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Alger : « Opération palmiers »

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  • Alger : « Opération palmiers »

    LE MONDE | 21.03.2014 à 18h49 | Par Isabelle Mandraud (Alger, Envoyée spéciale)
    A Alger, aux Sablettes, le 17 février. | Nadia Benchallal pour Le Monde


    Sous les palmiers, la plage. Le long de la Moutonnière, la grande route qui relie Alger au quartier populaire El Harrach en passant par la plage réaménagée des Sablettes, à l'ouest de la capitale, ils sont des milliers plantés telles des sentinelles figées au garde-à-vous, avec leurs palmes toujours enserrées dans des gangues protectrices. Vus du ciel, on dirait une forêt de cure-dents. Et voilà qu'ils prolifèrent aussi par centaines à l'est, au bord de l'autoroute et des grandes artères, transformant depuis près d'une année Alger la Blanche en gigantesque palmeraie. A l'approche de l'élection présidentielle du 17 avril, ces arbres auraient dû devenir la vitrine d'un régime qui cherche à se perpétuer, un argument électoral de plus, en rénovant la plus grande métropole du Maghreb. La campagne officielle a démarré ce dimanche 23 mars. Il n'en est rien.


    On les moque, on les maltraite, ces jeunes « mastodontes » de plus de quatre mètres, implantés à la force de la grue, moins graciles il est vrai que leurs congénères du splendide jardin d'Essai dans le quartier Hamma. « Ces palmiers gigantesques et rêches sont-ils adaptés au paysage algérois, à la finesse de son architecture ? », s'est interrogé le quotidien Liberté. « La wilaya dépense sans compter pour planter des palmiers au milieu de la voie rapide », s'est de son côté insurgé le site Tout sur l'Algérie, pour qui les priorités sont ailleurs : « Les ordures s'amoncellent et les routes sont quasiment impraticables dans la majorité des quartiers. » Un automobiliste a posté sur Internet la photo d'un palmier s'abattant sous une pluie diluvienne en travers de la route, suscitant des commentaires peu amènes, entre « décor soufflable » et « danger mortel ».

