Le Soir d’Algérie : Vous aviez annoncé, à l’avance, qu’il n’y aurait pas de 2e tour pour ce scrutin présidentiel et il n’y en a pas eu. Vous attendiez-vous au niveau de participation qui a été, officiellement, déclaré, c’est-à-dire 51,70% ? Vous attendiez-vous, aussi bien, aux scores officiels proclamés pour les différents candidats ?
Mohamed Chafik Mesbah : Pourquoi être étonné ? Cela fait plus d’une année que j’ai décrit la démarche du cercle présidentiel comme s’apparentant à une «politique de la terre brûlée».C’est en ce sens que j’ai exclu, d’emblée, ceux qui sont aux commandes puissent se fourvoyer en s’engageant dans un deuxième tour dont l’issue pourrait leur échapper. Vous pensez bien que je n’accorde aucune importance aux chiffres officiels annoncés. Aussi bien le taux de participation que le score des candidats. Ce sont des chiffres officiels sans fiabilité avérée. N’imaginez, surtout pas, qu’ils constituent un reflet fidèle du champ politique national. Un seul paramètre peut attirer l’attention. C’est le taux d’abstention annoncé qui est, relativement, important. Si l’opposition avait été efficace, de vrais chiffres incontestables auraient pu être opposés à la face du monde.
Justement, vous est-il possible de recenser, d’ores et déjà, les faiblesses de l’opposition face à cette échéance électorale, notamment, de la part de M. Ali Benflis ?
Ces faiblesses peuvent être examinées sous deux aspects. Un aspect logistique, tout d’abord, puisque l’opposition rassemblée aurait pu organiser un sondage dit «sortie d’urnes» à l’image de celui qui avait permis, en 1988, de chasser, au Chili, le dictateur Augusto Pinochet du pouvoir. Sur un plan plus prosaïque, comment le comité de campagne de M. Ali Benflis a-t-il pu imaginer que l’électricité et le téléphone n’allaient pas être coupés le jour du scrutin pour empêcher le collationnement des résultats transmis par les représentants locaux du candidat dans les bureaux de vote ? Dans le cas, toujours, de M. Ali Benflis, il convient de noter qu’il n’a pas distribué de document pédagogique résumant, en une dizaine de points, les propositions saillantes de son programme. Il n’est pas apparu, également, entouré d’une task-force constituée de figures marquantes pour montrer qu’il est entouré d’une équipe de gouvernance performante. Pour le cas du groupe de boycott, il est regrettable que celui-ci ne soit pas allé à la rencontre de la «société réelle», à l’intérieur du pays et dans les zones de «non-prospérité» au milieu des banlieues suburbaines. Un aspect politique, ensuite. Il eût fallu que les ego se taisent devant l’impératif d’imposer une véritable alternative à la réélection de M. Abdelaziz Bouteflika. L’opposition n’a de sens et d’impact que par son enracinement dans la société et son impact sur le terrain. Force est de constater la carence de l’opposition, structures et leaders, ainsi que la démission des élites qui auraient dû constituer le socle sur lequel s’appuierait le rejet du quatrième mandat. Voilà, sans doute, pourquoi, malgré leur impréparation, les représentants de M. Abdelaziz Bouteflika dans la campagne électorale ont eu beau jeu.
Le candidat Benflis, accrédité officiellement de 12,18 %, a déclaré qu’il ne reconnaissait pas les résultats proclamés qui traduisent, a-t-il affirmé, «une escroquerie à vaste échelle» où «l’argent sale a été utilisé pour acheter les consciences». Que pensez-vous de ces déclarations ? Une invalidation des résultats est-elle possible ? Que peut faire M. Ali Benflis dans l’immédiat ?
Sur le plan, strictement juridique, il ne faut nourrir aucune illusion. Le dispositif en place est entre des mains sûres. Qui, du président du Conseil constitutionnel, du ministre de la Justice ou du ministre de l’Intérieur, irait donner une suite significative aux recours déposés par M. Ali Benflis ? Une invalidation des résultats est impossible. En réalité, il eût fallu, que, préalablement, au scrutin proprement dit, des mécanismes de contrôle aient été envisagés, une procédure de concertation pour les candidats de l’opposition mise en place. Rien de cela n’a été fait. Quel sera l’avenir de M. Ali Benflis ? Se limiter à contester les résultats mais sans avoir prise sur la réalité ? C’est une option sans lendemain. Créer un parti et tenter de se placer comme un pôle de rassemblement de l’opposition ? Il faut en payer le prix, en termes d’imagination et de sacrifice. Où est donc cette figure homérique, lucide et audacieuse, qui prendra d’assaut le FLN, ce parti que d’aucuns considèrent moribond alors qu’il est, potentiellement, un parti d’avenir ? C’est une démarche utopique ? Je m’en réfère à la maxime de bon sens qui dispose qu’«il n’existe pas de citadelles imprenables, juste des citadelles mal attaquées».
