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Nigeria : l'effroyable itinéraire de Boko Haram

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  • Nigeria : l'effroyable itinéraire de Boko Haram

    ai enlevé vos filles. Elles seront traitées en esclaves." Trois semaines après, la revendication par la secte islamiste Boko Haram du rapt de 276 lycéennes dans le nord-ouest du pays plonge de nouveau le Nigeria dans l'effroi. Dans une vidéo de cinquante-sept minutes, Abubakar Shekau, chef de l'organisation qui signifie "l'éducation occidentale est un péché", promet de vendre et de marier de force les 223 captives (53 ont réussi à s'enfuir, NDLR).

    Une menace on ne peut plus sérieuse, plusieurs sources faisant déjà état du transfert des adolescentes vers le Tchad et le Cameroun voisins, où elles auraient été vendues 12 dollars chacune. "Les filles sont mariées aux soldats de Boko Haram pour renforcer leur moral et en recruter d'autres", explique David Zounmenou, chercheur à l'Institut d'études de sécurité (ISS Africa) à Pretoria. Si le discours d'Abubakar Shekau a provoqué l'émoi des Nigérians, comme du monde entier, il ne surprend pas outre mesure les connaisseurs de la secte islamiste

    Instauration de la charia

    "Abubakar Shekau s'est toujours illustré par sa vision totalement extrémiste", explique Benjamin Augé, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales. "Les images montrent un homme peu équilibré." Un discours en tout cas bien moins cohérent que celui de Mohamed Yusuf (décédé en 2009, NDLR), fondateur en 2002 de la secte islamiste prônant l'instauration de la charia dans le nord du Nigeria, majoritairement musulman.

    Pour ce faire, le charismatique chef spirituel de Boko Haram a su utiliser le sentiment d'abandon de la population nordiste, face aux régions du Sud, majoritairement chrétiennes, qui abritent les principales ressources pétrolières de la première économie d'Afrique. "Boko Haram a beaucoup profité du désenchantement de la jeunesse nigériane, frappée de plein fouet par le chômage et frustrée par le manque de possibilités socio-économiques du Nord", explique David Zounmenou.

    Pétrodollars du Golfe

    Recrutant en premier lieu dans les mosquées, le groupe se montre beaucoup plus persuasif dès lors qu'il reçoit les généreux pétrodollars des monarchies du Golfe, soucieuses de favoriser la propagation de l'islam wahhabite. Un pouvoir d'attraction considérable, alors que les deux tiers des Nigérians gagnent moins de deux dollars par jour. Tout d'abord investie dans la charité et l'aide envers les pauvres puis réclamant une application plus stricte de la loi islamique, l'organisation entre peu à peu dans la lutte armée contre l'État nigérian.

    En 2009, Boko Haram lance une vaste offensive dans l'État de Borno (nord). Bâtiments publics, responsables étatiques et forces de sécurité : tous les symboles du gouvernement fédéral sont pris pour cible. Pour gagner une certaine popularité, la secte s'oppose à l'époque au gouverneur de Borno, Ali Modu Sherif, impopulaire car corrompu (bien que ce dernier ait tout d'abord soutenu Boko Haram, NDLR). "D'après les islamistes, les inégalités économiques et la corruption étaient dues à la civilisation occidentale", analyste David Zounmenou.

    Instrumentalisation politique

    Depuis 2009, l'insurrection islamiste a coûté la vie à plusieurs milliers de personnes, dans le nord et le centre du Nigeria. Pour en venir à bout, l'armée nigériane a lancé une féroce contre-offensive. Problème, celle-ci a également visé nombre de populations civiles, avec son lot de tueries et de viols. "Aucun dialogue n'a été proposé en parallèle pour trouver une solution politique au problème, note le spécialiste Benjamin Augé. Pire, nombre de personnes tuées par les forces de sécurité nigérianes n'avaient aucun lien avec Boko Haram."

    Et la mort subite du président nigérian Umaru Yar'Adua en 2010, et son remplacement par Goodluck Jonathan, un chrétien du Sud, marque le point de non-retour. "Déterminés à perturber le mandat du nouveau président, certains cadres du PDP, le parti au pouvoir, ont instrumentalisé Boko Haram", souligne David Zounmenou. À la tête d'impressionnantes fortunes personnelles obtenues grâce à la vente irrégulière de carburant, qui rapporte chaque année des dizaines de millions de dollars, ces responsables locaux approchent la secte islamiste pour qu'elle déstabilise l'État dans le nord du pays.

    "Criminels aveugles"

    La sanglante répression gouvernementale a provoqué la fragmentation du mouvement, désormais déchiré entre les partisans du dialogue et les plus radicaux. À ce jeu-là, le sanguinaire Abubakar Shekau semble avoir pris le dessus. "Si Boko Haram a été pris au sérieux au départ en raison de l'opposition sociopolitique qu'il représentait, ses membres sont ensuite devenus des criminels aveugles ayant pour but de mettre à feu un pays, sans aucune base idéologique", décrypte sans concession l'expert David Zounmenou.

    "Traquée par les militaires et désormais acculée dans les États de Borno, d'Adamawa et de Yobe, Boko Haram a alors changé de stratégie, ajoute le spécialiste. Le mouvement s'en prend désormais aux couches les plus vulnérables de la population." Depuis 2011, les islamistes s'attaquent également aux églises et aux mosquées, rivalisant à chaque fois d'horreur. Des exactions rappelant celles commises par Aqmi (al-Qaida au Maghreb islamique) et ses groupes affiliés dans le nord du Mali, qui ont précipité l'intervention française Serval en 2013. Or, si des liens ponctuels existent bien entre les deux groupes en raison de leur idéologie commune, de leurs méthodes et de la porosité des frontières, aucune relation structurelle n'a été prouvée, d'autant plus que l'agenda de Boko Haram reste nigérian.

    Aide de l'étranger

    Si le président Goodluck Jonathan a pensé un temps avoir réussi à mater la rébellion islamiste, l'attentat qui a frappé en avril dernier le coeur de la capitale Abuja est venu lui rappeler l'important pouvoir de nuisance de Boko Haram. Trois semaines plus tard, l'enlèvement des 276 lycéennes et l'absence de réponse gouvernementale signent son échec. Un terrible camouflet dans l'optique de sa réélection à la présidence en 2015.

    Ultime aveu d'impuissance, le président nigérian a réclamé l'aide de plusieurs grandes puissances, notamment les États-Unis, la France et la Chine, pour retrouver les écolières disparues. "C'est un fait sans précédent au Nigeria, un pays dont les élites militaires et politiques sont fières et n'aiment pas que l'on s'ingère dans leur politique intérieure", insiste Benjamin Augé. Il faut dire que ce drame a provoqué une énorme vague d'émotion à travers l'ensemble du pays, attisant la colère de la population à l'égard tant des atrocités commises par la secte islamiste que de la gestion calamiteuse de l'exécutif.

    "Traditionnellement peu concernés par la question de Boko Haram, qui leur semble lointaine, les Nigérians du Sud (Lagos, delta du Niger, NDLR) se sentent désormais humiliés par l'incurie des forces sécuritaires et de renseignement et demandent des comptes au président qui songe à se représenter", souligne le chercheur Benjamin Augé. Et son collègue David Zounmenou d'assurer que, "clairement, la secte islamiste s'est définitivement mis à dos ses derniers soutiens en montrant que son idéologie était nuisible"

    le point
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