Il y a 20 ans, Aït Menguellet lançait Asefru
Le verbe et la parole en action
L’évolution de la poésie de Lounis Aït Menguellet, depuis qu’il a ‘’taquiné la muse’’ à la fin des années 60, a eu un parcours si harmonieux et si serein qu’elle s’imposa imperceptiblement dans les milieux de la jeunesse kabyle pendant une trentaine d’années. Même si, pour la commodité de l’analyse, des auteurs ont procédé à un classement chronologique et thématique des compositions de notre poète, il en ressort que le bon sens et la vision honnête des choses subissent là une entorse indéniable du fait que rarement une chanson de Lounis Aït Menguellet se prête à être confinée dans un thème unique exclusif d’extensions parfois aussi importantes que la motivation centrale qui anime la construction dans son ensemble. Des premières chansons sociales, dont le texte est parfois pris de Si Muh U M’hand, aux textes très élaborés d’inspiration philosophique, en passant par les chansons d’amour qui ont fait vibrer la jeunesse des années 70 et les poèmes d’engagement politique, un fil conducteur noue ses épissures tout au long de cette œuvre unique dans la poésie kabyle moderne. Faute de pouvoir le désigner autrement, ce fil sera désigné tout simplement ‘’la magie de l’asefru”. C’est le grand Jean El Mouhouv Amrouche qui donne une définition à la fois simple et chargée de sens de ce qu’est le poète. Il disait : "Le poète est celui qui a le don d’asefru". On sait ce que ce terme représente dans la culture kabyle : le verbe issefruy signifie à la fois expliquer, expliciter, rendre intelligible, dénouer l’énigme.
Il s’ensuit que la mission du poète en Kabylie ne se limite pas à une composition rimée et rythmée qui égaye les siens ou les divertit, mais va au-delà en s’investissant dans une esthétique d’engagement social et politique et dans une réflexion philosophique dans laquelle se conjuguent la sapience kabyle et les apports de la pensée universelle.
Les pièces poétiques d’Aït Menguellet deviennent de plus en plus élaborées par le recours à l’abstraction. Cette dernière met en scène les cas les plus généraux qui puissent se poser à l’homme où qu’il soit. Cette forme de paradigme d’accès à l’universalité n’exonère nullement le texte des repères et indices de l’algérianité et de la kabylité qui, d’ailleurs, lui servent de soubassement premier.
Nous tenons, pour notre part, l’album Amacahu (1982) comme le point de départ d’une aventure intellectuelle qui se poursuit avec un égal bonheur jusqu’à la dernière production Yennad Umghar (2005). Cela ne signifie guère que les œuvres telles que Al Musiw ou ‘’Ayagu’’ aient manqué de pertinence ou de profondeur. Ces deux albums porteurs de sens et de puissance ont une place privilégiée dans l’histoire de la poésie kabyle du fait que le premier a précédé le soulèvement de la Kabylie en avril 1980- il en donne même les premiers signes et a joué un grand rôle dans l’éveil de la conscience politique et identitaire-, et le second a succédé à cet important événement et il en exprime les désenchantements et les espoirs.
Quatre ans après avril 1980, Aït Menguellet scrute d’un œil critique, acerbe, voire même pessimiste, les horizons des principales revendications de la Kabylie. Avec Ayaqbaïli, il exprime la grande désillusion de la population devant un mouvement qui, tout en ayant arraché le droit à l’expression publique de l’identité berbère, demeure aux yeux de tous inabouti.
Le prélude d’Amcum
Pendant les jours torrides de l’été 1985 où fut commémoré avec un faste indécent le 23e anniversaire de l’Indépendance, des militants politiques et associatifs activant dans la clandestinité imposée par le parti unique ont été arrêtés et emprisonnés dans le pénitencier de Berrouaghia. Ils furent des dizaines : fondateurs de la Ligue algérienne des droits de l’Homme, membres de l’Association des enfants de Chouhada, membres du parti clandestin le MDA,…etc. Déjà, lors de la journée de l’Aïd El Adha, à l’aube, la caserne de police de Soumâa à Blida fut investie par les éléments islamistes appartenant à la branche de Bouyali et Chabouti. Ils emportèrent des armes et se replièrent par la suite sur les monts de l’Atlas blidéen entre Larbâa et Tablat. Les services de sécurité ne viendront à bout de ce groupe que quelques mois plus tard. De son côté, l’élite kabyle a été étêtée et la presque totalité des activistes ont été arrêtés (Ali Yahia, Saïd Sadi, Hachemi Naït Djoudi, Ferhat Mehenni,…). Le 5 septembre, ce sera le tour du poète Lounis Aït Menguellet à qui- parce que faisant la collection de vieilles armes dans son domicile- il sera reproché de ‘’détenir des armes de guerre’’. Le chanteur sera condamné à trois ans de prison.
