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Hommage à Mohamed Seddik Benyahia

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  • Hommage à Mohamed Seddik Benyahia

    Il y a trente deux ans, le 3 mai 1982, disparaissait Mohamed Seddik Benyahia, dans l’explosion d’un avion spécial en route vers Téhéran dans le cadre d’une médiation destinée à mettre fin au conflit opposant l’Iran et l’Irak.L’avion, un Gulfstream II du gouvernement algérien qui transportait également une délégation du MAE composée de 15 cadres, avait été abattu à l’entrée de l’espace aérien iranien, par un missile irakien de fabrication soviétique. Une autre version indique que l’avion fut abattu par un appareil MIG-25 de l'armée de l'air irakienne. Dans les deux cas, la responsabilité irakienne est pleine et entière.

    Quatre grandes périodes résument la trajectoire de vie unique de l’homme. Elles témoignent de l’apport marquant de l’homme à l’histoire de son pays.


    1. Aux côtés de Ferhat Abbas. «Le petit Benyahia», comme aimaient à l’appeler ses compagnons, en raison de sa corpulence fragile, suit une scolarité qui le conduit du collège de Sétif, où il passera quatre ans, au lycée Bugeaud (l’actuel Emir-Abdelkader) à Alger. «Sujet remarquable» pour ses maîtres, il enchaînera avec des études de droit à l’Université d’Alger, avant de s’inscrire en 1953 au barreau de la même ville. C’est à ce titre qu’il assurera, deux ans plus tard, la défense de Rabah Bitat, écroué à la prison de Barberousse. Il en profitera pour assurer les liaisons avec Abane Ramdane qui venait d’être élargi. En 1955, il participe à la création de l’Union générale des étudiants musulmans algériens avec Ahmed Taleb Al Ibrahimi et Lamine Khene et fut parmi les organisateurs de la grève des étudiants algériens qui rejoignirent les rangs du Front de libération nationale le 19 mai 1956. Il sera désigné, en août 1956, au Congrès de la Soummam, membre suppléant du CNRA. Depuis, le parcours de Benyahia — né le 30 janvier 1932 à Jijel — croisera à plusieurs endroits celui de Ferhat Abbas, lui aussi natif de Jijel (Taher). Son empreinte dans la formation du jeune Benyahia ne peut être éludée puisque, en fin de parcours, il en fit son directeur de cabinet lorsqu’il présidera le second GPRA à partir de janvier 1960, avant de l’envoyer à Melun en juin 1960 comme porte-parole du «groupe de Tunis» chargé de coordonner les positions avec les «pensionnaires d’Aulnay». Dépourvu d’administration propre à la tête du GPRA, Abbas ne réunit autour de lui qu’un cabinet d’une demi-douzaine de collaborateurs parmi lesquels se distingue le jeune avocat de vingt-huit ans qui a déjà fait le tour du monde pour assurer la représentation du FLN au Caire, aux Nations unies (en 1957), à Accra (1958), à Monrovia (1959), en Indonésie, à Londres et ailleurs.

    Le 21 juin 1960, le GPRA envoie trois émissaires (Mohamed Benyahia, Hakimi Ben Amar et Ahmed Boumendjel) pour rencontrer à Melun le général Robert de Gastines (officier de cavalerie), le colonel Mathon (cabinet militaire de Michel Debré) et Roger Moris (ancien contrôleur civil au Maroc) qui doivent préparer de futurs entretiens de Gaulle-Ferhat Abbas. Mais la délégation réclame des rencontres au niveau le plus officiel, un entretien avec les prisonniers d’Aix, notamment Ahmed Ben Bella, une liberté de manœuvre vis-à-vis de la presse et les ambassades étrangères, une plate-forme officialisant les contacts(*).

    Il y eut Melun, puis le premier et le second Evian. Benyahia est toujours là. Dans une récente contribution consacrée aux accords d’Evian, Daho Ould Kablia(**) le signale comme particulièrement actif, au centre du dispositif, à partir de la fin de l’année 1961. Le 28 octobre 1961, avec Redha Malek, il rencontre secrètement De Leusse et Chauyet pour obtenir de substantielles concessions : «Quelques progrès sont enregistrés. Mais les Algériens insistent sur la libération des cinq détenus (les prisonniers d’Aix : Boudiaf, Ben Bella, etc. ndlr), ou à tout le moins, la possibilité de les rencontrer. Des assurances leur sont données à cette fin.» Le 8 novembre de la même année, les mêmes émissaires se retrouvent et échangent des documents se rapportant à quatre dossiers : la nationalité, le statut de l’armée française et le calendrier de son retrait, le régime transitoire et les bases aériennes françaises au Sahara et au centre de Reggane. Plus tard, le 9 décembre 1961, De Leusse est accompagné de Joxe pour retrouver Benyahia et Dahlab. A l’issue de la rencontre, Benyahia est autorisé à rendre visite à Ben Bella. «Cette visite fait évoluer les choses», commente Daho Ould Kablia. Albert Paul Lentin, qui a suivi de près les négociations d’Evian, le décrit ainsi : «Ce jeune renard aux traits aigus et à l’œil futé se distingue non seulement par une astucieuse subtilité, mais par une volonté de fer. Efficace et avisé, il va de l’avant, en dépit de sa santé chancelante et il se fraie son chemin coûte que coûte, à force de prudente ténacité et de dynamisme contrôlé.» Avant que notre pays ne recouvre sa souveraineté, il fut encore chargé de présider la réunion du CNRA à Tripoli (Libye) en 1962. Il y présidera la commission de sondages, avant de déplorer l’incurie des congressistes et de déposer sa démission. Benyahia, qui connaissait par cœur les poèmes de Jacques Prévert, souffrait du mépris qu’affichaient les nouveaux maîtres de l’Algérie à l’endroit des «diplômés» et de la «chasse aux sorcières» qui leur était faite — le Bureau politique du FLN ne comprenait aucun diplômé et leurs candidatures à l’Assemblée constituante désignée par le Bureau politique étaient systématiquement écartées.

