Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Dans les secrets de la bourse informelle

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Dans les secrets de la bourse informelle

    Le marché de l’Euro a pris la tangente, ces dernières semaines, sur les places publiques du marché informel de la devise. Mercredi dernier, il se négociait encore, en Kabylie, aux alentours de 153,50 DA.

    À Tizi-Ouzou ville, le coin a fini par avoir une renommée. Le café des émigrés, ou carrément le café de l’euro, est connu des jeunes et des moins jeunes. Alors là, les vieux (les retraités), on n’en parle même pas. Ils sont intervenants dans ce fructueux marché… Un marché en pleine expansion, assez risqué tout de même et truffé d’intrigues. Cela n’empêche qu’ils sont plusieurs à exhiber sur place des liasses de billets de 1000 ou de 2000 DA, pour s’afficher aux éventuels vendeurs d’Euros, de passage. C’est le rituel au quotidien devant cette cafétéria, juste à côté de la nouvelle BADR. Peu importe le temps qu’il fait ! Pas d’horaires non plus. Chaque matin que dieu fait, « de bonheur moins quart », comme ironisera Saïd, « je suis là, j’achète et je vends. C’est mon occupation. Je n’ai pas d’assurance, mais ça va, je m’en sors bien. Je ne me plains pas en tous les cas. Pour la Golf, je dois attendre un peu ». C’est en fait là « la petite folie » commune que ces « professionnels » de la finance informelle se projettent… S’offrir, dès le départ, une belle cylindrée. Chez eux, la Mercedes quatre phares est baptisée « Cacahouète ! ». Curieux langage. Mais il a fini par faire du chemin. Et de nos jours, même le gamin du coin, quand vous dite « Caoucaoua », il sait que ça ne se mange pas… C’est de la tôle ! Ça les fait jaser et rêver autant ! Mais les gamins sont conscients qu’ils sont encore loin des sous qu’il faut pour se payer un tel luxe. Pas ces financiers de la rue. Mais eux, ils en parlent moins. Pas trop bavards. Même quand il est question de transactions. Le prix est fixé dès le départ. Alors, c’est à prendre ou à laisser ! C’est à peine qu’on vous compte votre dû d’une voix audible. Dans ce marché improvisé à même le trottoir, on se montre plus qu’on en parle. Il y a de l’honnêteté, certes, mais la ruse déborde ! Le client a intérêt à être bon en calcul mental, car la « marchandise » n’est ni échangée ni remboursée. Vous pouvez, aussi, vous faire avoir le plus normalement du monde sur le prix. « Généralement, dans la rue, on vous achète à un coût moindre. On essaye toujours de vous grignoter quelques dinars. Pour vous, 50 ou 100 DA, c’est rien du tout, surtout si vous vendez un bon pactole, mais pour eux, au bout de la journée, ça leur fait un bon salaire de coiffeur ou même d’un médecin d’Etat (du secteur public), en plus ». Celui qui parle de la sorte a pour prénom Djamel. A 90%, il a menti sur ce dernier détail. Mais peu importe. Lui, il est aussi intervenant. Mais à la différence des autres, il fait son marché dans la boutique du prêt à porter pour femme « d’un ami ». Il pratique ce « commerce » de la devise aussi ouvertement que ne le font ses concurrents dans la rue. Mais sous une certaine ombre. Loin des regards des passants. Ses clients sont « moins exposés » au danger qui pourrait les guetter en pleine rue, sous les regards d’éventuelles menaces. « Vous savez, quand vous n’êtes pas à l’abri d’un coup de couteau pour un minable téléphone portable, vous ne pouvez pas dire que rien ne m’arrivera en vous exposant avec des liasses de billets », met-il en garde. Par bonheur, il ne s’arrêtera pas là. Il consent à dire un peu plus. Même faire de croustillantes révélations sur cette bourse informelle et son fonctionnement.

