A la lecture d’articles dans la presse étrangère autour de la question de l’élection présidentielle et des revendications populaires qui secouent l’Algérie, force est de constater que la littérature sur ce sujet n’est guère florissante. Tout porte à croire que les fortes crispations populaires, s’exprimant dans un contexte sociopolitique extrêmement tendu, n’ont pas encore provoqué une forte mobilisation du côté des médias internationaux, qui auraient sans doute fait couler bien plus d’encre si les manifestations avaient pris une tournure sanglante.
Il faut noter, cependant, que la presse française, comme à son habitude, surveille de près les mouvements protestataires et la campagne présidentielle lancée depuis dimanche dernier, et publie quotidiennement à ce sujet. L’analyse de la plupart des articles publiés autour des problématiques électorale et sociétale algériennes dans le monde révèle que le traitement de ces derniers s’appuie principalement sur trois axes clés qui reviennent de manière quasi-systématique : l’expression d’une vision binaire du système algérien, fondée sur une confrontation entre le pouvoir politique et le pouvoir du DRS – le décryptage des élections, souvent considérées comme gagnées d’avance pour le président Bouteflika – et la tentative, souvent maladroite et peu aboutie, de proposer différents scénarii et analyses prospectifs sur l’après-élection. Ainsi, à travers cette publication, nous reviendrons sur la manière dont sont traités ces différents axes, mais aussi sur la terminologie utilisée pour décrire le système, les élections et, en outre, le président algérien. L’objectif ici est de décrypter le regard porté sur l’Algérie actuellement et les images véhiculées dans les médias étrangers, généralement par des observateurs extérieurs, mais aussi parfois par des Algériens vivant à l’étranger.
AXE 1 : TENTATIVE DE DÉCRYPTAGE D’UN SYSTÈME OPAQUE ET COMPLEXE
Dans de nombreux articles, la dualité du système algérien est mise en exergue, tout comme la puissance de l’appareil étatique et notamment du DRS. Dans une émission Inside Story d’Al-Jazeera, Saad Djebbar, d’origine algérienne et évoluant au sein de l’université de Cambridge, explique que les élections algériennes ne se basent pas sur une lutte partisane, comme la plupart des élections dans le monde, mais sur une lutte entre un « vieux régime » (décideurs militaires, services de sécurité) et le « clan Bouteflika ». Ce qui varie généralement d’un article à un autre, c’est plutôt la nature des rapports de force existant entre la caste politique et l’appareil militaro-sécuritaire : pour certains, le rapport de force est inégalitaire et équilibré ; pour d’autres, le DRS a clairement l’ascendant sur le clan Bouteflika ; enfin, certains considèrent au contraire que le clan du président a pris la main sur les militaires. Dans un article du journal émirati The National, qui titre « Les factions en guerre menacent l’équilibre politique de l’Algérie », les divisions entre le pouvoir présidentiel et le DRS sont décrites comme étant encore plus patentes depuis l’officialisation de la candidature de Bouteflika. Le groupe présidentiel est rapporté comme étant un conglomérat de groupes « intéressés » et « engagés dans une bataille pour le maintien de leurs privilèges ». Ainsi, le maintien de Bouteflika est ici perçu comme moyen stratégique d’empêcher la criminalisation des membres du régime, qui risqueraient, en cas de non-présentation du président aux élections, de nombreux procès, notamment pour corruption. Le média français Boulevard Voltaire abonde dans ce sens, expliquant que la (re)présentation de Bouteflika aux élections permet de préserver les « prédateurs » des « inévitables poursuites judiciaires » en cas de changement à la tête de l’Etat. D’autre part, l’appel du général à la retraite Benhadid au retrait du président est ici appréhendé comme une rupture du statu quo qui a prévalu durant des décennies et un prélude à la fin de l’accord scellé entre politiciens et militaires en 1962. Dans un autre article du journal The National, il est rappelé que le président Bouteflika avait été amené par l’armée pour justement sauver le système, et que le nouveau cabinet dernièrement élu servait aussi à la consolidation du régime autoritaire. Le document souligne aussi l’illogisme de la situation : alors qu’il était presque sur le point d’être écarté, article 88 à l’appui, le président algérien serait aujourd’hui prêt à gouverner pour un quatrième mandat.
A ce sujet, John Entelis, professeur de sciences politiques à l’Université de Fordham aux États-Unis, constate dans un article d’Al-Jazeera que « l’ironie est qu’un Bouteflika malade est plus stable qu’un inconnu en bonne santé », ajoutant qu’en dépit de certaines avancées, les promesses de réformes constitutionnelles ont été ridiculisées. Une analyse, plus nuancée, publiée sur le site de l’Institute of Security Studies (ISS) d’Addis-Abeba, explique que « les changements de leadership au sein des principaux partis politiques ont montré que les changements dans l’arène politique, qu’ils apparaissent comme purement cosmétiques, peuvent arriver sans pression de la rue.
