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Meurtres, sexe ; les séries politiques sont elles éloignées de la réalite

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  • Meurtres, sexe ; les séries politiques sont elles éloignées de la réalite

    Je viens de finir la deuxième et dernière saison de Boss, une série très noire à la fin difficile et dure mais très bien écrite. J'ai beaucoup aimé House of cards, même si je n'ai pas - encore - vu la saison 2. Plus loin en terme d'époque, j'ai trouvé la première saison de Boardwalk Empire plutôt bien foutue. Le mot "chef-d'œuvre" pour The Wire me parait approprié, et je l'utilise donc. Dans un registre beaucoup moins cynique, j'ai dévoré les sept saisons de West Wing, au moins deux fois.

    Voilà pour les séries politiques (au sens large) vues plus ou moins récemment. J'imagine qu'en tant que praticien de la politique depuis plus de 14 ans, militant, élu, fils d'élu-e-s, je regarde ces séries un peu à la manière dont un chirurgien devait regarder Urgences ou Dr House. Si je l'ai ai dans l'ensemble toutes appréciées, c'est à des degrés divers et avec de gros bémols concernant le cynisme et le sexe.

    Des hommes tous "clintonisés"

    Je ne sais pas si ce sont les frasques de Clinton et tous ses successeurs pincés dans des scandales sexuels, ou la course aux nus faciaux enclenchée par HBO, mais les scènes de sexe plus ou moins crues semblent être un passage obligé dans toutes ces séries.

    C'est comme si tous les hommes avaient un appétit sexuel sans limite : assistantes, collègues, prostituées... Dans Boardwalk Empire (OK, ce sont les années 20) c'est un festival, d'autant que certains personnages sont gérants de maisons closes et que les femmes viennent à peine d'obtenir le droit de vote.

    Cette description du monde politique où la tension sexuelle est permanente est gênante à plus d'un titre.

    Tout d'abord, c'est sûrement propre à la vie politique américaine, mais il y a très peu de femmes dans les postes de pouvoir. Visiblement, les efforts sur la parité n'existent pas ou très peu là-bas[1]. Dans Boss par exemple, on voit des réunions de conseillers municipaux (les Aldermen, "men", justement[2]) composée uniquement d'hommes, du maire aux assistants en passant par les "chefs de circonscriptions".

    Cette dichotomie entre les hommes qui ont le pouvoir et les femmes qui sont au service de ces mêmes hommes se traduit par un assouvissement des désirs sexuels uniquement masculins et bestiaux, mécaniques ; à l'exception notable de Kitty O'Neil dans Boss. Les femmes sont souvent reléguées au rang d'épouse, qui ne peuvent vivre une carrière politique qu'à travers leur mari.[3]

    Ainsi, Zajac de Boss ne sait pas ranger son sexe, Carcetti dans The Wire saute sur tout ce qui bouge. Même le maire malade de Chicago, Thomas Kane, fait appel à des prostituées. Et toujours dans Boss, le sexe semble un passage obligatoire ou presque dès lors que deux personnes entrent en relation professionnelle ou politique (relations hétérosexuelles ou homosexuelles).

    Bien sûr qu'il y a du sexe en politique, mais de là à prétendre qu'il est permanent, il y a un pas que je ne franchirai pas. Des couples se forment, certaines personnes, hommes ou femmes, s'en servent comme d'un outil de promotion ou moyen de pression, d'autres le considèrent juste comme un jeu... Ni plus ni moins que dans tous les domaines de la vie où du pouvoir est en jeu.

    Des personnages trop cyniques

    Je parle du cynisme parce que, justement, c'est sans doute le reproche que j'ai le plus à faire pour ces séries qui sont censées nous montrer l'envers du décor de la politique. Ma critique se concentre sur House of Cards (et Ides of March, très bien aussi), mais englobe aussi les autres déjà citées


    e cynisme n'est évidemment pas absent du monde politique. Mais il n'est pas le seul moteur : traitez-moi de naïf si vous voulez, mais même au plus haut niveau les décideurs politiques peuvent être convaincus de faire ce qu'il faut, même si les décisions prises sont les pires qu'on puisse imaginer. Tout n'est pas qu'un jeu de pouvoir et de maintien en position de force. Or c'est la seule chose que montrent ces séries.

    Des personnalités politiques qui n'ont aucune conviction, cela existe. Des carriéristes absolus, sans une once d'idée, il y en a aussi. Mais la vie politique ne se résume pas à ça, les décisions prises ne le sont pas que dans le but de s'attirer les faveurs d'untel ou unetelle, d'un groupe de pression ou d'un lobby particulier.

    Là où les séries vont trop loin, à mon sens, c'est quand il y a mort physique, et surtout, quand il y a assassinat délibéré d'un opposant ou d'un gêneur. Je ne reproche pas aux scénaristes de recourir à cette option (bien que trop facile parfois), cependant, comme toute l'ambiance de ces séries est hyper réaliste, on peut avoir l'impression que ce n'est pas qu'un ressort scénaristique mais bien la description d'un monde qui existe.

    Penser que dans un État de droit un édile puisse tuer plusieurs gêneurs sans jamais être inquiété, même avec la police dans la poche, me parait incroyable. D'autant que le risque est très grand, trop grand même, pour la carrière et sa suite. Pourtant, l'ancrage dans le réel est revendiqué par les différents auteurs.

    On peut en parler autrement

    Ces critiques sont d'autant plus regrettables qu'il semble qu'il soit possible de faire autrement si l'on en juge l'excellent Borgen (Danois et pas Américain, ça doit jouer), que je n'ai pas entièrement visionné (encore), ou sur un registre comique Veep, qu'on m'a chaudement recommandé. Ou bien sûr l'inégalable West Wing, pendant idéaliste de House of Cards, et tout aussi faux.


    Entendons-nous bien, je trouve ces séries très bien faites, très bien écrites. J'ai pris, je prends, beaucoup de plaisir à les visionner et je regrette que la France ne sache pas produire une série de cet acabit (on a eu le pitoyable L'État de Grace dans lequel la présidente était élue sans appartenir à aucun parti, gouvernait sans conseiller...).

    Ces séries ne sont finalement peut-être qu'un décor pour parler de notre côté sombre. La politique un décor comme pourrait l'être une direction d'hôpital ou une lutte de pouvoirs entre adjoints pour prendre la place du directeur d'une entreprise. Les scénaristes peuvent peut-être proposer autre chose, ou les médias angler différemment leurs sujets pour ne pas donner l'impression de commenter une course de chevaux qui réduit la politique à un jeu de positionnement et jamais de conviction. Ou les politiques cesser d'envoyer cette image de cynisme et d'opportunisme


    Notes

    [1] 18 % de femmes dans les deux chambres selon la Banque mondiale, sous la moyenne mondiale de 20,1 % calculée par l'Inter Parliamentary Union

    [2] Même si visiblement le terme "alderperson" s'impose de plus en plus

    [3] Lire à ce sujet la très bonne blague citée au début de cet article du Figaro qui retourne la situation.


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