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Une éducation algérienne, Wassyla Tamzali

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  • Une éducation algérienne, Wassyla Tamzali

    Un bon livre est d’abord un miroir pour le lecteur ; parce qu’il est harmonieux, achevé. Ce livre-là continue de résonner de façon bien vivante une fois refermé.

    Une éducation algérienne, de Wassyla Tamzali, est justement le genre de récit qui donne au lecteur l’impression de complétude si propice au rêve. Mais un rêve de lumière et de liberté, celui d’une seconde vie. Enfin réédité par les éditions Chihab (après Gallimard en 2007), l’ouvrage garde toute la jeunesse du monde et suscite une source vive d’humanité. Une éducation algérienne est l’histoire d’une vie, à la fois non-fiction et roman par son esthétique libre et sans fausse note. Edouard Bourdet, auteur dramatique français (Le sexe faible, 1931), disait à propos de la littérature : «Quand on peut se regarder souffrir et raconter ce qu’on a vu, c’est qu’on est né pour la littérature.»

    Wassyla Tamzali a écrit son livre par passion. Elle sait si bien communiquer ses émotions et ses sentiments au lecteur que celui-ci est séduit par la beauté du récit. Il s’y regarde. Apparaît alors, dans le miroir, «une vie en dents de scie, avec des joies excessives, collectives et bruyantes, et des plongées vertigineuses dans une singularité qui se creusait lentement». Il est à son tour entraîné dans la modestie et l’impertinence du «je», le «je» miroir de ses propres réflexions. «Je construisais peu à peu une conscience claire de ce qui deviendrait un des centres de ma vie, mon oppression en tant que femme algérienne. Pour me libérer de cette opression, il fallait que je me libère d’abord de ma fascination pour les grands mythes de la révolution et de la fraternité. Or, j’étais loin de pouvoir le faire d’un coup. ça me prendra jusqu’à aujourd’hui. Et encore...
    «Pauvres petits hommes, les femmes sont le miroir dans lequel ils peuvent se voir plus grands qu’ils ne le sont», m’enseigna une sage qui avait passé sa vie entre les murs de sa maison à servir père, mari, fils et petits-fils. Il me fallut de longues années pour atteindre cette sagesse et sortir de l’envoûtement qui était le mien. Ce fut une opération de déniaisement, une longue éducation, une éducation algérienne, sans doute pas celle à laquelle ma mère avait songé en quittant Bougie», peut-on lire dans le chapitre premier.

    Un passage révélateur de l’histoire personnelle telle que racontée dans le livre, ou le voyage initiatique de Wassyla Tamzali. D’abord pour atteindre une meilleure connaissance de soi ; ensuite, et dans le même temps, pour recréer l’histoire familiale et collective (la seule digne d’intérêt, car s’inscrivant dans une Algérie libre, riche et plurielle). En cela, les chemins de la liberté passent par la littérature. Une éducation algérienne se distingue justement par sa forme plaisante, c’est-à-dire sa cohérence, sa symétrie et ses proportions. Le récit, écrit sous la forme d’une histoire circulaire, frémit comme le violon dont il partage l’harmonie.

    En prélude à la tragédie qui va suivre — un drame lyrique en quatre parties —, l’assassinat du père : «Le 11 décembre 1957, tout fut emporté par le souffle puissant du meurtre. Un jour dans la longue guerre d’Algérie, le jour où mon père a été assassiné par un homme de sa ville, à 4 heures de l’après-midi.» A la fin du récit, retour à la case départ : «Mon père deux fois tué par la balle qui se logea juste à la place du cœur (...) et par le visage de son assassin. Cette scène irréversible et le pourquoi éternellement posé fondent mon histoire avec l’Algérie plus sûrement que la raison. Mon père avait droit à une réponse. J’exerce ce droit pour lui, ne cessant de questionner ce pays, même si personne ne me demande mon avis et que personne ne me répond. L’idéologie et la politique n’ont rien à voir dans cette affaire. C’est de fidélité qu’il s’agit, de fidélité à un jeune homme de quarante-neuf ans qui ne saura jamais pourquoi il a été tué par un enfant de son pays.» Comprendre, chercher, tâtonner, (se) questionner...

