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L’intellectuel syrien Michel Kilo, 73 ans, chrétien de gauche, est l’un des plus anciens opposants au régime de Assad père et fils. Leader de l’opposition laïque, il vient de fonder l’Union des démocrates syriens. Nous l’avons rencontré à Paris avant qu’il ne s’envole vers Washington pour y rencontrer John Kerry. Dialogue, témoignages et révélations de l’un des hommes-phares de l’opposition syrienne.
Vous vous souvenez de ma bibliothèque ? »
Michel Kilo esquisse un sourire de fierté et de souffrance en évoquant notre rencontre d’avant le déluge dans son appartement de Damas, désormais confisqué par le régime. Des pièces tapissées de livres sur la Syrie et le monde, l’histoire, l’individu, la folie des hommes et des peuples, leur héroïsme et leur résurrection aussi. Ses livres, c’est tout ce que cet intellectuel regrette dans l’exil qu’il a rejoint voici deux ans. Sa Syrie aimée est désormais sans livres et sans mots. On y crucifie les êtres vivants et les clous sont cloués dans la chair par les barbares de l’Emirat islamique en Irak et au Levant( EIIL). C’est pour combattre cette horreur que Michel Kilo a lancé l’Union des Démocrates Syriens, seule grande force laïque de l’opposition syrienne. Sur la toile de fond de l’abomination fanatique, est-ce une utopie ?
Michel Kilo accueille notre scepticisme avec l’indifférence de ceux qui ont tout vu, tout connu, des geôles d’Assad père et fils au spectacle de son pays torturé.
- « Vous vous souvenez de Damas ? » demande-t-il brusquement.
Oui. On s’en souvient comme de ses livres. Et de ce parfum désormais réfugié dans un coin de la mémoire olfactive.
- « Et bien Damas n’existe plus, divisée, déchiquetée, hérissée de murs, de chicanes, de ruines. Mais la volonté de vivre dans la liberté n’est pas morte. C’est pour cela que nous avons créé une force laïque et civique pour bâtir un Etat moderne. Nous, les opposants laïques, nous luttions contre la tyrannie dans notre pays, sur notre sol, quand les islamistes étaient à l’étranger ! Nous sommes la continuité. « Les intégristes de l’EIIL sont les alliés du régime »
Il y a trois forces contre Bachar en Syrie : les laïques, les Frères musulmans, les intégristes.
Nous nous battons autant contre l’intégrisme que contre le despotisme. Mais les deux sont en fait des alliés. Nous avons la preuve que l’Emirat Islamique en Irak et au Levant, responsable des actes barbares et des enlèvements, est une émanation du régime de Bachar. Il y a d’anciens officiers de l’armée régulière au sein de l’EIIL. Leur mission est de détruire l’Armée syrienne libre.
- Il y aurait une alliance objective entre Bachar et les intégristes, c’est votre thèse ?
- Ce n’est pas ma thèse : j’ai les preuves ! La plupart des islamistes violents ont été relâchés six mois après le déclenchement de la révolution de leur prison de Sednaya. Abou Ahmed Djoulani, le chef du Front Al Nosra, Alouche, le chef du Front Islamiste, Abou Issa, le chef des Islamistes libres. Abou Anas Hachani, le chef de la sécurité de l’EIIL à Raqqa, était le chef des services politiques de Bachar dans cette même ville de Raqqa. Il y a quelques jours, l’EIIL a lâché deux villages au nord d’Alep, en fait « cédés » à l’armée du régime de manière à ce qu’elle puisse attaquer l’Armée Syrienne Libre. Au sein de l’autre organisation intégriste, le Front Al Nosra, un courant important est proche du régime. Sinon pourquoi Al Nosra aurait-il enlevé l’opposante Razan Zeitouneh ?
- Razan est cette femme extraordinaire, cette avocate de 34 ans qui accumulait les témoignages sur la répression et a été enlevée en décembre 2013 dans une zone de la banlieue de Damas tenue par le Front Al Nosra.
