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Question de sécurité, disent-ils

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    Question de sécurité, disent-ils



    « Quand l'avion survole, en approche certains quartiers de la périphérie d'Oran ; je me penche vers le hublot pour chercher le Murdjadjo, ce serpent de mer qui domine la ville et ma vie. Et là, mon coeur se remplit de joie. Il chavire ».

    Elle pensait ce qu'elle disait. Elle s'était retournée vers moi pour se confier. Je ne la connaissais pas. J'ai hoché la tête. Je lui ai dit en quelques mots ce que je pensais de sa tonique joie.

    Le hasard me fit la retrouver dans le hall du départ, sagement assise, attendant l'appel pour embarquer. Je me suis glissé à ses côtés.

    - Bonjour Madame. (Elle leva les yeux vers moi. Tristes). J'étais à côté de vous il y a quinze jours. Vous me parliez du Murdjadjo.

    Elle a soufflé. Un gros « Ouf ».

    Nous ne sommes plus rien, dit d'autre.

    Je vais vous confier ce que je lui fis remarquer, le temps de l'approche de l'appareil vers la piste de l'aéroport Ahmed-Benbella. Je lui demandai d'entrer dans un état second, de ne penser qu'aux parents qui l'attendent à la sortie du contrôle de police, aux moments merveilleux qu'elle allait passer avec la parenté, les cadeaux qui feront briller leurs yeux. Parce qu'au départ, c'est un autre scénario.

    Elle était bien silencieuse. Ce qu'elle ne voulait pas me dire -et c'est un de nos traits de caractère « maaza oualaou tarret » - c'est qu'en faisant la queue pour le contrôle de police, elle passa de très longues minutes devant le fonctionnaire appliqué à remplir sa fiche d'embarquement, y ajoutant des signes cabalistiques, puis, à peine libérée de cette longue épreuve, une jeune et fringante douanière lui palpa son corps tandis que son sac était scanné aux rayons X. En récupérant ses bagages, le douanier la jaugea pour, cette fois, scanner virtuellement son cerveau avant de décider qu'elle était une pure qui ne cachait rien.

    Je lui avais demandé de penser à comparer, mentalement, toutes les phases de contrôle par lesquelles elle passera chaque fois qu'elle quitte ou rentre dans son pays. Et de comparer les deux processus de contrôle aux frontières.

    Il y avait de quoi la noyer dans un sombre cafard.

    A l'arrivée, à l'étranger, vous remettez votre passeport avec visa, ou votre carte de résidence. Elle passe par un capteur électronique. J'ai compté – c'est une de mes manies – les secondes que j'ai passé devant l'agent de police au guichet. Vingt-trois secondes. Autant au moment de le quitter.

    Les rôles étaient inversés. J'avais l'impression de rentrer chez moi en France, où j'étais fiché correctement, tandis que chez moi, là où je revendique une partie de la terre, je dois passer par une identification soupçonneuse à chaque voyage.

    Croyez vous que cela soit tolérable, ça ? Si nous nous sommes crus malins de demander aux Aéroports de Paris de nous construire un aéroport, ou le réhabiliter fonctionnellement – c'est une manie chez nous – pourquoi ne leur avons-nous pas demandé, dans la foulée, comment ils faisaient pour trier des millions de passagers à Roissy ou Orly ou Marignane pour faire de leur voyage un plaisir ? Ils doivent bien avoir une recette. Faut-il louer les services de consultants pour en prendre connaissance ?

    J'ai honte d'aboutir à cette conclusion.

    Nos douaniers, ces derniers mois et semaines, ont fait un travail remarquable. Exceptionnel, si l'on en juge par les prises de drogue qu'ils ont réussi. On reconnaît là un travail de professionnel basé, certainement, sur la pénétration des réseaux maffieux et la collecte d'informations à la source. Ils ont agi comme toutes les polices de pays respectables et les douaniers vigilants aux frontières. Belle formation.

    Mais alors pourquoi, diable, demander à ces jeunes gens de s'acharner sur les passagers avec des moyens relevant de l'âge du silex et des premières étincelles ? De grâce, messieurs, outillez-les pour donner aux nationaux l'impression d'être bien identifiés et accueillis chez eux ! Et que nos compatriotes en repartent avec le sentiment, la certitude même qu'ils étaient chez eux, la terre de leurs pères et qu'ils y reviendront avec plaisir. Sur un simple « clic ».

    Pourquoi seraient-ils suspects ? On en n'a jamais arrêté l'un d'eux cachant un puits de pétrole dans son cabas. En revanche, une simple signature et ce même puits qui faillit changer de propriétaire. Et je ne pense pas que la douane soit à l'origine de ce glissement de terrain qui a transféré les nappes d'or noir et de gaz d'une poche géologique algérienne vers une poche italienne ou espagnole.

    Quand on n'a pas le bonheur de figurer sur la liste des VIP, un voyage, fût-t-il d'agrément, commence dans le stress. Stress pour trouver un taxi à l'heure dite, stress de l'embouteillage qui vous fera arriver à la clôture de l'embarquement, stress devant le policier derrière son guichet, stress quand on est fouillé au corps de peur d'avoir oublié sa Kalachnikov sous la chemise, stress de trimbaler un quintal de drogue dur dans ses bagages, stress que l'on n'expulse de sa poitrine que lorsque l'appareil atterrit sous d'autres cieux, relâchement psychologique que l'on exprime comme les Moyen-orientaux, en applaudissant. Manque plus que les youyous des femmes et le service d'une énorme assiettée de couscous à la viande d'agneau. Laissez les quitter, temporairement, le plus beau pays du monde pour le retrouver avec la joie que l'on éprouve à retrouver sa jeune épousée, son enfant longtemps trop loin de chez ses parents.

    J'ai compté les contrôles.

    Avant de faire la queue pour l'enregistrement. A l'enregistrement. Au contrôle de la carte d'embarquement. A l'entrée de la zone de la police de l'air. Au scanner des bagages à main. A la fouille au corps, légère, avant accès à la salle d'embarquement. Contrôle financier pour vérifier les exportations de devises. Contrôle du ticket d'embarquement. Vérification du billet, du passeport avant d'embarquer dans le bus. Identification du bagage qui doit être mis en soute. Vérification du contenu du bagage à main. Fouille au corps, aussi légère que la précédente.

    Et, enfin, contrôle par l'hôtesse du numéro de siège.

    Départ de Marseille.

    Vérification du votre billet, du passeport et du visa au comptoir de la compagnie aérienne. Contrôle du passeport et du visa de séjour par la police de l'air. Vérification du ticket d'accès à bord. Embarquement après l'assistance de l'hôtesse de bord pour vous indiquer votre siège.

    Le match se termine sur le score de 13 contrôles à 5.

    Mais il y a pire, rassurez-vous.

    A l'aéroport d'Islamabad, le score est plus lourd. 18 à 5.

    Si ça peut nous consoler.

    PS : Pardon, Madame, de vous avoir gâché votre séjour.


    par Bouchen Hadj-Chikh


    Le Quotidien d'Oran
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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