Il faut rappeler que, un mois auparavant, Aït Menguellet avait donné un concert à Sidi Fredj où il rendit hommage aux personnes qu’on venait d’emprisonner. Ce que la population kabyle ne pouvait jamais imaginer- tant le personnage était entouré de respect et de considération- devait bien arriver : Lounis sera emprisonné.
Dans les médias officiels, c’est le silence radio si ce n’est les communiqués émanant du parquet ou de l’APS. L’effort minimal fut fourni par la seule radio kabyle, la Chaîne II, elle aussi organe d’ةtat, en diffusant en boucle la chanson de Lounis Amcum produite en 1979. Message codé rapportant le cas d’un homme qui a conduit avec d’autres amis un combat pour la liberté et qui, après son arrestation et son incarcération, se retrouve seul face à son destin. Les amitiés militantes s’effilochèrent devant la peur de l’arbitraire. La solidarité est la grande absente.
Le poème Amcum de Lounis Aït Menguellet fait partie du l’inénarrable album Ayagu. Il retrace le destin d’un militant qui s’est sacrifié pour une noble cause engageant le destin collectif de ses compatriotes. L’esprit de la lutte, l’âme de la résistance et le devoir de ne pas fléchir devant l’arbitraire et la tyrannie le conduisent tout droit au cachot. Lui seul subira les affres de la prison. Non pas qu’il menât seul le combat, mais il fut abandonné en cours de route par ses camarades avec qui il mangea du pain sec. Par peur, par lâcheté, suite à des pressions ou à des promesses alléchantes, tous les cas de figure peuvent se présenter et conduire à disperser les rangs, à semer la zizanie, le doute et la perplexité parmi les membres du groupe. Le héros du poème se retrouvera seul face à la machine infernale de la répression. Que sont les amitiés militantes devenues ? Que représente le serment de solidarité et de destin commun que les militants ont fait ?
Les luttes démocratiques menées en Kabylie ont connu les avatars des récupérations, pressions et corruptions qui ont conduit à la désunion et à la désintégration des rangs au point qu’un individu ou un petit groupe soit offert en hostie à la cause défendue. D’où le titre de la chanson Amcum qui peut être traduit par Le Maudit.
La voix du prisonnier est contenue dans les murs du cachot ; ses anciens amis sont loin, en sécurité mais dans la lâcheté :
Et si vous entendiez ses cris,
vous ses amis,
Sans doute vous en perdriez le sommeil !
A l’étranger, c’est grâce à la présence d’esprit de journalistes français venus couvrir le rallye Paris-Alger-Dakar qui, à l’époque passait par notre pays, que l’écho de la répression a pu franchir les frontières. Des équipes de journalistes de la presse écrite, de la radio et de la télévision ont pu fausser compagnie à l’institution de Thierry Sabine à partir d’Alger pour se rendre en Kabylie afin de faire des reportages sur les manifestations de la population qui demandait la libération des prisonniers.
Cinq ans après le grand réveil de la Kabylie, appelé Printemps berbère, toutes les tentatives d’exercice de la citoyenneté émanant de la société sont écrasées par la machine infernale de la répression de l’ةtat-parti. Les espoirs et les ambitions de la partie la plus éclairée de la société se transformèrent en d’affligeants désenchantements et en de lourdes interrogations. Cette forme d’impasse politique et sociale aura pour terrain d’expression idéal la chanson.
Sur les traces d’un quidam
C’est après sa sortie de prison qu’Aït Menguellet mit sur le marché l’album Asefru. Au milieu de cet été 1986, l’Algérie continuait à bouillonner suite aux événements des mois écoulés. La cour de sûreté de l’ةtat avait prononcé son verdict en janvier 1986 contre les animateurs de la revendication démocratique : trois ans de prison ferme. Les cours du pétrole ont commencé à dégringoler et l’économie de pénurie organisée battait déjà de l’aile. Tous les éléments du décor qui allaient plonger les Algériens deux ans plus tard dans une crise sanglante (octobre 1988) étaient déjà plantés.
