Derrière la porte en contreplaqué, le vieil homme fait le mort. Il n'a jamais répondu aux courriers envoyés. Il a raccroché d'un ton sec à l'interphone, quelques minutes auparavant. "Je suis dans mon lit, je n'ai rien à voir avec cette histoire, je ne vous ouvrirai pas..." Une voisine sortie faire ses courses, prend un air entendu : "Oh, vous savez, il n'est pas facile, même moi qui habite dans son immeuble depuis des années, il ne me laisse pas entrer. C'est un ancien militaire. Quand il était plus jeune, il marchait à grandes enjambées, droit comme un i. On dit qu'il a fait la guerre d'Algérie, avec ce général, comment il s'appelle, déjà, ce général ? ...
- Aussaresses ?
- Ah oui, c'est ça, Aussaresses. Mais enfin les rumeurs..."
Derrière cette porte qui va rester close, au quatrième étage d'un bâtiment blanc et jaune, surgi dans les années 1970, près du chenal d'une ville de Bretagne, se cache peut-être l'un des derniers secrets de la guerre d'Algérie. Le vieil homme a été un adolescent volontaire qui a pris les armes contre les Allemands, dans le maquis du Vercors, pendant la Seconde Guerre mondiale, a décroché ses galons d'officier sur les bancs de Saint-Cyr, a servi la France, partout dans le monde puis s'est retrouvé de l'autre côté de la Méditerranée pendant la bataille d'Alger en 1957, l'une des périodes les plus sombres de notre histoire.
Il a travaillé aux côtés du général Jacques Massu, le "chef de la police" à Alger, avant de rejoindre comme sous-lieutenant, le groupe du commandant Paul Aussaresses, alors coordonnateur des services de renseignement. La petite équipe s'était installée à la Villa des Tourelles, une de ces majestueuses demeures blanches, noyées sous les bougainvilliers, où l'on se chargeait des basses besognes et où l'on se débarrassait discrètement des prisonniers encombrants.
"L'agent d'exécution"
Le vieil homme a plus de 80 ans aujourd'hui. Il pensait sans doute avoir été oublié. Son nom figure noir sur blanc dans un document manuscrit, écrit de la main du colonel Yves Godard, dont "le Nouvel Observateur" révèle aujourd'hui l'existence et qui sera publié d'ici quelques jours dans "le Camp de Lodi", aux éditions Stock (1). L'ancien commandant de la zone Alger-Sahel, l'un des plus hauts gradés de l'époque, aujourd'hui décédé, le désigne comme "l'agent d'exécution" de Maurice Audin, jeune professeur de mathématiques de la faculté d'Alger, arrêté par les parachutistes le 11 juin 1957, conduit au centre d'interrogatoire d'El-Biar, sur les hauteurs d'Alger, avant de disparaître à tout jamais. Ce texte inédit, conservé avec les archives de Godard, à l'Université Stanford, en Californie, est le premier document signé d'un officier de l'armée française confirmant que le mathématicien algérois a bien été exécuté par un militaire. Et qu'il ne s'est pas évadé, comme le veut la thèse officielle, encore soutenue de nos jours.
Plus d'un demi-siècle a passé et on ne sait toujours pas comment est mort Maurice Audin. Au cours d'une séance de torture qui a mal tourné ? Des suites de ses blessures ? Poignardé ? Etranglé par un parachutiste dans un accès de rage ? Exécuté d'une balle dans la tête ? "Aussi incroyable que cela puisse paraître au bout de tant d'années, le mystère n'a jamais été levé, dit l'historien Benjamin Stora. Le corps de Maurice Audin, devenu le symbole des milliers de disparus de la bataille d'Alger, n'a pas été retrouvé. Alors que d'autres cadavres, comme celui du responsable FLN Larbi Ben M'hidi ont fini par être déterrés. L'armée surtout est restée muette. Tous les militaires présents à El-Biar se sont tus.