- Oui, et c’est parce qu’elle en savait trop sur le régime que Nosra l’a enlevée. Pour l’instant, elle est détenue avec son mari et d’autres militants dans une des prisons des intégristes. Vivante, aux dernières informations. Mais le père François Mourad, le franciscain, lui, a été égorgé près de Homs en juin 2013. Et ce sont les gens de l’Emirat islamique en Irak et au Levant qui ont perpétré ce meurtre. Parce qu’il avait vu tout ce qui s’était passé à Homs. C’était un témoin gênant. Ils l’ont supprimé. En juillet 2013, l’EIIL a tué 29 officiers de l’Armée Syrienne Libre et pas un seul de l’armée de Bachar...
- Quel est le rapport de forces entre l’ASL et les intégristes ?
- L’ASL compte entre 150 000 et 200 000 combattants. Les extrémistes sont au nombre de 20 000
- Bachar est-il en train de gagner du terrain ou d’en perdre ?
- Depuis un mois, le régime a essuyé plusieurs défaites et il va être contraint de négocier. L’EIIL a perdu beaucoup de villes et de villages. Les Russes évoluent vers une nouvelle solution politique. Notre référence sera une Instance de Transition sans Assad.
- Quand vous dites « Nous », que représente ce « Nous » ?
- L’Union des Forces Démocratiques que je dirige, la Coalition nationale Syrienne, l’Armée Syrienne Libre sur le champ de bataille. Nous organisons la résistance contre les intégristes. Le régime va disparaître mais le risque c’est que l’intégrisme perdure en semant le chaos. Notre stratégie, c’est de bâtir un front uni contre l’intégrisme et le despotisme. A Raqqa, nous avons organisé des manifestations pour protéger les chrétiens et les églises. Le père Paolo enlevé par les intégristes était notre ami, notre frère.
- Il est difficile avec un tel bain de sang d’imaginer la reconstruction d’une Syrie unie.
En zone alaouite, à Lattaquieh et Tartous, il y 1.300 000 sunnites et chrétiens, ils n’ont pas bougé. Je suis sûr que la Syrie ne se divisera pas.
( entretien réalisé à Paris le 2 mai 2014
Marianne
Vous vous souvenez de ma bibliothèque ? »
Michel Kilo esquisse un sourire de fierté et de souffrance en évoquant notre rencontre d’avant le déluge dans son appartement de Damas, désormais confisqué par le régime. Des pièces tapissées de livres sur la Syrie et le monde, l’histoire, l’individu, la folie des hommes et des peuples, leur héroïsme et leur résurrection aussi. Ses livres, c’est tout ce que cet intellectuel regrette dans l’exil qu’il a rejoint voici deux ans. Sa Syrie aimée est désormais sans livres et sans mots. On y crucifie les êtres vivants et les clous sont cloués dans la chair par les barbares de l’Emirat islamique en Irak et au Levant( EIIL). C’est pour combattre cette horreur que Michel Kilo a lancé l’Union des Démocrates Syriens, seule grande force laïque de l’opposition syrienne. Sur la toile de fond de l’abomination fanatique, est-ce une utopie ?
Michel Kilo accueille notre scepticisme avec l’indifférence de ceux qui ont tout vu, tout connu, des geôles d’Assad père et fils au spectacle de son pays torturé.
- « Vous vous souvenez de Damas ? » demande-t-il brusquement.
Oui. On s’en souvient comme de ses livres. Et de ce parfum désormais réfugié dans un coin de la mémoire olfactive.
- « Et bien Damas n’existe plus, divisée, déchiquetée, hérissée de murs, de chicanes, de ruines. Mais la volonté de vivre dans la liberté n’est pas morte. C’est pour cela que nous avons créé une force laïque et civique pour bâtir un Etat moderne. Nous, les opposants laïques, nous luttions contre la tyrannie dans notre pays, sur notre sol, quand les islamistes étaient à l’étranger ! Nous sommes la continuité. « Les intégristes de l’EIIL sont les alliés du régime »
Il y a trois forces contre Bachar en Syrie : les laïques, les Frères musulmans, les intégristes.