Le destin de prisonnier est un thème traité par plusieurs poètes et chanteurs kabyles. Il fait, en tout cas, partie de l’histoire tourmentée de la région dont les enfants ont subi le bagne de Cayenne (Guyane française), étaient déportés en Nouvelle Calédonie, incarcérés à la prison de la Santé, de Lambèse, d’El Harrach ou de Berrouaghia. L’une des chansons de l’album Asefru ne manque pas de nous mettre dans le bain de cette réalité même si le texte va plus en profondeur en sondant l’absurdité de la marche du monde et en se terminant par une note d’espoir. Le titre du poème : Tebeâgh later bwi tilane (J’ai suivi les traces d’un quidam) recouvre le reste du texte d’un halo de mystère. Il se poursuit par une situation d’absurdité où le protagoniste tourne dans un cercle vicieux retrouvant à chaque fois ses propres traces :
"J’ai suivi les traces d’un quidam
Et pris le chemin pour le rattraper.
Mes pieds par la marche sont usés;
En fait, je ne faisais que tournoyer.
Lorsque je crus parvenir à mon but,
Je retrouvai mes propres traces."
Blasé et même mortifié par la nouvelle condition qui lui est faite, le personnage ne peut plus ressentir la beauté des roses ni en flairer les fragrances. Par un magique effet d’images, le poète compare la gourmette aperçu sur un bras aux fers ou menottes d’un prisonnier. C’est dire les séquelles morales et psychologiques d’un séjour en prison. Aït Menguellet en fait un joyau poétique :
"La rose à la belle figure,
j’envie ceux qui l’admirent encore.
Naguère, comme eux, j’en connaissais le parfum ;
Ores, je ne veux plus la regarder.
Quand je vois une main ceinte d’une gourmette,
Ce sont les chaînes qui me viennent à la tête.
N’en cherchez pas la raison ;
Dites seulement que je suis à plaindre".
Le verbe et la parole en action
L’évolution de la poésie de Lounis Aït Menguellet, depuis qu’il a ‘’taquiné la muse’’ à la fin des années 60, a eu un parcours si harmonieux et si serein qu’elle s’imposa imperceptiblement dans les milieux de la jeunesse kabyle pendant une trentaine d’années. Même si, pour la commodité de l’analyse, des auteurs ont procédé à un classement chronologique et thématique des compositions de notre poète, il en ressort que le bon sens et la vision honnête des choses subissent là une entorse indéniable du fait que rarement une chanson de Lounis Aït Menguellet se prête à être confinée dans un thème unique exclusif d’extensions parfois aussi importantes que la motivation centrale qui anime la construction dans son ensemble. Des premières chansons sociales, dont le texte est parfois pris de Si Muh U M’hand, aux textes très élaborés d’inspiration philosophique, en passant par les chansons d’amour qui ont fait vibrer la jeunesse des années 70 et les poèmes d’engagement politique, un fil conducteur noue ses épissures tout au long de cette œuvre unique dans la poésie kabyle moderne. Faute de pouvoir le désigner autrement, ce fil sera désigné tout simplement ‘’la magie de l’asefru”. C’est le grand Jean El Mouhouv Amrouche qui donne une définition à la fois simple et chargée de sens de ce qu’est le poète. Il disait : "Le poète est celui qui a le don d’asefru". On sait ce que ce terme représente dans la culture kabyle : le verbe issefruy signifie à la fois expliquer, expliciter, rendre intelligible, dénouer l’énigme.
Il s’ensuit que la mission du poète en Kabylie ne se limite pas à une composition rimée et rythmée qui égaye les siens ou les divertit, mais va au-delà en s’investissant dans une esthétique d’engagement social et politique et dans une réflexion philosophique dans laquelle se conjuguent la sapience kabyle et les apports de la pensée universelle.
Les pièces poétiques d’Aït Menguellet deviennent de plus en plus élaborées par le recours à l’abstraction. Cette dernière met en scène les cas les plus généraux qui puissent se poser à l’homme où qu’il soit. Cette forme de paradigme d’accès à l’universalité n’exonère nullement le texte des repères et indices de l’algérianité et de la kabylité qui, d’ailleurs, lui servent de soubassement premier.
