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En Ukraine, la résistance s'organise

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  • En Ukraine, la résistance s'organise

    Il y a quelques mois, Taras Kovalyk était cuisinier «dans le meilleur restaurant à viande de Kiev», après cinq années en faculté d'économie dans sa ville de Ternopil, en Galicie orientale. Le 1er décembre, lorsque les cloches du monastère Saint-Michel ont sonné le tocsin de la révolution du Maïdan, il est devenu «soldat», au sein de la quinzième centurie, en toute première ligne face aux balles, plastiques, puis métalliques, des berkhouts. Un homme de son unité a été tué, sous ses yeux, dans le parc Mariinsky. Après la victoire, payée au prix fort - 104 morts - son chef est entré au gouvernement et Taras est devenu chef de la sotnia.

    «Pendant la révolution du Maïdan, on s'est aussi battus contre nous-mêmes, réfléchit-il à haute voix en déambulant entre les barricades qui s'amincissent de jour en jour. Contre nous-mêmes, contre notre nature humaine, nos peurs. Notre esprit a grandi, notre confiance en nous aussi.» Taras n'envisage pas de reprendre sa vie d'avant, pas tout de suite. «Je pense qu'il va y avoir la guerre, dit-il. Les troupes russes sont à nos portes et même si *elles ne viennent pas jusqu'à Kiev, elles tenteront de prendre les villes de l'est, Kharkiv, Donetsk, et puis le sud, Kherson et Odessa.»

    Les nationalistes d'extrème droite ne sont plus les seuls à recruter

    Taras veut donc se battre, mais pas en incorporant l'armée, par respect pour sa grand-mère qui combattit comme infirmière dans les années 50 au sein des maquis anti-staliniens des Carpates. «Cet hiver, on s'est battus avec des bâtons et des pierres contre des fusils, maintenant on va peut-être devoir le faire avec des fusils contre des grenades et des tanks… S'il le faut, on leur livrera une guerre de partisans.»
    La mobilisation s'organise aussi dans les arrière-cuisines

    Depuis l'annexion de la Crimée, l'armée recrute, des centaines d'hommes se présentent dans les casernes. Le gouvernement intérimaire a créé une garde nationale, censée protéger l'intégrité territoriale et les frontières orientales. Taras, modérément conquis, y a tout de même envoyé la moitié de ses troupes. «C'est une situation très bizarre, on y retrouve les instructeurs du ministère de l'Intérieur qui ont formé les berkhouts qui nous ont tiré dessus, soupire-t-il. Mais au moins pendant deux semaines, les gars apprendront des rudiments militaires, c'est toujours ça de pris.»

    En parallèle, la mobilisation s'organise aussi dans les arrière-cuisines de l'hôtel Kozatskiy, vieil établissement de standing de Maïdan, qui avait servi de morgue lors du massacre du 22 février. Derrière la réception, des hommes en treillis montent la garde à l'entrée des bureaux de l'Armée de réserve ukrainienne, signalés par une simple feuille de papier punaisée sur une porte. Son général officieux est quadragénaire, juriste de haute volée, spécialiste de droit constitutionnel, formé à Florence et en Angleterre.

    Durant des années, Guennadi Druzenko a conseillé les autorités ukrainiennes dans leurs négociations avec Bruxelles. Cet hiver, il a rempli des cocktails Molotov, adossé à des murs de pneus. «La situation avec la Russie est similaire à celle de Maïdan: on sait que les Occidentaux ne nous viendront pas en aide», explique-t-il, iPad en main et léger foulard autour du cou.
    «L'article 65 de la Constitution ukrainienne prescrit à tout citoyen de défendre l'intégrité et la souveraineté de l'Etat», rappelle-t-il. Quand la Crimée a été envahie, Guennadi, comme beaucoup d'autres, s'est donc rendu au commissariat militaire pour proposer ses services. «Mais on nous a opposé une fin de non-recevoir. Alors on s'est dit qu'on pouvait s'entraîner nous-mêmes, nous autofinancer et faire notre possible en cas d'invasion à Kiev ou ailleurs sur le territoire.»

    C'est ainsi qu'avec deux amis, «un biologiste de Donetsk et un gars de Lviv, l'Ukraine dans sa diversité», Guennadi a créé l'armée de réserve ukrainienne. «Une initiative *citoyenne, transparente, absolument légale, même si nous ne sommes pas encore enregistrés, précise-t-il. Nous l'avons lancée le jour même où Poutine a envoyé ses forces sur notre territoire. L'armée est très faible, l'état-major n'a pas réagi, alors nous avons décidé de prendre nos responsabilités. On achète nos balles sur nos propres deniers, et on utilise des armes enregistrées, avec le souci constant de mettre en place une structure paramilitaire aussi légale que possible».

