Par Catherine Gouëset, L'express, publié le 16/04/2014
Le bourrage des urnes n'est pas le seul risque qui pèse sur l'élection qui opposera jeudi Abdelaziz Bouteflila, candidat à un quatrième mandat et Ali Benflis, son principal rival. Le point sur le jeu d'ombre de la machine électorale algérienne.
"Si la fraude gagne, je n'accepterai pas le scrutin", a averti Ali Benflis, le principal rival d'Abdelaziz Bouteflika à la présidentielle du 17 avril. L'ancien Premier ministre n'a pas tort d'évoquer une possible fraude, mais l'importance de la mascarade électorale en jeu dans cette campagne va plus loin que ce qu'il dénonce: en Algérie, "les élections présidentielles sont toutes truquées. Le président a toujours été choisi par l'armée, sous le couvert d'une élection pour la forme", explique le sociologue Lahouari Addi sur son blog.
Les Algériens sont appelés aux urnes ce jeudi. Rares sont ceux qui attendent un changement, dans un pays où le véritable pouvoir est détenu par l'armée depuis l'indépendance. Pourquoi a-t-il été nécessaire de faire appel à un Bouteflika très diminué pour un quatrième mandat? Que cachent les tensions régionales en cours? L'Algérie peut-elle sortir de la léthargie imposée par un "système" complètement verrouillé ? Posez vos questions à José Garçon, spécialiste de l'Algérie. Elle y répondra jeudi 17 avril de 15h à 16h.
Les Algériens, eux, le savent depuis longtemps. "En Algérie, la population ne manifeste pas de colère à l'annonce des résultats des élections, contrairement à d'autres pays, parce qu'elle ne se sent pas représentée par les partis politiques en lice, expliquait récemment à L'Express Luis Martinez, directeur de recherche au Ceri: ils représentent des instruments au service du système clientéliste".
Vers une abstention record
Toujours important, le taux d'abstention pourrait être encore plus élevé cette fois. Une coalition de cinq partis d'opposition appelle au boycottage, plaidant en faveur d'une "transition démocratique", tandis que le mouvement Barakat ("Ça suffit"), hostile à un quatrième mandat de Bouteflika, juge que cette élection est "un non-événement", sans toutefois appeler directement à son boycottage.
Pour masquer cette désaffection et donner un semblant de crédibilité aux scrutins, les autorités algériennes ne se contentent pas de bourrer les urnes, selon la plupart des experts, elles manipulent aussi le chiffre de participation.
Aux législatives de 2007, par exemple, le taux de participation était officiellement de 35%, mais probablement d'à peine plus de 20%, selon le Front des Forces socialistes (FFS, parti d'opposition ayant appelé au boycott). Les observateurs s'attendent à ce que le taux réel de participation ne dépasse guère ce chiffre. L'ancien colonel du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, la police politique, toute puissante en Algérie) Chafik Mesbah, pronostique quant-à lui "à peine 10% de votants", jeudi.
"Le taux d'abstention sera record non pas parce que les boycotteurs le demandent, juge de son côté le journal algérien Le Matin, mais la plupart des jeunes approchés pensent que quel que soit le candidat, rien ne changera".
"Casse-croutes" et "clientèles", nerfs de la guerre électorale
La campagne électorale elle-même n'a pas déplacé les foules. Elle a souvent réuni plus de monde contre les sept figurants qui se sont substitués au candidat Bouteflika impotent que dans les salles de réunion. Certains meetings ont dû être annulés. Les réunions électorales d'Ali Benflis ont réuni plus de monde, en revanche. Mais qui sont ces Algériens qui se déplacent en dépit de l'indifférence générale ?
Les autorités font appel à la "mobilisation des réseaux clientélistes, selon Mohammed Hachemaoui, chercheur associé à l'IREMAM (CNRS)*. Notamment toute la nébuleuse de ce qu'on appelle la "famille révolutionnaire", les anciens combattants, les familles de maquisards de la guerre d'indépendance, les multiples associations et syndicats créés par le "système" pour verrouiller la société civile".
