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La sakakine fi matabekh hadihi al madina, roman de l’auteur syrien Khaled Khalifa

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  • La sakakine fi matabekh hadihi al madina, roman de l’auteur syrien Khaled Khalifa

    Ce roman a arraché le prix Najib Mahfoudh en décembre dernier. La sakakine fi matabekh hadihi al madina (Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville), édité par Dar Al Ain, est le dernier roman de l’auteur syrien Khaled Khalifa. Un roman qui raconte la descente aux enfers d’une famille. Celle d’une nation. A lire et à méditer.
    Khaled Khalifa choisit Alep, sa ville natale, pour décrire la décrépitude d’un pays sous le long règne d’un dictateur. Non, il ne s’agit pas d’Al Assad, le fils, mais plutôt du père. Son nom, Hafedh Al Assad, n’a pas été cité une seule fois, mais son poids étouffe cette belle ville syrienne. Ses habitants suffoquent sous un règne qui finira par les détruire un à un. La dictature, cette malédiction qui frappe tous les peuples arabes, étouffe les Aleppins comme tous les autres Syriens. Le temps est donc celui du dictateur, puisque la Syrie sombre, comme une fatalité et pour de longues décades, sous le règne du Président dont le nom n’a pas besoin d’être cité. Pourtant, sa présence est omniprésente. Ses services de renseignements tentaculaires et son système d’inféodation sanguinaire, sa corruption des masses populaires et la peur qu’il sème dans les cœurs de ses concitoyens ou plutôt sujets. La violence s’incruste dans tous les interstices du tissu social. Elle métamorphose lentement la vie des hommes et semble décider d’abord de la dégénérescence d’une ville et de la guerre civile larvée qui ne disait pas encore son nom, entre les baathistes et les islamistes à cette époque déjà. Khaled Khalifa, natif d’un village au nord d’Alep, a su décrire comment s’effondre une nation. Après avoir été scénariste pour les télévisions arabes de feuilletons à succès, il a choisi de s’essayer au roman. Un passage qui lui réussit plutôt bien, notamment dans ses constructions littéraires. Ainsi, son tout dernier roman, Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville, qui a reçu le prix Najib Mahfoudh en décembre dernier, est et vient d’être nominé dans la liste courte du Booker arabe, tout comme le précédent, Eloge de la haine (paru en français chez Actes Sud), fait défiler une suite ininterrompue de scènes intenses racontant avec beaucoup d’éloquence une période, une ville, une famille et des individus. Alep aux mille traditions, de la riche cuisine à la musique, en passant par une aristocratie nostalgique et des microcosmes sociaux qui s’enrichissent d’apports de tous genres dans cette ville ouverte où la coexistence islamo-chrétienne est bien ancrée dans l’histoire. Alep n’est pas que ce côté enchantant. Elle est aussi cette peur et cette haine qui minent le quotidien des petites gens et l’enfer de leur existence monotone et monocorde. C’est ce climat que décrit Khaled Khalifa en suivant le cheminement d’une famille aleppine que le roman de Khaled Khalifa accompagne. En bon roman arabe, La sakakine fi matabekh hadihi al madina commence par un non-dit : la fuite du père aux Amériques en compagnie d’une blonde de passage, laissant deux garçons et deux filles en face à face avec une mère qui ne peut pas oublier sa noble extraction et son père, grand fonctionnaire des voies ferrées et qui s’est laissé lentement et élégamment mourir sous les rails d’un train de marchandises. Cette mort atroce décrit à elle seule la détresse d’un homme qui voit sa vie et celle des siens changer. Il refuse la descente aux enfers que l’on veut lui imposer et choisit de mourir sur les voies de la compagnie ferroviaire à laquelle il a consacré toute son existence. Et c’est cette mort lente, renouvelée qui devient le sort de toute une famille. Une famille qui porte le poids d’une mère vivant comme une blessure indigne la maladie de sa fille et l’homosexualité de son frère. L’oncle transmettra sa marginalité sexuelle et son amour de la musique à son neveu. Ce dernier, pour échapper au sort de son oncle, tente l’aventure islamiste jihadiste en Irak, tout en regardant sa sœur Sawssen s’identifier à l’oppresseur. Sawssen, qui en avait