    La longue quête de Wassyla Tamzali est racontée en quatre chapitres, chacun ponctué de sous-chapitres aux titres évocateurs. Le lecteur y entre bien volontiers, il se sent d’autant plus présent à chaque scène que l’auteur oriente, explique, lui fait voir et comprendre tout ce qui se passe. L’intitulé des chapitre («La passion politique», «La maison pourfendue», «Le basculement», «Le palmier transplanté ») est suivi d’une indication quelque peu mystérieuse, mise entre parenthèses : «Le premier cercle», «Le deuxième cercle», et ainsi de suite jusqu’au quatrième chapitre («Le quatrième cercle»). Cette série de cercles fait probablement référence aux «quatre cercles de l’appartenance social», selon Jean Handry : la famille, le clan, la tribu, la nation. Un tel cadre communautaire inclut, à son tour, quatre formes de pratique culturelle : le culte familial, le culte du clan, le culte de la tribu, et le culte national. Chaque personne étant soumise à cet ordre social rigoureux, comment l’individu peut-il être lui-même, conserver sa dignité, avoir son libre arbitre, être un esprit libre ?

    L’éducation algérienne de Wassyla Tamzali livre au lecteur certaines des clés qui dévoilent le mystère des quatre cercles. Et ainsi échapper à la quadrature... Ouvrir des portes, sortir, respirer et voir des horizons nouveaux. L’ouvrage aide à avoir ce regard neuf sur l’Algérie, malgré le prix à payer. «Malgré le dévoilement que j’ai tenté tout au long de ce récit, je n’ai pas trouvé d’explication convaincante à cet attachement exclusif à l’Algérie », écrit l’auteure. «Il n’y a rien à comprendre», conclut-elle philosophe. Une éducation algérienne est un récit poignant, passionnant, écrit avec les cinq sens. Dans cette histoire vraie se mêlent les plus petits détails de la vie quotidienne, la politique, l’histoire contemporaine de l’Algérie, les souvenirs heureux ou tristes, l’art, le rêve, les espérances...

    C’est l’histoire d’une blessure, d’une dépossession, d’un être qu’on a chassé du royaume de l’enfance, de rêves et d’utopies qui s’évanouissent les uns après les autres. Désenchantement, certes, mais aussi désensorcèlement, dévoilement et poursuite d’autres combats libérateurs. La quête de Wassyla Tamzali pourrait être contenue dans ces mots d’André Gide : «Ce que l’on découvre ou rédécouvre soi-même ce sont des vérités vivantes : la tradition nous invite à n’accepter que des cadavres de vérités.» Pour dire que l’auteure retrace son itinéraire personnel et décortique le pays qu’elle aime tant avec beaucoup de courage et de lucidité. Le lecteur ne demande pas mieux qu’à se désintoxiquer à son tour de l’histoire officielle, à se libérer du joug des «tribus» et à affirmer son identité propre. Quant à la famille Tamzali, trop longtemps diabolisée, le lecteur redécouvre à travers elle les vraies valeurs qui fondaient les élites et les notables nationalistes de l’époque de la colonisation : le travail, la culture, la modernité, l’amour de la liberté, l’intelligence, l’art de vivre, le nationalisme par conviction politique. Toutes choses qui déplaisent souverainement au discours communautariste (et qu’il a toujours combattues). Pour conclure, cette autre clé qui explique le talent de l’auteure : «Mon autre grandpère, l’Algérien, le faiseur de fables, m’a appris à regarder les étoiles et à raconter des histoires. Chacun sa culture, et pour moi les deux : le fil à plomb et les étoiles. C’est avec les deux que j’avance.»


    Hocine Tamou- Le Soir

    Wassyla Tamzali,
    Une éducation algérienne,
    Chihab Editions, Alger, 2013, 376 pages, 950 DA.
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