La corruption électorale est à la hauteur de la corruption politique dans le pays, selon le chercheur. "Tout se monnaie: les participants aux meetings sont attirés à coup de casse-croûtes; porter un badge en faveur d'un candidat est récompensé; les pseudos-contrôleurs des scrutins sont rétribués d'une façon ou d'une autre", relève-t-il.
"Les jeunes fonctionnaires voteront par peur d'être démasqués et surtout éviter des ennuis professionnels", souligne Le Matin. Leur assiduité "dans les meetings est comptée au péril de leur poste de travail. Que dire alors des corps constitués, des jeunes demandeurs d'emploi, des investisseurs dont les dossiers sont en instance...", ajoute Le Matin.
Pseudo-concurrence électorale
Canaliser la colère de la rue contre Bouteflika
Pour certains observateurs, le semblant de concurrence entre Benflis et Bouteflika n'est qu'un leurre destiné à couvrir le verrouillage du système politique algérien. "Il est possible que la hiérarchie militaire ait demandé [à Bouteflika] de faire le lièvre pour Ali Benflis" afin de faire apparaitre ce dernier comme l'homme du changement.
"Le DRS a tiré les leçons des Printemps arabes qui ont secoué les pays de la région. Les services de sécurité ont saisi que la colère sociale se cristallisait sur la figure du 'raïs honni, du chef tout puissant cherchant coûte que coûte à se maintenir au pouvoir", relève Mohammed Hachemaoui.
En oeuvrant pour que Bouteflika, "politiquement neutralisé depuis 2010 et physiquement impotent, se présente pour un quatrième mandat, le DRS qui contrôle en sous-main le pays poursuit trois objectifs, assure le politologue: canaliser la colère de la rue contre le vieillard, afin de mieux sécuriser les autres secteurs clés du régime prétorien, à commencer par la police politique; se servir de Bouteflika pour verrouiller l'élection présidentielle; et orchestrer, par opposants officiels interposés, une contre-révolution préemptive pour mettre en route, à partir du 18 avril, un simulacre de 'transition démocratique'".
Le bourrage des urnes n'est pas le seul risque qui pèse sur l'élection qui opposera jeudi Abdelaziz Bouteflila, candidat à un quatrième mandat et Ali Benflis, son principal rival. Le point sur le jeu d'ombre de la machine électorale algérienne.
"Si la fraude gagne, je n'accepterai pas le scrutin", a averti Ali Benflis, le principal rival d'Abdelaziz Bouteflika à la présidentielle du 17 avril. L'ancien Premier ministre n'a pas tort d'évoquer une possible fraude, mais l'importance de la mascarade électorale en jeu dans cette campagne va plus loin que ce qu'il dénonce: en Algérie, "les élections présidentielles sont toutes truquées. Le président a toujours été choisi par l'armée, sous le couvert d'une élection pour la forme", explique le sociologue Lahouari Addi sur son blog.
Les Algériens sont appelés aux urnes ce jeudi. Rares sont ceux qui attendent un changement, dans un pays où le véritable pouvoir est détenu par l'armée depuis l'indépendance. Pourquoi a-t-il été nécessaire de faire appel à un Bouteflika très diminué pour un quatrième mandat? Que cachent les tensions régionales en cours? L'Algérie peut-elle sortir de la léthargie imposée par un "système" complètement verrouillé ? Posez vos questions à José Garçon, spécialiste de l'Algérie. Elle y répondra jeudi 17 avril de 15h à 16h.
Les Algériens, eux, le savent depuis longtemps. "En Algérie, la population ne manifeste pas de colère à l'annonce des résultats des élections, contrairement à d'autres pays, parce qu'elle ne se sent pas représentée par les partis politiques en lice, expliquait récemment à L'Express Luis Martinez, directeur de recherche au Ceri: ils représentent des instruments au service du système clientéliste".
Vers une abstention record
Toujours important, le taux d'abstention pourrait être encore plus élevé cette fois. Une coalition de cinq partis d'opposition appelle au boycottage, plaidant en faveur d'une "transition démocratique", tandis que le mouvement Barakat ("Ça suffit"), hostile à un quatrième mandat de Bouteflika, juge que cette élection est "un non-événement", sans toutefois appeler directement à son boycottage.