    Il prendra du recul en s’exilant comme ambassadeur à Moscou et à Londres.

    2. Un homme libre à la tête de l’information. Il occupera son premier poste ministériel de l’Algérie indépendante à la tête de l’information et de la culture. A ce poste, l’Algérie lui doit, notamment, le succès éclatant du premier et dernier Festival panafricain de la culture et de la jeunesse qui vit les rues d’Alger vibrer aux rythmes de Myriam Makeba chantant «Africa» et Manu Dibango glorifiant «Moretti» en 1969. Les témoins de cette époque encore en vie se rappellent l’amitié qui le liait à Kateb Yacine, Issiakhem, et tous les artistes et écrivains dont il partageait une grande partie de leur quotidien.

    3. A l’enseignement supérieur. A l’enseignement supérieur, il est notamment l’artisan de la réforme et de la démocratisation du secteur, avant d’œuvrer à fédérer les organisations estudiantines dans le cadre commun de l’UNJA, unies dans l’action commune (même si les visions et les desseins des uns et des autres demeuraient divergents). A l’enseignement supérieur, il y fait aboutir une profonde réforme de l’Université algérienne : cinq ans plus tard, le temps que les choses mûrissent, à partir de 1976 l’Algérie formera un millier de médecins, autant de scientifiques, etc. Dans le même temps, il arrime l’institution universitaire au train des transformations sociales. Le 12 juillet 1973, à l’adresse des étudiants volontaires, en présence du chef de l’Etat, ses propos sont empreints de gramscisme : «Votre présence prouve que vous refusez l’université bourgeoise, l’université citadelle, que vous rejetez l’extraterritorialité culturelle pour rentrer dans le pays réel.» Jean Leca et Jean-Claude Vatin voient dans cette position un «mixage des termes marxistes (université bourgeoise), nationalistes (extraterritorialité), voire franchement traditionalistes (le «pays réel»)»(***). L’avocat, issu des couches aisées citadines de Jijel, a bien rompu avec ses intérêts originels pour se mettre au seul service de ceux des couches les plus défavorisées et qui, au demeurant, ont le plus donné pour la Révolution. Plus tard, son nom sera étroitement associé à la rédaction de la sacro-sainte Charte nationale et de l’ordonnance mythique portant révolution agraire, deux textes fondateurs d’un «socialisme spécifique» soucieux de concilier la dimension sociale de l’Etat projetée par le Congrès de la Soummam (elle se réduira vite à une forme rentière et distributive du pouvoir) et une identité nationale construite autour de l’Islam, religion du peuple et de l’Etat. Quelques-uns de ses proches collaborateurs encore en vie rapportent sa réaction à la traduction arabe usuelle des rapports sociaux par «l’exploitation de l’homme par son frère l’homme».

    Il réfutait la fraternité qui pouvait lier l’exploité à l’exploiteur !

    4. Aux affaires étrangères. Aux finances et aux affaires étrangères, il s’illustra dans le dénouement de l’affaire des otages de l’ambassade américaine à Téhéran en 1981 avant de reprendre son bâton de pèlerin de la paix en qualité de chargé d’une mission de bons offices entre l’Irak et l’Iran.


    (*) Benjamin Stora-Zakya Daoud : Ferhat Abbas, une autre Algérie, Casbah Editions, 1995, pp. 330-331.
    (**) Daho Ould Kablia, Les Accords d’Evian : Contacts, négociations et pourparlers algéro-français durant la lutte de libération nationale (1954-1962), Conseil de la Nation, Alger 2011, pp. 9-31.
    (***) Jean Leca et Jean-Claude Vatin, L’Algérie politique : institutions et régimes, Presses de la Fondation des sciences politiques, Paris 1975, p. 252.


    Ammar Belhimer- Le Soir
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