Nous tenons, pour notre part, l’album Amacahu (1982) comme le point de départ d’une aventure intellectuelle qui se poursuit avec un égal bonheur jusqu’à la dernière production Yennad Umghar (2005). Cela ne signifie guère que les œuvres telles que Al Musiw ou ‘’Ayagu’’ aient manqué de pertinence ou de profondeur. Ces deux albums porteurs de sens et de puissance ont une place privilégiée dans l’histoire de la poésie kabyle du fait que le premier a précédé le soulèvement de la Kabylie en avril 1980- il en donne même les premiers signes et a joué un grand rôle dans l’éveil de la conscience politique et identitaire-, et le second a succédé à cet important événement et il en exprime les désenchantements et les espoirs.
Quatre ans après avril 1980, Aït Menguellet scrute d’un œil critique, acerbe, voire même pessimiste, les horizons des principales revendications de la Kabylie. Avec Ayaqbaïli, il exprime la grande désillusion de la population devant un mouvement qui, tout en ayant arraché le droit à l’expression publique de l’identité berbère, demeure aux yeux de tous inabouti.
Le prélude d’Amcum
Pendant les jours torrides de l’été 1985 où fut commémoré avec un faste indécent le 23e anniversaire de l’Indépendance, des militants politiques et associatifs activant dans la clandestinité imposée par le parti unique ont été arrêtés et emprisonnés dans le pénitencier de Berrouaghia. Ils furent des dizaines : fondateurs de la Ligue algérienne des droits de l’Homme, membres de l’Association des enfants de Chouhada, membres du parti clandestin le MDA,…etc. Déjà, lors de la journée de l’Aïd El Adha, à l’aube, la caserne de police de Soumâa à Blida fut investie par les éléments islamistes appartenant à la branche de Bouyali et Chabouti. Ils emportèrent des armes et se replièrent par la suite sur les monts de l’Atlas blidéen entre Larbâa et Tablat. Les services de sécurité ne viendront à bout de ce groupe que quelques mois plus tard. De son côté, l’élite kabyle a été étêtée et la presque totalité des activistes ont été arrêtés (Ali Yahia, Saïd Sadi, Hachemi Naït Djoudi, Ferhat Mehenni,…). Le 5 septembre, ce sera le tour du poète Lounis Aït Menguellet à qui- parce que faisant la collection de vieilles armes dans son domicile- il sera reproché de ‘’détenir des armes de guerre’’. Le chanteur sera condamné à trois ans de prison.
Il faut rappeler que, un mois auparavant, Aït Menguellet avait donné un concert à Sidi Fredj où il rendit hommage aux personnes qu’on venait d’emprisonner. Ce que la population kabyle ne pouvait jamais imaginer- tant le personnage était entouré de respect et de considération- devait bien arriver : Lounis sera emprisonné.
Dans les médias officiels, c’est le silence radio si ce n’est les communiqués émanant du parquet ou de l’APS. L’effort minimal fut fourni par la seule radio kabyle, la Chaîne II, elle aussi organe d’ةtat, en diffusant en boucle la chanson de Lounis Amcum produite en 1979. Message codé rapportant le cas d’un homme qui a conduit avec d’autres amis un combat pour la liberté et qui, après son arrestation et son incarcération, se retrouve seul face à son destin. Les amitiés militantes s’effilochèrent devant la peur de l’arbitraire. La solidarité est la grande absente.
Le poème Amcum de Lounis Aït Menguellet fait partie du l’inénarrable album Ayagu. Il retrace le destin d’un militant qui s’est sacrifié pour une noble cause engageant le destin collectif de ses compatriotes. L’esprit de la lutte, l’âme de la résistance et le devoir de ne pas fléchir devant l’arbitraire et la tyrannie le conduisent tout droit au cachot. Lui seul subira les affres de la prison. Non pas qu’il menât seul le combat, mais il fut abandonné en cours de route par ses camarades avec qui il mangea du pain sec. Par peur, par lâcheté, suite à des pressions ou à des promesses alléchantes, tous les cas de figure peuvent se présenter et conduire à disperser les rangs, à semer la zizanie, le doute et la perplexité parmi les membres du groupe. Le héros du poème se retrouvera seul face à la machine infernale de la répression. Que sont les amitiés militantes devenues ? Que représente le serment de solidarité et de destin commun que les militants ont fait ?