De nombreuses interrogations sont apparues concernant le rôle qu’ont pu jouer dans ces élections, l’armée et, plus particulièrement, les services de renseignement. Pour ces derniers, peut-on évoquer un silence complice ou, plutôt, un affaiblissement certain ?
Il faut distinguer entre l’armée et les services de renseignement. Pour l’armée, M. Abdelaziz Bouteflika a pris les devants. Il a installé, en la personne du général Gaïd Salah, un «bras armé» censé prévenir toute contestation possible, de l’intérieur de l’armée comme de l’extérieur. Il importe, toutefois, de relever que, nonobstant le tapage médiatique observé, l’armée s’est comportée avec retenue dans la pratique. La tentation n’a pas manqué, au sein du cercle présidentiel, de l’impliquer, plus fortement, dans la campagne électorale. Apparemment, la crainte d’une dérive qui aurait conduit à une cassure interne, a prévalu. Pour les services de renseignement, il est difficile, en l’absence d’informations vérifiées, de se prononcer. Mais il est permis de s’interroger si les représentants de M. Abdelaziz Bouteflika auraient subi autant d’échecs — cacophonie au sein du groupe des sept, salles de réunions vides et orateurs chassés — pour peu que l’expertise des services de renseignement ait été, franchement, mise à contribution.
Toujours sur ce même registre, des lignes de fracture traverseraient, désormais, l’armée et les services de renseignement. Qu’en pensez-vous ?
Des lignes de fracture ? Le terme paraît excessif. Disons, plutôt, qu’il existe des clivages. Dans le sens vertical, c’est un clivage entre le Département du Renseignement et de la Sécurité et l’état-major de l’ANP. Ce clivage a été entretenu par M. Abdelaziz Bouteflika puis attisé par le cercle présidentiel. Devant la gravité des conséquences sur les capacités de riposte de l’appareil de sécurité et de renseignement, une accalmie est observée. Selon que ce soit M. Abdelaziz Bouteflika ou le «noyau dur» du cercle présidentiel qui soit aux commandes, la pause va continuer, sinon la campagne de déstabilisation va redoubler de férocité. Dans le sens horizontal, il existe un clivage entre générations. Une force montante de jeunes officiers, au sein de l’armée, — au parcours professionnel parfait, au cursus de formation riche et aux valeurs morales certaines — est en attente. Depuis un temps, M. Abdelaziz Bouteflika a freiné le processus de rajeunissement de la chaîne de commandement. Il faut prendre garde, la génération montante frappe à la porte.
L’assurance affichée par le cercle présidentiel, depuis longtemps, ne procède-t-elle pas de garanties reçues de l’étranger ? La France et les Etats-Unis, séparément ou ensemble ? Si tel est le cas, Bouteflika et le cercle présidentiel ont pris quels engagements ?
Mohamed Chafik Mesbah : Pourquoi être étonné ? Cela fait plus d’une année que j’ai décrit la démarche du cercle présidentiel comme s’apparentant à une «politique de la terre brûlée».C’est en ce sens que j’ai exclu, d’emblée, ceux qui sont aux commandes puissent se fourvoyer en s’engageant dans un deuxième tour dont l’issue pourrait leur échapper. Vous pensez bien que je n’accorde aucune importance aux chiffres officiels annoncés. Aussi bien le taux de participation que le score des candidats. Ce sont des chiffres officiels sans fiabilité avérée. N’imaginez, surtout pas, qu’ils constituent un reflet fidèle du champ politique national. Un seul paramètre peut attirer l’attention. C’est le taux d’abstention annoncé qui est, relativement, important. Si l’opposition avait été efficace, de vrais chiffres incontestables auraient pu être opposés à la face du monde.
Justement, vous est-il possible de recenser, d’ores et déjà, les faiblesses de l’opposition face à cette échéance électorale, notamment, de la part de M. Ali Benflis ?
Ces faiblesses peuvent être examinées sous deux aspects. Un aspect logistique, tout d’abord, puisque l’opposition rassemblée aurait pu organiser un sondage dit «sortie d’urnes» à l’image de celui qui avait permis, en 1988, de chasser, au Chili, le dictateur Augusto Pinochet du pouvoir. Sur un plan plus prosaïque, comment le comité de campagne de M. Ali Benflis a-t-il pu imaginer que l’électricité et le téléphone n’allaient pas être coupés le jour du scrutin pour empêcher le collationnement des résultats transmis par les représentants locaux du candidat dans les bureaux de vote ? Dans le cas, toujours, de M. Ali Benflis, il convient de noter qu’il n’a pas distribué de document pédagogique résumant, en une dizaine de points, les propositions saillantes de son programme. Il n’est pas apparu, également, entouré d’une task-force constituée de figures marquantes pour montrer qu’il est entouré d’une équipe de gouvernance performante. Pour le cas du groupe de boycott, il est regrettable que celui-ci ne soit pas allé à la rencontre de la «société réelle», à l’intérieur du pays et dans les zones de «non-prospérité» au milieu des banlieues suburbaines. Un aspect politique, ensuite. Il eût fallu que les ego se taisent devant l’impératif d’imposer une véritable alternative à la réélection de M. Abdelaziz Bouteflika. L’opposition n’a de sens et d’impact que par son enracinement dans la société et son impact sur le terrain. Force est de constater la carence de l’opposition, structures et leaders, ainsi que la démission des élites qui auraient dû constituer le socle sur lequel s’appuierait le rejet du quatrième mandat. Voilà, sans doute, pourquoi, malgré leur impréparation, les représentants de M. Abdelaziz Bouteflika dans la campagne électorale ont eu beau jeu.
