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Hamid Grine, écrivain« Benflis tapait dans le vide en l’absence de Bouteflika »

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  • Hamid Grine, écrivain« Benflis tapait dans le vide en l’absence de Bouteflika »

    , décrypte une campagne pas comme les autres :

    Quoi de plus familier qu’une campagne électorale ? Comment le regard d’un écrivain, accoutumé à nous faire plonger dans des faits de fiction, pourrait-il éclairer ce qui s’y joue ? Tel a pourtant été le pari de Hamid Grine dans un ouvrage paru durant la présidentielle de 2004 et qui révèle tout ce que cette séquence politique d’exception recèle d’acteurs, de messages, de codes, de conventions, de rites et de comédie politique au sens presque balzacien du terme. Dix ans plus tard, et en attendant un nouveau livre, il revient, pour nous, dans cet entretien, avec son regard buissonnier, mais éclairant, sur le feuilleton de la campagne électorale de 2014 : ses hommes, ses thèmes, son anthropologie presque.

    Propos recueillis par Nordine Azzouz

    Reporters : Il y a dix ans, vous avez écrit un ouvrage sur l’élection présidentielle de 2004. Dans quel but l’aviez-vous fait ? Etait-ce en raison du duel qui opposait déjà les candidats Bouteflika et Benflis ? Ou alors s’agissait-il pour vous de revenir à votre métier d’origine : le journalisme ?

    Hamid Grine : Mon idée au départ était l’analyse des communications politiques des candidats. Je voulais mettre en œuvre ce que j’ai appris ailleurs. Voir le positionnement des candidats, leurs slogans, leurs territoires de communication, les éléments de langage, bref leurs stratégies de com. Très vite, je me suis rendu compte que c’était au petit bonheur la chance. Hormis un seul qui avait plus ou moins une stratégie cohérente avec l’image qu’il reflétait, tous les autres étaient des amateurs. A quelques jours de l’élection, influencé sans doute par quelques journaux importants qui avaient nettement pris position pour Benflis, je me suis dit que cette élection est la première vraiment ouverte. Qu’il y avait de la compétition. Et du suspense, même si j’étais sûr que Bouteflika allait gagner. Et que ça valait donc vraiment le coup de suivre et de devenir le scribe de cet événement qui mettait aux prises deux ex-alliés qui sont devenus des ennemis. Cette opposition entre un président et son ex-Premier ministre donnait un côté épique, homérique et passionnel à l’élection. Journaliste, j’aime analyser les faits politiques ou de société, j’aime comprendre et j’aime faire comprendre. Vous savez, je suis un révolté maîtrisé. Et de mon point de vue, il n’y a pas de journalisme sans révolte. Certains hurlent leur révolte. D’autres la subliment. Je fais partie de la seconde catégorie. Nous sommes, toi, moi et beaucoup d’autres des volcans dormants.

    Cet ouvrage-là, Chronique d’une élection pas comme les autres, a rappelé combien sont rares les écrits sur les grands rendez-vous électoraux. Pourquoi les auteurs ou l’édition boudent-ils, selon vous, ce genre d’exercice éditorial pourtant passionnant ?

    Franchement, je ne sais pas. Les auteurs, par manque de temps ou par flemme. Vous le savez mieux que moi : écrire chaque jour n’est pas facile. Non seulement il faut aimer écrire, mais aimer aussi le sujet. Et puis, mon Dieu, montrez-moi des auteurs qui écrivent sur la politique. Je n’en vois pas beaucoup. Quant aux éditeurs, je n’ai pas encore vu d’éditeurs commander des ouvrages d’avance. Un seul m’a fait la commande d’un livre sur un club de foot. Il m’a fait un véritable pont d’or. J’ai refusé pour des raisons professionnelles. Pourtant, croyez-moi, s’il y a un genre vraiment prisé en Algérie, c’est bien le genre essai politique. Mon ouvrage, tiré à 5000 exemplaires, a été épuisé en un mois. C’est vrai que l’élection était encore chaude dès lors que le livre est sorti des presses 20 jours après l’élection ! Un record.

    2004-2014 : dix années ont passé. Si vous deviez rédiger à nouveau un livre sur la campagne qui vient de s’achever, sur quoi porteriez-vous votre attention et quel aspect de cette séquence si particulière privilégierez-vous ? La question, en fait, est quel regard un écrivain comme vous porte-t-il sur la campagne de 2014 ?