Pour masquer cette désaffection et donner un semblant de crédibilité aux scrutins, les autorités algériennes ne se contentent pas de bourrer les urnes, selon la plupart des experts, elles manipulent aussi le chiffre de participation.
Aux législatives de 2007, par exemple, le taux de participation était officiellement de 35%, mais probablement d'à peine plus de 20%, selon le Front des Forces socialistes (FFS, parti d'opposition ayant appelé au boycott). Les observateurs s'attendent à ce que le taux réel de participation ne dépasse guère ce chiffre. L'ancien colonel du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, la police politique, toute puissante en Algérie) Chafik Mesbah, pronostique quant-à lui "à peine 10% de votants", jeudi.
"Le taux d'abstention sera record non pas parce que les boycotteurs le demandent, juge de son côté le journal algérien Le Matin, mais la plupart des jeunes approchés pensent que quel que soit le candidat, rien ne changera".
"Casse-croutes" et "clientèles", nerfs de la guerre électorale
La campagne électorale elle-même n'a pas déplacé les foules. Elle a souvent réuni plus de monde contre les sept figurants qui se sont substitués au candidat Bouteflika impotent que dans les salles de réunion. Certains meetings ont dû être annulés. Les réunions électorales d'Ali Benflis ont réuni plus de monde, en revanche. Mais qui sont ces Algériens qui se déplacent en dépit de l'indifférence générale ?
Les autorités font appel à la "mobilisation des réseaux clientélistes, selon Mohammed Hachemaoui, chercheur associé à l'IREMAM (CNRS)*. Notamment toute la nébuleuse de ce qu'on appelle la "famille révolutionnaire", les anciens combattants, les familles de maquisards de la guerre d'indépendance, les multiples associations et syndicats créés par le "système" pour verrouiller la société civile".
La corruption électorale est à la hauteur de la corruption politique dans le pays, selon le chercheur. "Tout se monnaie: les participants aux meetings sont attirés à coup de casse-croûtes; porter un badge en faveur d'un candidat est récompensé; les pseudos-contrôleurs des scrutins sont rétribués d'une façon ou d'une autre", relève-t-il.
"Les jeunes fonctionnaires voteront par peur d'être démasqués et surtout éviter des ennuis professionnels", souligne Le Matin. Leur assiduité "dans les meetings est comptée au péril de leur poste de travail. Que dire alors des corps constitués, des jeunes demandeurs d'emploi, des investisseurs dont les dossiers sont en instance...", ajoute Le Matin.
Pseudo-concurrence électorale
Canaliser la colère de la rue contre Bouteflika
Pour certains observateurs, le semblant de concurrence entre Benflis et Bouteflika n'est qu'un leurre destiné à couvrir le verrouillage du système politique algérien. "Il est possible que la hiérarchie militaire ait demandé [à Bouteflika] de faire le lièvre pour Ali Benflis" afin de faire apparaitre ce dernier comme l'homme du changement.
"Le DRS a tiré les leçons des Printemps arabes qui ont secoué les pays de la région. Les services de sécurité ont saisi que la colère sociale se cristallisait sur la figure du 'raïs honni, du chef tout puissant cherchant coûte que coûte à se maintenir au pouvoir", relève Mohammed Hachemaoui.
En oeuvrant pour que Bouteflika, "politiquement neutralisé depuis 2010 et physiquement impotent, se présente pour un quatrième mandat, le DRS qui contrôle en sous-main le pays poursuit trois objectifs, assure le politologue: canaliser la colère de la rue contre le vieillard, afin de mieux sécuriser les autres secteurs clés du régime prétorien, à commencer par la police politique; se servir de Bouteflika pour verrouiller l'élection présidentielle; et orchestrer, par opposants officiels interposés, une contre-révolution préemptive pour mettre en route, à partir du 18 avril, un simulacre de 'transition démocratique'".
Commentaire