent de se dégrader, voire s'interrompent, l'avenir d'Antonov et de ses 14 000 employés à Kiev s'en trouverait menacé.

    Antonov a déjà failli mourir une fois, au démantèlement de l'URSS. « Le système soviétique était de fabriquer des pièces dans toutes les républiques. Cela a été très long de pouvoir à nouveau produire des avions à Kiev. On a investi 100 millions de dollars pour de l'équipement et de la technologie et on se prépare à investir 300 autres millions », poursuit M. Kiva. Il travaille depuis vingt-cinq ans dans l'entreprise dont son père, Dmytro Kiva, membre de l'Académie des sciences d'Ukraine, est le président.

    Aujourd'hui, Antonov est une entreprise d'Etat ukrainienne dont l'activité consiste à réparer certains de ses 6 000 avions qui volent encore un peu partout dans le monde, mais aussi à exploiter une compagnie aérienne, notamment pour le compte de l'OTAN.

    « ON A TOUS BEAUCOUP À PERDRE »

    Surtout, Antonov développe et promeut de nouveaux modèles, comme l'AN-148, un moyen-courrier, 30 millions de dollars (22 millions d'euros) au prix catalogue. Ce biréacteur, en vente depuis 2009, intègre des pièces et de la technologie de 126 sociétés russes, contre 10 françaises, 11 allemandes, 5 britanniques et 16 américaines.

    Derrière Olexandre Kiva, six AN-148 et sa version plus longue, l'AN-158, sont en cours de montage. Vingt-quatre de ces appareils ont déjà été vendus, notamment à Cuba, à la Corée du Nord, à la Russie et à l'Ukraine. La licence est partagée avec l'usine aéronautique de Voronej, en Russie, qui les produit et les vend aussi. « Ils font la queue et le fuselage, nous faisons les ailes et le nez. Et la conception, c'est nous », poursuit le responsable.

    L'entrepôt est tellement grand que les avions semblent minuscules. Même l'AN-124 Ruslan de la compagnie émiratie Maximus Air Cargo, en réparation à Kiev ces jours. C'est pourtant l'un des plus gros cargos du monde, celui que l'Ukraine et la Russie ont mis à disposition de l'OTAN, à Leipzig, et qui a effectué, en 2013, 140 vols pour la France, notamment pour ses opérations en Afrique.

    C'est sur ce savoir-faire de gros cargos militaires qu'a failli se jouer, en 2000, un destin européen pour Antonov. La compagnie avait répondu à un appel d'offres de plusieurs pays de l'Union européenne – qui choisiront finalement de construire l'Airbus A400M, lequel aura mis treize ans à voir le jour et aura, selon les responsables d'Antonov encore très amers, coûté cinq fois plus cher que prévu. « On se voit chaque année avec Airbus, poursuit Olexandre Kiva. On discute, mais il ne se passe jamais rien. Peut-être ne nous trouvent-ils pas à la hauteur ? Heureusement, d'autres nous apprécient, comme Rolls-Royce, Thales ou Sikorsky. »

    Plus loin dans l'usine, le département des simulateurs de vols : cinq cabines de pilotage montées sur des vérins. Celle de l'AN-148 est en mouvement. Des pilotes russes de Saint-Pétersbourg sont en train de s'entraîner, référendum en Crimée ou pas. « Cette situation est complètement folle, poursuit M. Kiva. On se parle tous les jours avec nos partenaires russes. On a tous beaucoup à perdre avec ces tensions politiques, on espère qu'on va se réveiller bientôt dans un monde normal. »

    « MOSCOU A ABSOLUMENT BESOIN DE CES AVIONS »

    « Moscou a absolument besoin de ces avions, juge Viatcheslav Konovalov, expert aéronautique et membre de l'ONG Euro-Patrol, Même pour la Crimée, parce que les Antonov peuvent s'y poser partout alors qu'il n'y a que deux pistes d'atterrissage pour les Iliouchine [constructeur russe]. Mais les Russes font tout pour gagner du temps, rapatrier le savoir-faire et laisser crever les usines de Kiev. Ils ne paient jamais ce qu'ils doivent et bloquent les contrats de vente d'Antonov en Chine ou en Inde. »

    De fait, encore en attente d'une certification européenne pour ses modèles récents, Antonov a les clients qu'il peut : la Corée du Nord, la Guinée équatoriale ou… la Syrie, pays dans lequel le constructeur a vendu cinq appareils en 2013, que les experts soupçonnent de servir à des fins militaires.

    Pour le grand public, les Antonov sont indissociables de la carrière du marchand d'armes Viktor Bout, retracée dans le film Lord of War, avec Nicolas Cage dans le rôle principal. L'achat, en 1990, sur le tarmac de Tcheliabinsk de ses dix premiers Antonov hors d'âge pour une somme dérisoire a en effet permis au marchand de mort d'alimenter toutes les guerres d'Afrique avec des armes et des munitions de l'ex-URSS. Cette mauvaise réputation des Antonov, certains clients la perpétuent. Selon un rapport au vitriol des Nations unies datant de février, l'armée soudanaise utilise des AN-26 comme bombardiers improvisés pour larguer des barils d'explosifs sur les civils au Darfour.

    « COMPLICES »

    Or selon Mike Lewis, chercheur indépendant et consultant pour l'organisation Small Arms Survey, ces appareils sont entretenus par deux ateliers mécaniques reconnus et alimentés en pièces détachées par les usines Antonov de Kiev. Il recommande des sanctions qui, si elles étaient appliquées, pourraient fragiliser encore davantage la maison mère. « Les Ukrainiens ne semblent pas vouloir savoir à quoi servent les appareils qu'ils entretiennent. Ils se rendent ainsi complices de violations répétées des sanctions contre le Soudan. » Plus troublant, dit-il, les mêmes ateliers d'ingénieurs et techniciens ukrainiens à Khartoum réparent les Antonov des Nations unies, qui apportent de l'aide aux populations soudanaises, et ceux des forces armées, qui les bombardent.

    Réponse d'Olexandre Kiva : « Les pièces détachées peuvent provenir d'autres fournisseurs que nous. Et on ne peut pas savoir ce que sont devenus tous nos avions. Il y en a des centaines dont on a perdu la trace. Certaines autorités aéronautiques, en Angola, au Congo, ne répondent même pas à nos questions. » Et le Soudan ? « Avec Khartoum, la communication est excellente, dans les deux sens », glisse le responsable d'Antonov avant de prendre congé. A l'étage l'attend une délégation importante : des émissaires du ministère irakien de la défense.

    Par Serge Michel (Kiev, envoyé spécial)
    Le Monde
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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