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Algérie, dire et pouvoir

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  • Algérie, dire et pouvoir

    Ça y est ! Enfin, la campagne électorale a atteint son terme dans un freinage digne d’une formule 1. Le burning a fait enflammer la gomme. Le bitume a ressenti le coup. Des poings se serrèrent d’une Algérie à une autre. D’un bilan à un contre-bilan. De promesses mirifiques aux œillades concupiscentes. D’insultes proverbiales aux menaces post-électorales. Par-ici l’appel à la deuxième république. Par-là, la continuité d’un pouvoir monarchique. Certains observateurs se gaussent : là, les lièvres, derrière le sprinteur. Il ne faut pas penser au civet, avant de l’avoir fait sortir du four.

    Dans tout cela, le dindon de la farce électorale, c’est moi. Je l’avoue, benoîtement. Je le dis, ouvertement. Loin de moi l’idée d’inclure ceux de ma génération. Je ne puis parler, en leurs lieu et place. Ils sont bien grands, hé ! J’ai suivi assidument cette foire d’empoigne. Trois semaines de bonimenteurs. Des boniments, à l’échelle d’un pays qui risque de chuter lourdement. Le réveil peut être brutal. On est très loin de la chèvre qui vole ! Ya hesrah, on est au niveau du Sahara, Sahra dialna, enfin presque, transformé en Californie. Nos universités en Silicone Valley. Nos écoles en fabrique à citoyens. Nos rues en promenade de santé. Nos forêts en lieu de rêveries. Nos villes en miracle urbanistique.

    Cette campagne électorale m’a fait sortir de ma torpeur. De mes doutes. De mon scepticisme. Comme par miracle, je me suis parfois vu disposant de la ponctualité suisse. De la rigueur allemande. Du luxe français. Du patriotisme japonais. De la puissance américaine. De la beauté italienne. La liste est aussi longue que quinze ans de règne. On nous promet la fin de la crise de logement. Le plein emploi. La démocratie tous azimuts. La sécurité, pleine et entière. Le service militaire à douze mois. Là, j’émets un bémol : supprimez-le, carrément. Nos jeunes iront, par bataillons, voter le jeudi. Le métro, partout. Le téléphérique va relier le pic de Lalla Khadija et Yemma Gouraya. Le visa pour tous les demandeurs. Un tunnel sous la Méditerranée, Alger-Marseille. Le mariage pour tous. Stop, ne vous méprenez pas. Pas à la française. Le mariage pour tous les célibataires et les «célibatrices» (pardon K. Mouloud, je ne pouvais pas la rater, celle-là). Il n’y aura plus de smig, mais un salaire maximum garanti. Il y aura des usines à fabriquer le bonheur. Bonheur, made in Algeria. Production nationale pure qui vous garantira un crédit à la consommation. Oran, ah ! Oran, mon vertige et mon sortilège, ne produira plus des voitures Renault. Que nenni, des Porsche. Des Maserati. Des Lamborghini. Pour les Mercedes, on verra bien, lors d’un conseil des ministres, conseil qui ne sert à rien, du reste…

    Voilà, l’Algérie écartelée entre le dire et le pouvoir ! Je ne rêve pas. J’en ai déduit, tout cela. Ai-je fait un cauchemar éveillé ? Pardon, Hakim, tu n’as pas l’exclusivité du cauchemar. Si tu continues de fumer du thé, reste éveillé, moi, je fume du thé électronique, made in Algeria, comme la cigarette du même nom, thé conçu spécialement pour les râleurs, comme moi. Ah, comment oublier que notre équipe nationale qui damera le pion aux grandes nations du football ? Le Brésil n’a qu’à bien se tenir. Nos supporters pourront s’y rendre par charters, gratos, aux frais du Prince, celui qui nous a menés à la qualification. Vous voulez vous marier, là-bas, une Brésilienne ? Wech iaâtal ? Faites-le, chetla ya kho ! Mariez-vous, procréez et démultipliez-vous ! Des hôpitaux, il y en aura partout, partout, partout. Des Val-de-Grâce, à gogo. Les étrangers, chefs d’Etat et petit peuple, viendront chez nous se soigner. De la médecine de pointe, en veux-tu ? En voilà ! On rédigera des constitutions sur commande. Pays du Nord ou du Sud, quel régime voulez-vous instaurer chez vous ? Et hop, tenez. Pas plus de vingt-quatre heures