    Tout le monde s'arme, les antirusses et les prorusses

    Dimanche matin, banlieue ouest de la capitale, où un ancien polygone soviétique, destiné à l'initiation militaire des citoyens de l'URSS puis à l'entraînement de l'équipe ukrainienne de tir olympique, sert aujourd'hui de camp de formation pour les anciens de Maïdan. Ce week-end, ils sont 35 recrues de l'armée de réserve ukrainienne à apprendre à marcher au pas, en rangs encore mal serrés, en uniformes dépareillés, parfois le smartphone à l'oreille. Plusieurs arborent le foulard jaune de la Sama Oborona de Maïdan.
    «Il paraît qu'on va peut-être tirer au *bazooka», croit savoir Denis Timochenko, journaliste dans un site web réputé. Pour ses 33 ans, il a acheté un treillis dans un bazar militaire. «Ma femme est en train de me tricoter une cagoule en laine vierge», ajoute-t-il, avant de raconter qu'il s'était fait recaler au service militaire pour des problèmes de vue, mais que cela ne l'a pas empêché de balancer quelques pavés à Maïdan ni de vouloir apprendre à tirer…

    Direction la fosse de tir du polygone, un hangar de brique et de bois, ouvert sur un champ et des cibles à 50 mètres. Les instructeurs ont apporté deux véritables armes de combat. Après un hiver neigeux et sanglant, une trentaine d'hommes et une femme touchent pour la première fois de leur vie une arme de guerre: une SKS, carabine semi-automatique soviétique. Les premiers gestes sont maladroits, paumes posées sur le chargeur. Les douilles sautent, les tympans décompensent. Dans le vacarme du hangar, une odeur de poudre se mêle aux pollens du printemps naissant.

    «La Russie regrettera beaucoup ce qu'elle a fait»

    Pour une première, l'instructeur, Mykola, 48 ans, n'est pas mécontent. Retraité depuis cinq ans, il a servi vingt-six ans dans l'armée, lieutenant-colonel dans l'infanterie terrestre, spécialité: tir à distance. «Je nous vois plus comme un support à l'armée, qui fera son boulot, même si elle a de grosses difficultés matérielles», confie-t-il. Manager en entreprise dans le privé, Aleksandr est aussi passé dans sa jeunesse par l'Armée rouge, il est là pour prévenir tout incident. «Nous ne cherchons pas à fabriquer des Rambo. Ces jeunes n'ont jamais touché une arme, mais je suis étonné par leur énergie».
    «Le fait d'être un pays pacifique a paradoxalement détruit notre armée», poursuit-il, en rappelant que «sous l'URSS» les jeunes gens avaient deux heures de préparation paramilitaire par semaine à l'école.

    «Nous serons toujours un Etat-tampon entre deux mondes, mais si les Russes décident par malheur de vouloir changer mon mode de vie par les *armes, je deviendrai leur plus féroce ennemi» *affirme aussi cet homme dont une partie de la famille a pourtant ses racines au-delà de l'Oural.
    Des unités de partisans se forment partout
    Au bout de trois jours d'entraînement intensif, les corps sont fatigués, mais les recrues décrochent toutes leur diplôme de membre de l'armée des réservistes d'Ukraine. «Maintenant, je sais comment utiliser une arme de guerre, me défendre d'une *attaque au couteau, m'orienter dans la forêt» résume Denis. Et s'il y avait la guerre *demain, après seulement trois jours d'entraînement? «Je rejoindrai les partisans, *assure fièrement le jeune journaliste. «Je mettrai ma femme et mon fils au village, loin de Kiev, et je rejoindrai d'autres hommes, peut-être à Kherson…» Là même où son grand-père tenait une batterie de défense antiaérienne en 1944.

    Dans une pizzeria branchée du quartier de Klovska, Georgi Uchaykin commande un café après son déjeuner. «Il y a un proverbe qui dit que la révolution mange ses enfants», glisse-t-il entre deux gorgées. «Mais la Russie regrettera beaucoup ce qu'elle a fait…» Georgi est un drôle de bonhomme, un ancien businessman devenu président de l'Association des propriétaires d'armes d'Ukraine.

    «D'après les infos qui me remontent, il y a des unités de partisans qui se forment dans toute l'Ukraine», affirme cet homme que l'on dit particulièrement bien informé. Qui sont ces partisans? «Des Ukrainiens ordinaires, de toutes les couches sociales ; il y en a des milliers qui se préparent.» Rappelant qu'en Ukraine, le dernier camp de partisans anti-staliniens n'a été démantelé qu'en 1961, il précise aussi: «L'esprit des partisans est un trait de caractère propre aux Ukrainiens, on l'a tous dans le cœur. Il s'est greffé naturellement sur la symbiose unitaire très forte que Maïdan a créée au sein de notre peuple.»
    Début avril, les regards se sont déportés vers l'Est et les grandes étendues minières du Donbass, où la population est russophone, laborieuse, traditionnellement méfiante envers les soubresauts politiques de la capitale. Des groupes séparatistes prorusses se sont emparés de l'administration régionale de Donetsk, l'ancien cœur noir charbon de l'URSS, proclamant une «République populaire du Donbass», tandis que Denis Pouchtiline, leur leader, annonçait la création d'une armée populaire du Donbass, «pour défendre le peuple et ses frontières».

    En guise de réponse, un projet de loi légalisant le port d'armes est entré en discussion au Parlement. «Je pense qu'il sera voté avant la présidentielle du 25 mai, estime Georgi. D'ici à octobre, le nombre d'individus armés deviendra très important. Cela pourrait coûter très cher à la Russie si elle décidait de s'aventurer en Ukraine…»

    le figaro
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