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Coincés entre Sidi et Sidi Fredj

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    Coincés entre Sidi et Sidi Fredj



    « …Des nouvelles ? Il ne se passe rien ici. Hier, il paraît que l'armée a déjoué une attaque au sud avec des Abou Jahl armés qui voulaient voler du pétrole. Parfois je nous sens comme un voyageur en terre douteuse, assis sur sa valise, dans une gare inconnue et déserte pendant que la nuit tombe. Je m'inquiète aussi et je regarde partout. On nous le dit partout : le pays est situé au centre d'un immense Sidi Fredj par où tous les ennemis nous regardent avec des longues-vues d'autrefois. Le Président ? Il roule (rire). Les vieux du village pensent qu'il est aussi otage que le peuple : comme nous, on le sort, il parle, il sert des mains, murmure puis on le pousse vers la sortie. Comme nous à l'époque où on nous amenait par bus pour applaudir puis se disperser.

    Les vieux du village sont certains : ils ont vu ses yeux et disent que c'est contre son gré. C'est la théorie des villages. D'ailleurs on ne parle plus du vote. C'est du passé. En 62 on a voté. Puis on n'a fait que répéter et répéter. Le cœur en moins et cela fatigue un peu. On attend le ramadan pour se plaindre un peu mieux et avec plus de foi. C'est le seul moment où le régime a peur du peuple : les dix premiers jours du ramadan. Je te l'avais écrit : il ne se passera rien. On est trop fatigué. Les vieux veulent partir chez Dieu et les plus jeunes veulent partir en France. Et ceux qui ne veulent pas sont des gens qui ne veulent plus rien. Là je suis dur. Je sais. Ici, on aime. Mais c'est vrai : l'Algérie est une île située au cœur d'un grand Sidi Fredj. On regarde partout et on scrute par où viendra l'ennemi. Le problème est qu'on est comme en 1830 : on a des ennemis à l'extérieur, un Dey affaibli à l'intérieur. Pas même la force d'un coup d'éventail. Il y a des janissaires autour mais ils ne pensent qu'à leurs soldes. Alors on a peur. Le seul moyen c'est d'avoir un Dey fort et puissant. Un Barberousse local venu des terres et pas des mers. Sinon, l'Occident va nous manger. Il tourne autour. Et, à l'intérieur, on sait que Larbi Ben M'hidi est mort et que c'est difficile de reprendre nos armes. Ah que je deviens poète ! C'est te dire que je m'ennuie un peu et que c'est difficile à expliquer ce que l'on ressent ici à la sortie de la poste, juste sur ce trottoir où l'on se regroupe pour regarder la mairie et passer le temps qui ralentit au village. Coincés entre Sidi « Lui » et Sidi Fredj. Je ne suis pas grand intellectuel mais je crois que nous sommes menacés. Tous veulent voler ce pays aux enfants : certains le veulent pour leurs familles, d'autres pour en faire un califat, d'autres pour en faire une monarchie et certains pour en faire une décharge de leurs poubelles et d'autres pour en fabriquer un chaloupe ou un crachoir.

    C'est compliqué et je ne peux pas t'expliquer. Tu veux venir cet été ? Tu es le bienvenu. Tu sais quelle est l'histoire la plus fascinante que j'ai jamais entendue sur ce pays ? C'est celle que m'a racontée un ami étranger. Il devait recevoir deux amis européens qui venaient d'Alger. Et tu sais ce qui s'est passé ? Ils ont pris un taxi et dedans il y avait un guide qui leur expliquait les paysages, les noms, la route et les coutumes. Il était chinois, le guide ».

    par Kamel Daoud

    Le Quotidien d'Oran .
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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