«Le châtiment de ceux qui refusent de s’occuper des affaires publiques est que les affaires publiques tombent dans les mains de moins vertueux qu’eux.»
Platon
Le rire est la politesse du désespoir, dit le vieil adage. C’est sans doute pour exorciser leurs vieux démons, surmonter leurs peurs et tenter de dénouer les fils ténus de la situation politique ubuesque dans laquelle est plongé le pays que des internautes se sont rués sur leur poste pour appeler à la rescousse le comédien Athmane Ariouet en l’exhortant à se porter candidat à la présidentielle à travers une page facebook qui lui est attribuée à tort, alors qu’il n’en possède pas. Cette page a fait le buzz et l’appel a fait le tour des réseaux sociaux. Le vœu exprimé est le même. Que Athmane puisse transcender leurs inquiétudes dans cette mise en scène qui s’apparente à une tragicomédie. Le rire comme thérapie ? Peut-être, mais n’est-ce pas là un signe profond de malaise général qui ronge la société ? Parce qu’ils sont clairvoyants, audacieux et possèdent l’art de concentrer en de courtes formules des vérités essentielles, les humoristes et comédiens, tels des miroirs, réfléchissent nos bassesses, nos petites lâchetés et nos misères.
Athmane Ariouet, qui ne postule à rien du tout, sinon à semer la joie, reste cet irrésistible comédien qui nous a fait rêver dans des moments graves et de détresse en semant tant d’éclats de rire sur sa route. De ses débuts aux premiers succès au cinéma en passant par le théâtre et la télé, pas à pas de l’anonymat à la popularité, il nous livre avec pudeur ses souvenirs professionnels, ses projets inaboutis, sa colère envers les décideurs. Il raconte ses galères, son amour profond pour le travail bien fait et pour le public qui le lui rend si bien. L’homme a gardé intactes sa générosité, ses colères et sa truculence.
Un artiste doué
Le sociologue et ami, Mustapha Madi, qui connaît Athmane mieux que quiconque, nous dresse un tableau cru et plein de tendresse de l’artiste. «Athmane Ariouet est de mon village, M’doukal, et on est tous les deux du même quartier (hara). Lorsque les gens me posent des questions sur mon origine ou sur mon village, je leur réponds que je suis de M’doukal qui a enfanté un génie comme Athmane Ariouet, un docteur célèbre comme Ahmed Aroua, ou un footballeur talentueux comme Mustapha Kouici, sachant que le nombre de ses habitants ne dépasse pas les 15 000 âmes. C’est grâce à Athmane Ariouet que les gens ont connu M’doukal et moins grâce à ses universitaires ou son élite, qui est d’ailleurs importante dans le monde de la gestion de notre pays.
D’abord, j’ai connu Ariouet en étant de la même ‘‘hara’’ et ayant été disciples du même taleb qui nous enseignait le Coran à la mosquée, et qui s’appelait Si Mahmoud (un proche de Athmane Ariouet). Je me souviens très bien de lui ; nous devions d’abord passer chez lui à l’école coranique entre six heures et sept heures trente avant d’aller à l’école française à huit heures qui était dans l’enceinte de la caserne militaire. C’était en 1959/1960. Quand nous avons quitté M’doukal pour nous installer à Alger, à Belcourt (à l’instar de la plupart des habitants du village), nous nous sommes retrouvés dans le même quartier. Au début des années soixante, quand nous fuyions la capitale pour passer les vacances au village, Athmane Ariouet venait aussi, et il était toujours entouré et admiré par tous. Et je crois que c’était là ses débuts dans le théâtre. Il improvisait pour nous des pièces de théâtre en plein air.
Tous, grands et petits, accouraient pour voir Athmane… Même si le théâtre ne suscitait pas l’engouement des villageois à l’époque, y compris dans sa famille… Je dis ceci parce que Athmane est issu d’une famille de lettrés, il y avait des imams, des religieux vénérés et des intellectuels, comme le défunt Ahmed Aroua qui appartient à la même branche que Athmane Ariouet (même si l’état civil français les a séparés). Je me souviens très bien des soirées du 27 du Ramadhan, surtout en été. Athmane nous rassemblait dans le quartier en chantant Ya diwane essalhine… Pendant ces moments d’enfance que nous passions à M’doukal, Athmane était toujours accompagné de son bendir, vêtu de son burnous… je n’oublierai jamais cette image… L’image de Athmane me rappelle toujours M’doukal.
Sociologiquement, je peux affirmer que la langue populaire de Athmane Ariouet est partagée par tous les Algériens. Une langue magnifique comprise par tous, même si M’doukal est un petit village amazigh-chaoui (dont le nom), mais la langue de Athmane est très proche de l’arabe classique que les spécialistes peuvent et doivent adopter facilement comme alternative à cette langue plate qui pollue nos scénarios, nos films et notre théâtre. Athmane Ariouet est la fierté de notre M’doukal…», conclut Madi.
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