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Aux fous !

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  • Aux fous !

    Descartes avait-il toute sa raison lorsqu’il affirma, dans Le discours de la méthode, que «la raison est la chose du monde la mieux partagée» ?

    A découvrir les absurdités que les plus grands esprits ont professées et que les plus petits évidemment ont crues, on peut en douter et estimer, avec Bertrand Russel, que «le monde sombre toujours plus profondément dans la folie».

    Les optimistes invétérés devraient lire le pamphlet que le prix Nobel de littérature (1950) a intitulé, à juste titre, De la fumisterie intellectuelle(1). Invité en 1940 à donner des cours à l’université de New York, B. Russel fut victime d’une cabale de dévots qui, prétextant que son œuvre était «lubrique, dépravée, irrévérencieuse et dépourvue de toute fibre morale» firent annuler cette invitation.

    Malgré le soutien de nombreux intellectuels et notamment d’Einstein, la plupart des universités américaines évitèrent d’inviter B. Russel qui, excédé mais toujours plein d’humour, dénonça ce vent de folie qui tout au long de l’histoire a égaré bien des individus.
    Parmi eux, et de loin les plus touchés, les membres du clergé catholique. Des théologiens aux papes, il n’en est guère qui n’ait proféré doctement une absurdité et toléré, pire, encouragé châtiments corporels et mises à mort.

    Au Moyen-Âge, on brûlait les sorcières — ces ancêtres des féministes qui se distinguaient par leur savoir et leur pouvoir —, on battait les aliénés, qu’on jugeait possédés par le diable, plus tard on trucida les «hérétiques» et les «schismatiques» — les protestants et les orthodoxes. Pendant des siècles, les étudiants en médecine de l’université papale de Rome ne purent opérer que des mannequins dépourvus d’organes génitaux. Un pape refusa de soutenir une association de défense des animaux, sous prétexte qu’ils n’ont pas d’âme.

    Le clergé britannique, lui, jugea impie l’invention du paratonnerre, car le tonnerre manifestait «la colère de Dieu», et un théologien décréta que la queue blanche des lapins avait pour fonction de les rendre visibles aux chasseurs. D’autres estimèrent que seuls les hommes pouvaient être anesthésiés lors d’une opération, puisque Dieu avait prélevé une côte sur Adam endormi, alors que les femmes, maudites par la faute d’Eve, méritaient leurs souffrances. Sottises d’hier ? Nullement : au XXe siècle, l’archevêque de Canterbury condamna un projet de légalisation de l’euthanasie : en jugeant indispensable l’accord du malade, il le rendait responsable de sa mort, autrement dit le malade se suicidait, et le suicide est un «péché». Bien que la religion soit un milieu plus propice que d’autres aux divagations irrationnelles, ses représentants ne sont pas les seuls, évidemment, à proférer des stupidités.

    Philosophes et écrivains ne sont pas en reste : Platon considérait l’infanticide comme une mesure de régulation démographique et jugeait que «l’homme qui ne recherche pas la vérité se réincarnera en femme». Aristote affirmait que «les femmes ont moins de dents que les hommes», recommandait de «concevoir les enfants en hiver, quand le vent souffle du Nord» et «promettait aux couples mariés trop jeunes qu’ils engendreraient des filles».

    Voltaire trouvait les Noirs plus proches des singes que des hommes, Tolstoï et Gandhi condamnaient toutes les relations sexuelles et prêchaient l’abstinence. Gandhi estimait que séismes et inondations étaient des châtiments de Dieu et de nombreux scientifiques, au XIXe siècle, cherchaient dans les circonvolutions du cerveau, ou son poids, les raisons de l’«infériorité» des Africains et des femmes. «Races supérieures et inférieures», «sauvages et civilisés», «nature» différente des femmes et des hommes, «nature» du sang, qui n’aurait pas les mêmes vertus s’il s’agit d’un Noir ou d’un Blanc — la Croix-Rouge américaine refusa pendant longtemps de transfuser du sang «noir».

    Faut-il ajouter à toutes ces inepties, qui pour beaucoup sont autant de vérités, celles que tout Etat produit continuellement pour abêtir les citoyens ?Qu’il célèbre «l’identité nationale», cultive la peur ou la haine de l’étranger, fasse de l’histoire du pays une grandiose épopée, gave le peuple d’illusions, lui impose la pratique d’une religion et se mêle de gérer la vie intime des citoyens à propos, par exemple de la contraception, de l’avortement, de l’euthanasie, de l’homosexualité…, aucune de ses démarches, aucune de ses prescriptions ne tend à rendre les citoyens plus lucides, plus intelligents, plus rationnels, plus libres et maîtres de leur vie. C’est pourquoi le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, les superstitions les plus absurdes, les croyances les plus démentes, en un mot la bêtise la plus crasse infectent tant d’esprits, à quelque classe qu’ils appartiennent.

    De ce que de toute part, et dans toutes les régions du monde, souffle en permanence un vent de folie, la démarche qui s’impose à tous ceux qui veulent raison garder, estime B. Russel, est de rejeter toute affirmation qu’aucune expérience ne valide. S’interdire tout dogmatisme, rester sceptique face à des jugements qui ne reposent sur rien, sinon sur notre orgueil, nos préjugés, nos ignorances et notre conformisme, soumettre toute opinion à «l’acide de la critique rationnelle», autant de précautions indispensables pour qui ne veut pas devenir idiot, ou le rester.

    1)- Editions de l’Herne, Paris, 2013.
    Maurice Tarik Maschino


    Maurice Tarik Maschino- El Watan
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