Le candidat Benflis, accrédité officiellement de 12,18 %, a déclaré qu’il ne reconnaissait pas les résultats proclamés qui traduisent, a-t-il affirmé, «une escroquerie à vaste échelle» où «l’argent sale a été utilisé pour acheter les consciences». Que pensez-vous de ces déclarations ? Une invalidation des résultats est-elle possible ? Que peut faire M. Ali Benflis dans l’immédiat ?
Sur le plan, strictement juridique, il ne faut nourrir aucune illusion. Le dispositif en place est entre des mains sûres. Qui, du président du Conseil constitutionnel, du ministre de la Justice ou du ministre de l’Intérieur, irait donner une suite significative aux recours déposés par M. Ali Benflis ? Une invalidation des résultats est impossible. En réalité, il eût fallu, que, préalablement, au scrutin proprement dit, des mécanismes de contrôle aient été envisagés, une procédure de concertation pour les candidats de l’opposition mise en place. Rien de cela n’a été fait. Quel sera l’avenir de M. Ali Benflis ? Se limiter à contester les résultats mais sans avoir prise sur la réalité ? C’est une option sans lendemain. Créer un parti et tenter de se placer comme un pôle de rassemblement de l’opposition ? Il faut en payer le prix, en termes d’imagination et de sacrifice. Où est donc cette figure homérique, lucide et audacieuse, qui prendra d’assaut le FLN, ce parti que d’aucuns considèrent moribond alors qu’il est, potentiellement, un parti d’avenir ? C’est une démarche utopique ? Je m’en réfère à la maxime de bon sens qui dispose qu’«il n’existe pas de citadelles imprenables, juste des citadelles mal attaquées».
De nombreuses interrogations sont apparues concernant le rôle qu’ont pu jouer dans ces élections, l’armée et, plus particulièrement, les services de renseignement. Pour ces derniers, peut-on évoquer un silence complice ou, plutôt, un affaiblissement certain ?
Il faut distinguer entre l’armée et les services de renseignement. Pour l’armée, M. Abdelaziz Bouteflika a pris les devants. Il a installé, en la personne du général Gaïd Salah, un «bras armé» censé prévenir toute contestation possible, de l’intérieur de l’armée comme de l’extérieur. Il importe, toutefois, de relever que, nonobstant le tapage médiatique observé, l’armée s’est comportée avec retenue dans la pratique. La tentation n’a pas manqué, au sein du cercle présidentiel, de l’impliquer, plus fortement, dans la campagne électorale. Apparemment, la crainte d’une dérive qui aurait conduit à une cassure interne, a prévalu. Pour les services de renseignement, il est difficile, en l’absence d’informations vérifiées, de se prononcer. Mais il est permis de s’interroger si les représentants de M. Abdelaziz Bouteflika auraient subi autant d’échecs — cacophonie au sein du groupe des sept, salles de réunions vides et orateurs chassés — pour peu que l’expertise des services de renseignement ait été, franchement, mise à contribution.
Toujours sur ce même registre, des lignes de fracture traverseraient, désormais, l’armée et les services de renseignement. Qu’en pensez-vous ?
Des lignes de fracture ? Le terme paraît excessif. Disons, plutôt, qu’il existe des clivages. Dans le sens vertical, c’est un clivage entre le Département du Renseignement et de la Sécurité et l’état-major de l’ANP. Ce clivage a été entretenu par M. Abdelaziz Bouteflika puis attisé par le cercle présidentiel. Devant la gravité des conséquences sur les capacités de riposte de l’appareil de sécurité et de renseignement, une accalmie est observée. Selon que ce soit M. Abdelaziz Bouteflika ou le «noyau dur» du cercle présidentiel qui soit aux commandes, la pause va continuer, sinon la campagne de déstabilisation va redoubler de férocité. Dans le sens horizontal, il existe un clivage entre générations. Une force montante de jeunes officiers, au sein de l’armée, — au parcours professionnel parfait, au cursus de formation riche et aux valeurs morales certaines — est en attente. Depuis un temps, M. Abdelaziz Bouteflika a freiné le processus de rajeunissement de la chaîne de commandement. Il faut prendre garde, la génération montante frappe à la porte.
L’assurance affichée par le cercle présidentiel, depuis longtemps, ne procède-t-elle pas de garanties reçues de l’étranger ? La France et les Etats-Unis, séparément ou ensemble ? Si tel est le cas, Bouteflika et le cercle présidentiel ont pris quels engagements ?
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