Aussaresses qui a pourtant multiplié les confidences sur les exactions et les exécutions arbitraires n'a jamais lâché un mot sur Audin." Encore aujourd'hui, l'officier, 94 ans, presque aveugle, répète en boucle au "Nouvel Observateur" : "J'ai aperçu Maurice Audin une fois dans les locaux d'El-Biar, peu après son arrestation. Je ne l'ai plus jamais revu ensuite. Ni vivant, ni mort. Ce n'est pas moi qui ai donné l'ordre de le tuer et je n'étais pas là au moment de son décès. Pourquoi Godard accuse-t-il un des membres de mon équipe ? Je n'en sais rien. Mais je peux vous dire que c'est faux."
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- Aussaresses ?
- Ah oui, c'est ça, Aussaresses. Mais enfin les rumeurs..."
Derrière cette porte qui va rester close, au quatrième étage d'un bâtiment blanc et jaune, surgi dans les années 1970, près du chenal d'une ville de Bretagne, se cache peut-être l'un des derniers secrets de la guerre d'Algérie. Le vieil homme a été un adolescent volontaire qui a pris les armes contre les Allemands, dans le maquis du Vercors, pendant la Seconde Guerre mondiale, a décroché ses galons d'officier sur les bancs de Saint-Cyr, a servi la France, partout dans le monde puis s'est retrouvé de l'autre côté de la Méditerranée pendant la bataille d'Alger en 1957, l'une des périodes les plus sombres de notre histoire.
Il a travaillé aux côtés du général Jacques Massu, le "chef de la police" à Alger, avant de rejoindre comme sous-lieutenant, le groupe du commandant Paul Aussaresses, alors coordonnateur des services de renseignement. La petite équipe s'était installée à la Villa des Tourelles, une de ces majestueuses demeures blanches, noyées sous les bougainvilliers, où l'on se chargeait des basses besognes et où l'on se débarrassait discrètement des prisonniers encombrants.
"L'agent d'exécution"
Le vieil homme a plus de 80 ans aujourd'hui. Il pensait sans doute avoir été oublié. Son nom figure noir sur blanc dans un document manuscrit, écrit de la main du colonel Yves Godard, dont "le Nouvel Observateur" révèle aujourd'hui l'existence et qui sera publié d'ici quelques jours dans "le Camp de Lodi", aux éditions Stock (1). L'ancien commandant de la zone Alger-Sahel, l'un des plus hauts gradés de l'époque, aujourd'hui décédé, le désigne comme "l'agent d'exécution" de Maurice Audin, jeune professeur de mathématiques de la faculté d'Alger, arrêté par les parachutistes le 11 juin 1957, conduit au centre d'interrogatoire d'El-Biar, sur les hauteurs d'Alger, avant de disparaître à tout jamais. Ce texte inédit, conservé avec les archives de Godard, à l'Université Stanford, en Californie, est le premier document signé d'un officier de l'armée française confirmant que le mathématicien algérois a bien été exécuté par un militaire. Et qu'il ne s'est pas évadé, comme le veut la thèse officielle, encore soutenue de nos jours.
Plus d'un demi-siècle a passé et on ne sait toujours pas comment est mort Maurice Audin. Au cours d'une séance de torture qui a mal tourné ? Des suites de ses blessures ? Poignardé ? Etranglé par un parachutiste dans un accès de rage ? Exécuté d'une balle dans la tête ? "Aussi incroyable que cela puisse paraître au bout de tant d'années, le mystère n'a jamais été levé, dit l'historien Benjamin Stora. Le corps de Maurice Audin, devenu le symbole des milliers de disparus de la bataille d'Alger, n'a pas été retrouvé. Alors que d'autres cadavres, comme celui du responsable FLN Larbi Ben M'hidi ont fini par être déterrés. L'armée surtout est restée muette. Tous les militaires présents à El-Biar se sont tus.
Aussaresses qui a pourtant multiplié les confidences sur les exactions et les exécutions arbitraires n'a jamais lâché un mot sur Audin." Encore aujourd'hui, l'officier, 94 ans, presque aveugle, répète en boucle au "Nouvel Observateur" : "J'ai aperçu Maurice Audin une fois dans les locaux d'El-Biar, peu après son arrestation. Je ne l'ai plus jamais revu ensuite. Ni vivant, ni mort. Ce n'est pas moi qui ai donné l'ordre de le tuer et je n'étais pas là au moment de son décès. Pourquoi Godard accuse-t-il un des membres de mon équipe ? Je n'en sais rien. Mais je peux vous dire que c'est faux."
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