    . Voilà votre constitution ! Faites-en bon usage. Lisez bien la posologie. En cas de doute, ou d’effets secondaires, repassez nous voir. Quoi, vous voulez un royaume, on vous photocopie notre constitution. Vous voulez un peuple qui aime son chef, un Raïs, chez nous, qui lui demande de rempiler, encore et encore, c’est simple, choisissez des urnes transparentes et tenez des élections honnêtes. Ouais, comme les nôtres, depuis 1962. Vous voulez combattre la corruption, ce doigt trempé dans du miel, s’baê fel assel, sacré Boumediene, érigez un observatoire de lutte contre ce fléau social. Idem pour les droits de l’Homme. Idem pour tamazight. C’est quoi, tamazight ? Ah, pardon, c’est notre souci national. On l’a déjà réglé. Tamazight sera langue nationale et officielle dès le 18. Juré, promis, craché. Idem pour les femmes. Montez de toutes pièces une union nationale. On peut même vous fourguer notre manière d’interroger l’histoire. Ne dites jamais à votre peuple qui il est. D’où il vient. Ne lui dites surtout pas où il va. Inventez des dates. Falsifiez le passé. Affiliez-vous à d’autres peuples. Une nation arabe, par exemple. Proposez le vertige identitaire. Puis utilisez, à fortes doses, une béquille chimique. Et tant que le vertige durera, durera votre règne. Et celui de votre hachia.

    Parfois, le coma artificiel est un remède pour un grand malade. Le malade, ce n’est pas celui que vous croyez. Le malade, c’est moi. Tout retard est un bienfait, dit-on dans nos contrées. Le retardataire, c’est moi. Pas celui que vous croyez. C’est moi qui traîne les gambettes. J’espérais quoi ? J’avais une vague idée, il y a de cela quelques années. Puis, comme le puceau qui perd sa virginité, j’ai perdu mes illusions. J’ai remisé mes espoirs au placard de ma lucidité naissante et de la triste réalité nationale. Je suis plongé dans un coma artificiellement provoqué par des années amères qui ont consacré un pouvoir générant des paradigmes (modèles ?) consacrant l’émulsion sociale. A partir du lycée, second cycle, j’ai égaré mes certitudes, mes chants ancestraux, mes lendemains attendus, même si mes maîtres (mes profs) ont tenté, vaille que vaille, d’entretenir l’illusion d’une Algérie algérienne. Je le savais. Nous le savions. Que rien n’augurait de bon. Ça sentait déjà le formol. Je me rappelle de ce coup de pied haineux que j’ai reçu d’un policier dans les années soixante, juste après l’indépendance, juste parce que je suis passé trop près de lui. Au mauvais moment. Au mauvais endroit. Pour faire fait divers. Mon coccyx a ressenti trente-six mille chandelles. J’ai ressenti une injustice terrible, ce jour-là. J’ai raconté, à mes amis, cette mésaventure. Je devais avoir dix ans, à peine. Aujourd’hui, j’ai dépassé la soixantaine, mazel el baraka, yakhi !, de l’eau a coulé sous le pont de Bougie, je ressens la même injustice, terrible et inquiétante. Pour l’Algérie, d’abord. Nos enfants. Quant à moi, l’eau bout déjà !

    Je voudrais convoquer Habib Tengour, salut l’ami, quel est le chemin de ta route, en ce moment de thébaïde algérienne, pour tenter le dire face au pouvoir : «Mais déjà le sang et l’exil nous convoquent à d’autres dérives… »

    Youcef Merahi- Le Soir
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