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C'est la morale qui empêche le redressement de notre économie

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  • C'est la morale qui empêche le redressement de notre économie

    Pour l'économiste Michel Santi, « l'opposition frontale entre keynésiens et orthodoxes dépasse largement le strict cadre de la théorie économique ». Parce que « Keynes partait du principe que le ralentissement économique pouvait être combattu par la dépense et même par le plaisir », explique-t-il, il se heurte aujourd'hui encore à « une moralité Victorienne ».


    Sur le long terme, nous serons tous morts » (en anglais « In the long run, we are all dead ») est une expression qui semble cautionner tous les comportements excessifs. Elle colle aussi sévèrement à la peau de Keynes qui en est l’auteur. Pour autant, celui-ci était également soucieux de l’avenir puisqu’il avait – dans son célèbre : Economic possibilities of our grandchildren – analysé les « possibilités économiques de nos petits-enfants ». Car s’il est un grand enseignement à tirer de l’oeuvre monumentale de Keynes, c’est bien qu’une politique économique réussie se doit d’être contre-cyclique. Voilà pourquoi il répétait inlassablement que si, dans le cadre d’une récession, les déficits doivent être creusés, ils doivent en revanche être résorbés en période de forte croissance économique. La seconde partie de ces enseignements ayant hélas trop souvent été négligée par nos dirigeants politiques d’abord soucieux de réélection, et par trop braqués sur les sondages d’opinion…


    Toujours est-il que Keynes provoque aujourd’hui une authentique répulsion – quasiment physique ou épidermique – chez ceux que Paul Krugman nomme les « gens très sérieux », les « very serious people », ou « VSP ». Ceux-ci sont en effet horrifiés par la solution à la crise prônée par les keynésiens et qui consiste à dépenser plus afin de juguler la spirale déflationniste. Les VSP sont outrés par la simplicité d’une telle solution qui passe nécessairement soit par la création monétaire, soit par une aggravation des déficits: deux voies qu’ils condamnent sans appel, qu’ils assimilent à l’Antéchrist et qui défient leurs préceptes moraux les plus basiques. Cette mouvance ultra-libérale n’hésite cependant pas à franchir un degré supplémentaire dans sa tentative désespérée de défendre l’épargnant contre le travailleur, car elle se sait aux abois et elle se rend compte que ses jours sont comptés.

    A l’instar de l’auteur à succès, professeur à Harvard, médiatique et très conservateur Niall Ferguson qui, interrogé à l’occasion d’une conférence, devait déclarer que la « philosophie de Keynes était tronquée (« flawed ») car il se fichait des générations futures : étant gay et sans enfant » ! « Marié avec une ballerine dont il n’avait pas eu d’enfant car il passait plus de temps à parler de poésie avec elle que de procréer », il était « logique » – selon Ferguson – que l’homosexualité de Keynes fasse de lui un membre mou (« effete ») et égoïste (« selfish ») de la société. Autrement dit, – et dans le monde selon Ferguson – il serait impossible de s’intéresser à la société ou aux générations futures dès lors que l’on est homosexuel ou sans enfant.

    Aller délibérément sur un tel terrain – pour un membre de l’élite académique et universitaire – afin de contredire les travaux de Keynes ! Tenter de décrédibiliser ses théories en prétextant de son homosexualité ! Effectuer sans sourciller le grand écart en affirmant qu’il était naturel que Keynes exhorte aux stimuli vu qu’il n’avait pas d’enfant ! Navrante réalité, sale temps pour les conservateurs qui, confrontés de nos jours à l’échec cuisant de leur politique d’économies budgétaires dans tous les pays l’ayant mise en place, tentent un dernier baroud qui les déshonore.

    En réalité, les arguments de Ferguson et consorts : qui exigent des réductions substantielles des dépenses publiques, qui se déchaînent violemment contre les mesures sociales, qui réclament la rigueur et l’équilibre budgétaires, patinent sérieusement aujourd’hui. Ces traditionnalistes et autres ultra-orthodoxes ne pourront plus désormais – avec le même succès qu’hier – culpabiliser nos sociétés et « crier au loup » car les faits et les statistiques économiques leur opposent un démenti cinglant.

    Pour ces VSP qui s’obstinent à vivre dans le déni, le progrès ne dépend que de l’investissement qui, lui, est totalement conditionné à l’épargne. Toute dérogation à cette doctrine favoriserait un laxisme insupportable pour cette caste qui honnit l’argent facile. De même, toute jouissance de la vie et tout plaisir sont suspects dès lors qu’ils ne sont pas la résultante de privations. Comme on le voit, cette opposition frontale entre keynésiens et orthodoxes dépasse largement le strict cadre de la théorie économique. Elle n’est que la pointe d’un iceberg qui va questionner profondément les fondements même de notre manière d’être, de nos choix sociaux et de notre orientation culturelle.

    Oui, Keynes partait du principe que le ralentissement économique pouvait être combattu par la dépense et même par le plaisir : ce qui représentait une apostasie intolérable et monstrueuse pour ses détracteurs. Oui, Keynes était un penseur innovant qui, incidemment, aimait aussi la vie, l’art, le théâtre, la danse, la bonne chère, les voyages et les joutes intellectuelles. Près d’un siècle plus tard, le rejet de ses théories n’est toujours pas sous tendu par un débat rationnel, mais par une moralité Victorienne poussiéreuse mais tenace.

    Marianne
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