    Je ne rédigerai pas de livre pour la simple raison que le principal candidat ne participe pas à la course directement. De mon point de vue, et je le dis en tant qu’observateur et non en tant que partisan, le seul candidat porteur d’une véritable charge émotionnelle est Bouteflika à cause de son passé, à cause de son histoire, à cause de ce qu’il a vécu, côtoyé. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, il a été et est toujours l’un des acteurs marquants de notre histoire contemporaine. En bien ou en mal, c’est à l’histoire de juger. Mon regard ? En l’absence de Bouteflika, cette élection ressemblait à un mauvais film sans acteur principal. Elle m’a laissé sur ma faim en dépit de la bonne volonté de tous les candidats et de leurs représentants. Sans émotion, sans passion, sans rivalité, il n’y a pas de compétition.

    Vous êtes un portraitiste remarqué et l’auteur de textes du genre sur les candidats Benflis, Bouteflika et Louisa Hanoune. Si vous deviez les « croquer » aujourd’hui, que diriez-vous d’eux ? On se demande, par ailleurs, comment brosseriez-vous le portrait d’un Fawzi Rebaïne, d’un Belaïd et surtout d’un Touati, qui semble d’allure si courroucée ?

    Je dirai que Benflis tapait dans le vide en l’absence de Bouteflika. Quelle communication ciblée en l’absence du favori ? Très difficile pour lui de faire une campagne crédible faute de son principal adversaire, dont la présence l’aurait crédibilisé. En 2004, rappelez-vous, Bouteflika n’a jamais répondu aux attaques de Benflis. Il l’avait ignoré sciemment pour montrer qu’il n’existe pas. Il y a un principe simple en communication, un principe emprunté au stoïcisme : dans la lutte, on descend au niveau de l’adversaire. On descend, notez-le. Bouteflika était dans le rôle du mutique. Et en communication, si tu veux qu’on t’entende, tais-toi. Il s’est tu. Vers la fin, il a délivré des messages qui ont déplacé le débat vers un autre territoire : celui des appels à l’insurrection de Benflis. Benflis, qui parlait de fraude, s’est retrouvé dans la peau de l’accusé, de l’homme qui veut réveiller les démons de la fitna et de la guerre civile. Si demain, il dénonce, à tort ou à raison, la fraude, personne ne l’entendra s’il y avait quelques dérapages. Ses appels seront inaudibles, couverts par la houle des dépassements. Quant à Belaïd, Rebaïne et Touati, je les verrai bien lièvres, mais en tout petits lièvres sans importance. Mais qui ont eu, grâce à la présidentielle, une visibilité extraordinaire.

    Sur le portrait justement – qui semble un genre si particulier : quelle en est la motivation secrète chez un auteur ou même un journaliste ? Un détail ? Une impression ? Un intérêt ?


    N’importe quoi. Même l’homme sans qualité, l’homme le plus anodin au physique comme au moral a, pour peu qu’on le regarde bien, des singularités qui me permettent de saisir une part de sa vérité. En fait, le portraitiste tient à la fois du psy et du caricaturiste. Ma motivation principale est de connaitre les ressorts secrets des autres. J’aime l’humain, j’aime connaitre sa mécanique.

    La particularité, durant cette élection, est dans la tentative échouée d’un écrivain, Yasmina Khadra, de se présenter à l’élection. Il n’est pas le seul à l’avoir fait. On se souvient, dans une autre catégorie, d’un Vargas Llosa ou d’un Vaclav Havel. Pourquoi l’homme littéraire est-il fasciné par le politique ?
    Les écrivains sont fascinés par le pouvoir. Ils ont le pouvoir des mots, mais ils n’ont pas le vrai pouvoir, celui de changer les choses, d’agir sur les évènements, sur les hommes… L’écrivain est un théoricien en puissance et un homme de pouvoir en impuissance. Regardez Malaparte, il a écrit Technique du coup d’Etat qui touche à la politique qui lui a valu l’emprisonnement, alors que ses autres livres sont passés comme une lettre à la poste. Et puis, la cible de l’écrivain est le peuple, ce peuple qui ne le lira jamais et qui ne le connaît pas, mais ce peuple, cette masse énorme, importante, connaît l’homme politique qui peut la séduire, la fasciner ou la révulser. Mais elle le connaît, il existe à ses yeux. Alors que l’écrivain n’est visible que pour son lectorat. Il est un dieu pour lui et rien pour les autres.

    Seriez-vous tenté par un roman politique au sens où l’on parlerait d’élections, de concurrence, de coups tordus entre candidats rivaux ?

    Oui, c’est un beau sujet vieux comme le monde. Mais il faut du temps, de la volonté et un peu d’inspiration. Pour l’instant, je n’en ai aucun. J’aurais souhaité faire un livre d’entretien avec Bouteflika. Un livre, le plus impartial possible comme on en fait ailleurs. J’en ai fait la demande en 2004 à sa direction de communication. Sans suite.

    Propos recueillis par Nordine Azzouz
    REPORTERS.DZ
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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