Cela pointe aussi la nouvelle dynamique au sein des partis politiques qui diminue le rôle de « zaïm » ou de leader, et illustre le rôle de plus en plus important des factions ». L’auteur énumère les changements et les tractations politiques symbolisant des évolutions démocratiques et des rotations au sein du système : l’évincement par un vote sanction de Belkhadem au sein du FLN ; la démission de l’ancien Premier ministre, Ouyahia, de son poste de secrétaire général du RND ; la démission de Saïd Sadi du RCD après l’avoir dirigé depuis 1989. A cela s’ajoute l’élection, aux parlementaires l’an passé, d’un tiers de femmes, configuration politique « unique dans le Monde arabe ».
AXE 2 : ANALYSE D’UN (FAUX) PROCESSUS ÉLECTORAL
S’il est impossible d’avoir accès à tous les articles du monde abordant le sujet des élections – d’autant plus que la plupart ne sont que de pâles copies synthétiques de dépêches de presse, relayées dans différentes langues – la lecture d’une trentaine d’articles étrangers met en exergue le fait que les élections algériennes sont considérées dans la quasi-totalité des sources étudiées comme prévisibles et au résultat inéluctable. Dans Al-Jazeera, on peut lire qu’en dépit du fait que six candidats aient été approuvés, on s’attend à ce que Bouteflika gagne grâce au puissant appareil étatique, mais aussi avec le FLN qui opère derrière, constat que fait également The National, qui souligne que « les Algériens n’ont toujours pas le droit de choisir leurs représentants » et que « les élections sont truquées ». Le Geopolitical Monitor analyse, quant à lui, que la victoire sera d’autant plus aisée que le plus grand parti d’opposition islamiste, le MSP, ne participera pas au processus électoral à cause de la fraude massive. Dans le journal français l’Express, une interview du spécialiste de l’Algérie, Luis Martinez, rappelle que le soutien public des principaux groupes d’intérêt structurant le système politique algérien (armée, FLN, UGTA, Sonatrach, etc.) à l’égard du président Bouteflika est un indice de victoire inéluctable. Au sujet des électeurs, le Geopolitical Monitor relève par exemple que les Algériens « ont peu d’appétit pour les changements politiques substantiels en dépit d’un mécontentement largement répandu », et ce, à cause des multiples instabilités qu’ils ont connues ou connaissent encore à l’heure actuelle : la guerre civile, la présence d’AQMI dans le sud du pays, les trafics et la porosité des frontières avec les pays voisins permettant l’infiltration de milices islamistes, mais aussi les contestations en Kabylie. Le risque de forte abstention est aussi très souvent souligné. Quant à la présentation, controversée, du chef de l’État pour un quatrième mandat, les points de vue diffèrent : pour certains, Bouteflika n’est qu’une marionnette, utilisée pour satisfaire la protection d’intérêts personnels et la sauvegarde d’un système ; pour d’autres, il s’agit d’une candidature voulue.
Il faut noter, cependant, que la presse française, comme à son habitude, surveille de près les mouvements protestataires et la campagne présidentielle lancée depuis dimanche dernier, et publie quotidiennement à ce sujet. L’analyse de la plupart des articles publiés autour des problématiques électorale et sociétale algériennes dans le monde révèle que le traitement de ces derniers s’appuie principalement sur trois axes clés qui reviennent de manière quasi-systématique : l’expression d’une vision binaire du système algérien, fondée sur une confrontation entre le pouvoir politique et le pouvoir du DRS – le décryptage des élections, souvent considérées comme gagnées d’avance pour le président Bouteflika – et la tentative, souvent maladroite et peu aboutie, de proposer différents scénarii et analyses prospectifs sur l’après-élection. Ainsi, à travers cette publication, nous reviendrons sur la manière dont sont traités ces différents axes, mais aussi sur la terminologie utilisée pour décrire le système, les élections et, en outre, le président algérien. L’objectif ici est de décrypter le regard porté sur l’Algérie actuellement et les images véhiculées dans les médias étrangers, généralement par des observateurs extérieurs, mais aussi parfois par des Algériens vivant à l’étranger.