    «C’est eux qui fixent le cours, chaque matin»

    Curieux, en effet, que l’on puisse arriver à se mettre d’accord sur un même cours, d’une place à une autre. Et même d’une wilaya à une autre. Et que ce cours change presque au quotidien avec les mêmes écarts, à quelques dinars près, pour ne pas dire à quelques centimes près, quand il s’agit de petites sommes à changer ! Logiquement, tout doit se jouer selon l’offre et la demande, enregistrées sur le marché. Et le cours devrait gagner des marges avec une demande plus accrue et vice versa. Sauf que ça ne semble pas se passer toujours comme ça. « C’est la demande manifestée par les patrons, au quotidien, qui fixe le taux, et peu importe l’offre », lâche t-il. « Chaque matin, on est avisé par SMS sur le prix auquel on nous rachètera, au soir, les devises échangées pendant la journée. À supposer qu’on nous dise que pour ce soir, on nous achèterait l’Euro à 154 DA, alors, c’est là où chacun décide de sa marge à prendre. Généralement, on prend 50 DA sur 100 Euros. C’est de la sorte que le cours est fixé à 153,5 pour certains. Et comme chacun, selon les fonds dont il dispose, c’est là qu’interviennent les petites différences. Différents revendeurs vous achèteront alors vos Euros entre 153 et 153,5, voir jusqu’à 153,8 DA ». Notre confident nous apprendra, aussi, que les patrons qui rachètent les sommes récoltées par les revendeurs, en fin de journée, se montrent généralement disposés à payer plus, si vous leur proposez des coupures de billets plus importantes. « Une chose est sûre, s’ils achètent des Euros, ce n’est pas pour les mettre à la banque à Tizi-Ouzou ou à Alger, mais pour les transférer à l’étranger, acheter des marchandises, de la matière première, ou carrément pour les placer dans des banques en Europe. Et, ils préfèrent payer un peu plus, mais voyager plus discret et plus légers, avec des billets de 200, voire 500 Euros, qu’avec des volumes importants, trop voyants et exposés, de billets de 20 Euros par exemple. Eux, ils savent ce qu’ils font », tranche t-il. Voilà des bribes qui lèvent quelque peu le voile sur ces anonymes, qui décident, dans l’ombre, de ce cours de l’Euro du marché informel. On conclut logiquement que ce sont alors les commerçants importateurs ou encore ces fortunés locaux et gros bonnets qui transfèrent leur argent, pour une raison ou une autre, à l’étranger.

    La présidentielle et les émigrés…

    À suivre les confidences d’un autre « petit commerçant » (c’est comme ça qu’il se désigne lui-même), ceux qui pèseraient le plus dans cette bourse ce sont les habitués du marché, c'est-à-dire les commerçants qui s’approvisionnent de l’étranger : « Les dessous de table existent partout. À Alger, à Istanbul, comme à Marseille ou à Paris, il y a toujours des « affairistes honnêtes » qui cherchent à fuir le fisc... Généralement, nos importateurs préfèrent payer le change plus cher, plutôt que de tout déclarer via la banque… Les factures réduites ou gonflées, les fausses déclarations, c’est connu de tout le monde ! ». C’est du lourd ! Et monsieur tout le monde appuie ! Mais ça reste à ce niveau là. Une ligne rouge au-delà de laquelle on ne se hasarde pas. Il y a de gros intérêts en jeu. Et forcement, on ne s’y risque pas ! On préfère alors parler des retraites des émigrés qui alimentent ce marché. Ils en sont, d’ailleurs, quasiment les uniques pourvoyeurs, l’économie du pays étant réduite à l’import-import. « C’est clair qu’ils influent aussi sensiblement sur le marché, à certaines périodes du moins, comme en été. Ils sont nombreux à échanger leurs Euros, en cette saison des vacances, qui pour finir une construction, qui pour les besoins d’une fête… L’offre devient alors importante », tente d’expliquer encore Djamel. « Maintenant, normalement, le cours devrait baisser dans les semaines à venir. Les gens ont eu peur avec la présidentielle, c’est pour ça qu’ils se sont mis à échanger leurs dinars pour les placer à l’étranger. Le cours avait d’ailleurs franchi les 156,5 DA, à la veille de l’élection. L’incertitude passée, tout redeviendra normal et le marché devrait reprendre à fonctionner, selon la règle de l’offre et de la demande.» La projection de Djamel a du sens. Pourtant, il n’a rien d’un économiste. Il dit qu’il a arrêté ses études en terminale, juste après avoir raté son bac. Mais il semble bien initié dans le domaine. Quand il parle finance, peut-être même, mieux qu’un universitaire en cursus… Son « job » lui a bien servi, dit-il. « L’école de la vie m’a forgé et je ne le regrette pas ! ». Normal, quand elle vous en met des Euros plein les poches !

    Djaffar C.- La Dépêche de Kabylie
Chargement...
X