marre de la vie misérable à laquelle elle se voyait prédestinée en dépit de sa grande beauté et son instruction élevée, décide de choisir le chemin opposé de son frère. Elle s’embrigade dans les rangs de la milice du Baath au pouvoir non sans avoir accepté d’être la maîtresse d’un des barbouzes du régime. Le drame de cette famille est narré par le frère qui ne s’inscrit presque jamais dans le fil de l’histoire. C’est le témoin de cette descente aux enfers. Il ne se lamente pas. Il ne juge pas sa fratrie. Il fait défiler sous les yeux des lecteurs de cet émouvant roman des personnages avançant sur une corde raide. Une voie toute tracée qui semble les guider tous vers une mort atroce. Une fin inéluctable, comme celle de Rachid, le frère qui a vite épuisé toutes les possibilités de survie dans une Syrie où personne n’arrive plus à survivre. Tourmenté par son esprit artiste, par la voie intégriste qu’il a choisie par la suite et par son incapacité à réintégrer une vie normale, le jeune homme décide d’en finir avec sa prison. Carcérale Syrie qui pousse ses enfants vers deux voies : l’exil ou la mort. Le roman se clôt sur une image terrible. « J’ouvris la porte de notre chambre et je fus pris de vertige. Le corps de Rachid pendait du plafond comme une lampe salie par les restes des mouches. Nizar le vit à travers la porte entrouverte et fit entendre sa plainte. Il savait qu’il allait mourir, mais il attendit l’aube pour s’assurer que le compagnon de sa vie a bien serré le nœud coulant, pour ne laisser aucun doute que la mort est aussi simple qu’un verre d’eau versé sur une terre sèche. » Le jury du prix Najib Mahfoudh a choisi, à juste titre, une des plus belles œuvres littéraires arabes de cette année. « Avec le couteau d’un artiste sculpteur, Khalifa nous présente de belles sculptures romanesques des bribes d’une famille arabe frappée par la violence politique », lit-on dans son rapport. Dans le récit de Khalifa, Alep résiste fortement à la militarisation. Mais le retrait des champs de laitue, symbole autrefois de la ville, et la ruralisation de la ville, symbole de la dégradation, ont incité chaque membre de la famille à trouver sa voie de salut, au milieu de l’hégémonie d’un seul parti, à un moment donné. Et contre la honte de l’individu, se manifestent la honte politique et l’ambiance générale représentée par le régime militaire et les services de renseignements corrompus qui manipulent les personnes et leur devenir, selon, le plus souvent, des intérêts inhumains. Quant au titre très moderne du roman, Il n’y a pas de couteaux dans les cuisines de cette ville, il reflète une douleur tue, qui est sur le point d’éclater. Ainsi, on lit dans les pages : « Elle ne l’a pas entendu en train de la supplier de rester loin de la ruelle qui est devenue dernièrement le sujet favori de la presse locale, vu le nombre de crimes perpétrés. Le dernier en date fut l’homme qui a brûlé sa femme et ses quatre enfants, puis s’est suicidé en utilisant le couteau de la cuisine, hurlant en direction de ses voisins : mourir brûlé est plus honorable que d’attendre de mourir de faim, se demandant amèrement : n’y a-t-il pas de couteaux dans les cuisines de cette ville ? » Ce dernier roman de Khaled Khalifa s’est voulu un témoignage sur une la réalité syrienne le long de 50 ans de l’après-indépendance. En faisant le parallèle entre le destin d’une famille et celui d’un régime, avec en toile de fond le déclin d’une ville, l’auteur syrien a réussi à faire bouger les tréfonds de ses lecteurs arabes qui se sentiront d’une manière ou d’une autre concernés par cette histoire tragique. Une histoire qui n’est, tout compte fait, absolument pas étrangère à leurs propres vécus. Dans cet Alep punie, la vie s’apparente à une longue solitude. Loin de la linéarité de l’Histoire, l’auteur a restitué la vie d’une famille syrienne. Un roman qui s’ouvre sur la mort de la mère et qui se termine par celle de sa progéniture. Tous les symboles ont été convoqués dans ce roman. A lire absolument. <
    g Pas de couteaux dans les cuisines
    de cette ville (La sakakine fi matabekh hadihi al madina), Khaled Khalifa, septembre 2012, Dar Al Adab, 255 pages, 1 300 DA

    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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