    1,5 MILLION DE « CHOUHADAS »
    Plus personne ne semble se rappeler qu'à l'origine du projet, 1,5 million de palmiers – pas moins – étaient censés être plantés sur tout le territoire pour représenter le 1,5 million de « chouhadas » (martyrs) de la guerre d'indépendance, c'est-à-dire le nombre officiel des victimes algériennes, du reste contesté par des historiens. Tel était du moins l'objectif.
    L'initiative n'a pas eu le succès escompté. Démarrée en urgence au début de 2012, elle n'a pas pu être achevée à temps pour les célébrations du cinquantième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, en juillet de la même année. Il restait bien une autre raison de le faire : présenter aux habitants et aux visiteurs le visage d'une Alger rayonnante, verte, apaisée après des années de peur et de repli sur soi, où chacun s'empressait de rentrer à la maison plutôt que de flâner. Une réconciliation physique avec l'espace urbain, en somme, comme celle imposée entre des Algériens traumatisés par une guerre civile qui a duré une décennie. Une réconciliation portée au crédit du président sortant, et qui constitue le meilleur bilan de ses trois premiers mandats. Quoique affaibli par la maladie, Abdelaziz Bouteflika, élu depuis 1999, en sollicite aujourd'hui un quatrième. Place, donc, aux espaces verts et à l'aménagement du bord de mer en espace convivial.
    Le secret qui a entouré « l'opération palmiers » a suscité des commentaires perplexes. Pire : on a parfois soupçonné ces nobles arécacées, plantes pourtant fétiches en Algérie, d'avoir nourri un juteux marché avec l'Espagne. Les Algérois, saturés d'histoires de corruption qui s'étalent tous les jours à la « une » des quotidiens, ont pris pour preuve la méthode ibérique des fourreaux de protection destinés autant à protéger les palmes qu'à les faire blanchir.
    L'enquête s'avère délicate. Au siège de la préfecture, dont le vaste hall est plongé dans un tourbillon de personnes affairées, la journaliste curieuse est poliment éconduite, après que ses papiers et autorisations ont été dûment photocopiés et rangés dans une belle chemise. « On vous rappellera. » Les chefs de chantier renvoient au wali (préfet), qui ne veut pas parler. Les industriels du palmier se défilent. Enfin, pas tous. Kamel Béchir, 37 ans, « dans le palmier de père en fils », est un agriculteur enthousiaste qui gère une exploitation de 450 palmiers à El Hadjeb, aux portes de Biskra, le paradis du Phoenix dactylifera algérien, le palmier dattier.
    Située à 400 kilomètres au sud-est d'Alger, Biskra est le potager de l'Algérie, le berceau de la Deglet Nour, la datte algérienne réputée dans le monde entier, quoique désormais détrônée par sa cousine tunisienne. « Beaucoup de palmiers d'Alger viennent de Biskra, ils sont encore en train de venir en chercher, mais la majorité ne sont pas des dattiers », assure Kamel Béchir. Céder l'une de ses précieuses plantes pour qu'elle finisse asphyxiée au bord de la route ? Jamais de la vie ! « Je n'en ai pas vendu à Alger car, pour moi, le palmier, c'est sacré », tient-il à préciser.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    LES PALMIERS ONT UN SEXE
    Même improductifs, ses palmiers restent précieux pour abriter toutes sortes de cultures maraîchères. Il faut le savoir : les palmiers ont un sexe. Les mâles fécondent les femelles pour donner naissance aux dattes. Autrefois, le vent se chargeait de l'affaire ; désormais, la pollinisation artificielle se fait par clonage ou culture in vitro – comptez un mâle pour 100 pieds femelles. Du moins a-t-on appris que le palmier décoratif d'Alger venait bien, pour partie, de sa terre natale.
    C'est en poussant une porte, au bout d'un couloir de la faculté centrale d'Alger, qui abrite le laboratoire de recherche sur les zones arides de l'université des sciences Houari-Boumediene, que l'on découvre toute son importance dans la vie sociale, culturelle et économique du pays. Toutes les variétés, toutes les oasis sont recensées sur un grand tableau devant le bureau de Nadia Bouguedoura, qui y a consacré dix-huit ans de sa vie, dont onze pour achever sa thèse d'Etat. « J'aime le palmier, même s'il m'a fait souffrir car, voyez-vous, ce n'est pas facile à disséquer, un palmier ! », s'amuse l'universitaire, directrice de recherche, auteure de livres scientifiques sur le sujet et oratrice passionnée du palmier. On en trouve 18 millions en Algérie (contre 6 millions à l'indépendance), répartis sur 169 380 hectares : à l'est au pied des monts Zibans, le long des oueds Souf et Rhir, au centre dans la vallée du Mzab, au sud-ouest près du lac salé de Timimoun… Pour donner une idée de son importance, à Ghardaïa, dans la vallée du Mzab, aujourd'hui en proie à de graves émeutes intercommunautaires, la répartition de l'eau, indispensable aux cultures, se fait encore en fonction du nombre de palmiers, ou alors est distribuée aux familles selon un système ingénieux de comptabilité par noyaux de dattes.
    Source de richesse nationale, le palmier fait vivre 83 000 fermiers en Algérie. Sur les 18 millions plantés, 55 % produisent des fruits, les dattes, et notamment les fameuses Deglet Nour, qui ont rapporté 27,6 millions de dollars (20 millions d'euros) à l'exportation en 2013. Natif d'El Oued, au sud-est du pays, Djilali Mehri, l'un des hommes d'affaires les plus riches d'Algérie, et l'un des plus discrets aussi sans doute, est lui-même un gros producteur du Sud.
    Comparé aux hydrocarbures, qui représentent 90 % des revenus du pays, c'est une microressource, mais dont les Algériens sont fiers. Comme eux, le palmier a subi les vicissitudes de l'Histoire, objet de marchandage et attribut de puissance, abandonné pendant les années de lutte entre l'armée et les groupes islamistes armés. « La décennie noire nous a beaucoup coûté en termes économiques ou même de recherche, on a perdu dix ans », soupire Nadia Bouguedoura. « C'est à cette époque qu'on s'est fait dépasser par les Tunisiens », ajoute-t-elle sombrement. On le jure à Alger : la Deglet Nour est algérienne avant d'être tunisienne, la Tunisie où elle a été implantée un peu comme un cépage cabernet-sauvignon en Floride.
    LE LABEL DEGLET NOUR
    La guerre des dattes, les fruits de la religion comme on les désigne souvent, car ils sont abondamment consommés pendant le mois de ramadan, planerait-elle sur le Maghreb ? Alger est en train de déposer le label Deglet Nour, et Nadia Bouguedoura s'est donné pour mission de protéger cette production made in Algeria. Bien que ne datant pas d'hier, puisqu'elle a commencé à la fin du XIXe siècle, une attaque virale à l'ouest du pays frappe toujours d'interdiction de transport certains palmiers et leurs dérivés, tels les chapeaux, couffins ou paniers. Pour « l'opération palmiers » du régime, soupçonnés d'être infectés de charançons porteurs de maladie, les palmiers de France ou d'Italie ont été retoqués pour embellir la capitale. « J'ai alerté les autorités pour tout arrêter, mais on m'a répondu pas de souci, ils viennent de Biskra. » Le secret des palmiers d'Alger est à ce point gardé que même une brillante spécialiste comme Nadia Bouguedoura ignorait leur origine.
    Triés sur pied, les palmiers d'Alger, désormais, se déploient. Cet été, ils offriront, à l'ombre du quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika qui se profile, un peu de fraîcheur aux familles qui viendront pique-niquer au bord de la mer, aux automobilistes souvent coincés dans des embouteillages monstres, aux barrages de policiers qui continuent de scruter chaque véhicule en pointant un curieux détecteur d'explosif, malgré la levée de l'état d'urgence décrété en 2011.
    Leur coût, lui, reste un mystère.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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