AXE 1 : TENTATIVE DE DÉCRYPTAGE D’UN SYSTÈME OPAQUE ET COMPLEXE
Dans de nombreux articles, la dualité du système algérien est mise en exergue, tout comme la puissance de l’appareil étatique et notamment du DRS. Dans une émission Inside Story d’Al-Jazeera, Saad Djebbar, d’origine algérienne et évoluant au sein de l’université de Cambridge, explique que les élections algériennes ne se basent pas sur une lutte partisane, comme la plupart des élections dans le monde, mais sur une lutte entre un « vieux régime » (décideurs militaires, services de sécurité) et le « clan Bouteflika ». Ce qui varie généralement d’un article à un autre, c’est plutôt la nature des rapports de force existant entre la caste politique et l’appareil militaro-sécuritaire : pour certains, le rapport de force est inégalitaire et équilibré ; pour d’autres, le DRS a clairement l’ascendant sur le clan Bouteflika ; enfin, certains considèrent au contraire que le clan du président a pris la main sur les militaires. Dans un article du journal émirati The National, qui titre « Les factions en guerre menacent l’équilibre politique de l’Algérie », les divisions entre le pouvoir présidentiel et le DRS sont décrites comme étant encore plus patentes depuis l’officialisation de la candidature de Bouteflika. Le groupe présidentiel est rapporté comme étant un conglomérat de groupes « intéressés » et « engagés dans une bataille pour le maintien de leurs privilèges ». Ainsi, le maintien de Bouteflika est ici perçu comme moyen stratégique d’empêcher la criminalisation des membres du régime, qui risqueraient, en cas de non-présentation du président aux élections, de nombreux procès, notamment pour corruption. Le média français Boulevard Voltaire abonde dans ce sens, expliquant que la (re)présentation de Bouteflika aux élections permet de préserver les « prédateurs » des « inévitables poursuites judiciaires » en cas de changement à la tête de l’Etat. D’autre part, l’appel du général à la retraite Benhadid au retrait du président est ici appréhendé comme une rupture du statu quo qui a prévalu durant des décennies et un prélude à la fin de l’accord scellé entre politiciens et militaires en 1962. Dans un autre article du journal The National, il est rappelé que le président Bouteflika avait été amené par l’armée pour justement sauver le système, et que le nouveau cabinet dernièrement élu servait aussi à la consolidation du régime autoritaire. Le document souligne aussi l’illogisme de la situation : alors qu’il était presque sur le point d’être écarté, article 88 à l’appui, le président algérien serait aujourd’hui prêt à gouverner pour un quatrième mandat.
A ce sujet, John Entelis, professeur de sciences politiques à l’Université de Fordham aux États-Unis, constate dans un article d’Al-Jazeera que « l’ironie est qu’un Bouteflika malade est plus stable qu’un inconnu en bonne santé », ajoutant qu’en dépit de certaines avancées, les promesses de réformes constitutionnelles ont été ridiculisées. Une analyse, plus nuancée, publiée sur le site de l’Institute of Security Studies (ISS) d’Addis-Abeba, explique que « les changements de leadership au sein des principaux partis politiques ont montré que les changements dans l’arène politique, qu’ils apparaissent comme purement cosmétiques, peuvent arriver sans pression de la rue.
Cela pointe aussi la nouvelle dynamique au sein des partis politiques qui diminue le rôle de « zaïm » ou de leader, et illustre le rôle de plus en plus important des factions ». L’auteur énumère les changements et les tractations politiques symbolisant des évolutions démocratiques et des rotations au sein du système : l’évincement par un vote sanction de Belkhadem au sein du FLN ; la démission de l’ancien Premier ministre, Ouyahia, de son poste de secrétaire général du RND ; la démission de Saïd Sadi du RCD après l’avoir dirigé depuis 1989. A cela s’ajoute l’élection, aux parlementaires l’an passé, d’un tiers de femmes, configuration politique « unique dans le Monde arabe ».
AXE 2 : ANALYSE D’UN (FAUX) PROCESSUS ÉLECTORAL
S’il est impossible d’avoir accès à tous les articles du monde abordant le sujet des élections – d’autant plus que la plupart ne sont que de pâles copies synthétiques de dépêches de presse, relayées dans différentes langues – la lecture d’une trentaine d’articles étrangers met en exergue le fait que les élections algériennes sont considérées dans la quasi-totalité des sources étudiées comme prévisibles et au résultat inéluctable. Dans Al-Jazeera, on peut lire qu’en dépit du fait que six candidats aient été approuvés, on s’attend à ce que Bouteflika gagne grâce au puissant appareil étatique, mais aussi avec le FLN qui opère derrière, constat que fait également The National, qui souligne que « les Algériens n’ont toujours pas le droit de choisir leurs représentants » et que « les élections sont truquées ». Le Geopolitical Monitor analyse, quant à lui, que la victoire sera d’autant plus aisée que le plus grand parti d’opposition islamiste, le MSP, ne participera pas au processus électoral à cause de la fraude massive. Dans le journal français l’Express, une interview du spécialiste de l’Algérie, Luis Martinez, rappelle que le soutien public des principaux groupes d’intérêt structurant le système politique algérien (armée, FLN, UGTA, Sonatrach, etc.) à l’égard du président Bouteflika est un indice de victoire inéluctable. Au sujet des électeurs, le Geopolitical Monitor relève par exemple que les Algériens « ont peu d’appétit pour les changements politiques substantiels en dépit d’un mécontentement largement répandu », et ce, à cause des multiples instabilités qu’ils ont connues ou connaissent encore à l’heure actuelle : la guerre civile, la présence d’AQMI dans le sud du pays, les trafics et la porosité des frontières avec les pays voisins permettant l’infiltration de milices islamistes, mais aussi les contestations en Kabylie. Le risque de forte abstention est aussi très souvent souligné. Quant à la présentation, controversée, du chef de l’État pour un quatrième mandat, les points de vue diffèrent : pour certains, Bouteflika n’est qu’une marionnette, utilisée pour satisfaire la protection d’intérêts personnels et la sauvegarde d’un système ; pour d’autres, il s’agit d’une candidature voulue.
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