Nous nous battons autant contre l’intégrisme que contre le despotisme. Mais les deux sont en fait des alliés. Nous avons la preuve que l’Emirat Islamique en Irak et au Levant, responsable des actes barbares et des enlèvements, est une émanation du régime de Bachar. Il y a d’anciens officiers de l’armée régulière au sein de l’EIIL. Leur mission est de détruire l’Armée syrienne libre.
- Il y aurait une alliance objective entre Bachar et les intégristes, c’est votre thèse ?
- Ce n’est pas ma thèse : j’ai les preuves ! La plupart des islamistes violents ont été relâchés six mois après le déclenchement de la révolution de leur prison de Sednaya. Abou Ahmed Djoulani, le chef du Front Al Nosra, Alouche, le chef du Front Islamiste, Abou Issa, le chef des Islamistes libres. Abou Anas Hachani, le chef de la sécurité de l’EIIL à Raqqa, était le chef des services politiques de Bachar dans cette même ville de Raqqa. Il y a quelques jours, l’EIIL a lâché deux villages au nord d’Alep, en fait « cédés » à l’armée du régime de manière à ce qu’elle puisse attaquer l’Armée Syrienne Libre. Au sein de l’autre organisation intégriste, le Front Al Nosra, un courant important est proche du régime. Sinon pourquoi Al Nosra aurait-il enlevé l’opposante Razan Zeitouneh ?
- Razan est cette femme extraordinaire, cette avocate de 34 ans qui accumulait les témoignages sur la répression et a été enlevée en décembre 2013 dans une zone de la banlieue de Damas tenue par le Front Al Nosra.
- Oui, et c’est parce qu’elle en savait trop sur le régime que Nosra l’a enlevée. Pour l’instant, elle est détenue avec son mari et d’autres militants dans une des prisons des intégristes. Vivante, aux dernières informations. Mais le père François Mourad, le franciscain, lui, a été égorgé près de Homs en juin 2013. Et ce sont les gens de l’Emirat islamique en Irak et au Levant qui ont perpétré ce meurtre. Parce qu’il avait vu tout ce qui s’était passé à Homs. C’était un témoin gênant. Ils l’ont supprimé. En juillet 2013, l’EIIL a tué 29 officiers de l’Armée Syrienne Libre et pas un seul de l’armée de Bachar...
- Quel est le rapport de forces entre l’ASL et les intégristes ?
- L’ASL compte entre 150 000 et 200 000 combattants. Les extrémistes sont au nombre de 20 000
- Bachar est-il en train de gagner du terrain ou d’en perdre ?
- Depuis un mois, le régime a essuyé plusieurs défaites et il va être contraint de négocier. L’EIIL a perdu beaucoup de villes et de villages. Les Russes évoluent vers une nouvelle solution politique. Notre référence sera une Instance de Transition sans Assad.
- Quand vous dites « Nous », que représente ce « Nous » ?
- L’Union des Forces Démocratiques que je dirige, la Coalition nationale Syrienne, l’Armée Syrienne Libre sur le champ de bataille. Nous organisons la résistance contre les intégristes. Le régime va disparaître mais le risque c’est que l’intégrisme perdure en semant le chaos. Notre stratégie, c’est de bâtir un front uni contre l’intégrisme et le despotisme. A Raqqa, nous avons organisé des manifestations pour protéger les chrétiens et les églises. Le père Paolo enlevé par les intégristes était notre ami, notre frère.
- Il est difficile avec un tel bain de sang d’imaginer la reconstruction d’une Syrie unie.
En zone alaouite, à Lattaquieh et Tartous, il y 1.300 000 sunnites et chrétiens, ils n’ont pas bougé. Je suis sûr que la Syrie ne se divisera pas.
( entretien réalisé à Paris le 2 mai 2014
Marianne
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