Les luttes démocratiques menées en Kabylie ont connu les avatars des récupérations, pressions et corruptions qui ont conduit à la désunion et à la désintégration des rangs au point qu’un individu ou un petit groupe soit offert en hostie à la cause défendue. D’où le titre de la chanson Amcum qui peut être traduit par Le Maudit.
La voix du prisonnier est contenue dans les murs du cachot ; ses anciens amis sont loin, en sécurité mais dans la lâcheté :
Et si vous entendiez ses cris,
vous ses amis,
Sans doute vous en perdriez le sommeil !
A l’étranger, c’est grâce à la présence d’esprit de journalistes français venus couvrir le rallye Paris-Alger-Dakar qui, à l’époque passait par notre pays, que l’écho de la répression a pu franchir les frontières. Des équipes de journalistes de la presse écrite, de la radio et de la télévision ont pu fausser compagnie à l’institution de Thierry Sabine à partir d’Alger pour se rendre en Kabylie afin de faire des reportages sur les manifestations de la population qui demandait la libération des prisonniers.
Cinq ans après le grand réveil de la Kabylie, appelé Printemps berbère, toutes les tentatives d’exercice de la citoyenneté émanant de la société sont écrasées par la machine infernale de la répression de l’ةtat-parti. Les espoirs et les ambitions de la partie la plus éclairée de la société se transformèrent en d’affligeants désenchantements et en de lourdes interrogations. Cette forme d’impasse politique et sociale aura pour terrain d’expression idéal la chanson.
Sur les traces d’un quidam
C’est après sa sortie de prison qu’Aït Menguellet mit sur le marché l’album Asefru. Au milieu de cet été 1986, l’Algérie continuait à bouillonner suite aux événements des mois écoulés. La cour de sûreté de l’ةtat avait prononcé son verdict en janvier 1986 contre les animateurs de la revendication démocratique : trois ans de prison ferme. Les cours du pétrole ont commencé à dégringoler et l’économie de pénurie organisée battait déjà de l’aile. Tous les éléments du décor qui allaient plonger les Algériens deux ans plus tard dans une crise sanglante (octobre 1988) étaient déjà plantés.
Le destin de prisonnier est un thème traité par plusieurs poètes et chanteurs kabyles. Il fait, en tout cas, partie de l’histoire tourmentée de la région dont les enfants ont subi le bagne de Cayenne (Guyane française), étaient déportés en Nouvelle Calédonie, incarcérés à la prison de la Santé, de Lambèse, d’El Harrach ou de Berrouaghia. L’une des chansons de l’album Asefru ne manque pas de nous mettre dans le bain de cette réalité même si le texte va plus en profondeur en sondant l’absurdité de la marche du monde et en se terminant par une note d’espoir. Le titre du poème : Tebeâgh later bwi tilane (J’ai suivi les traces d’un quidam) recouvre le reste du texte d’un halo de mystère. Il se poursuit par une situation d’absurdité où le protagoniste tourne dans un cercle vicieux retrouvant à chaque fois ses propres traces :
"J’ai suivi les traces d’un quidam
Et pris le chemin pour le rattraper.
Mes pieds par la marche sont usés;
En fait, je ne faisais que tournoyer.
Lorsque je crus parvenir à mon but,
Je retrouvai mes propres traces."
Blasé et même mortifié par la nouvelle condition qui lui est faite, le personnage ne peut plus ressentir la beauté des roses ni en flairer les fragrances. Par un magique effet d’images, le poète compare la gourmette aperçu sur un bras aux fers ou menottes d’un prisonnier. C’est dire les séquelles morales et psychologiques d’un séjour en prison. Aït Menguellet en fait un joyau poétique :
"La rose à la belle figure,
j’envie ceux qui l’admirent encore.
Naguère, comme eux, j’en connaissais le parfum ;
Ores, je ne veux plus la regarder.
Quand je vois une main ceinte d’une gourmette,
Ce sont les chaînes qui me viennent à la tête.
N’en cherchez pas la raison ;
Dites seulement que je suis à plaindre".
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