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Dak'Art 2014 : les créateurs africains montrent les mutations du monde

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  • Dak'Art 2014 : les créateurs africains montrent les mutations du monde

    Au village de la biennale, toutes les formes d'expression de l'art contemporain se croisent. Et l'inspiration ne manque pas.


    Un nouveau lieu, comme l'art contemporain les aime, a surgi dans un coin métamorphosé de la ville : à Dak'Art, cette année, l'exposition internationale de la biennale s'est installée dans une friche industrielle sur la route de Rufisque. Même si l'événement manque sérieusement de visibilité dans la capitale sénégalaise, le badaud se doutait qu'il se passait quelque chose samedi 10 mai dans l'après-midi tant il y avait foule alentour : on vernissait "Produire le commun", l'exposition phare réunissant 61 artistes venus de tout le continent. La poussière volait encore dans l'air après les derniers aménagements du menuisier, M. Beuke Paye, auquel les commissaires ont rendu hommage, ainsi qu'à tous les artisans sénégalais, au travail nuit et jour. Des pièces manquaient à l'ouverture : les gravures d'une des artistes les plus connues internationalement, Julie Mehretu, la photo de Baudouin Mouanda extraite de sa série sur le rêve, et les bois de Bailey Radcliffe dans une installation attendue évoquant le Passage du milieu. "Produire le commun", c'est peut-être assister ensemble au "making off" dont le philosophe Yves Michaud, qui a ouvert la première journée de conférences de Dak'Art, note qu'il se vend très bien en termes de bonus à toute oeuvre ! Aléas des transports, formalités retardées, etc, etc. "J'ai vu un commissaire d'exposition aller chaque jour à l'aéroport parce que l'oeuvre devait enfin arriver ! Si chacun a forcément un peu honte d'un panneau vide le jour de l'inauguration, ce n'est certainement pas l'équipe qui est en jeu", assure Julie Mehretu, remarquant que trois artistes "seulement" sont concernés.

    Passons outre, puisque le visiteur a jusqu'au 8 juin pour profiter de ce rendez-vous impressionnant que n'a pas inauguré le président Macky Sall, mais que le ministre de la Culture du Sénégal a visité avec grande attention.


    Indépendance Attia

    À l'extérieur, trois oeuvres immenses marquent le premier coup d'oeil : sur l'esplanade, 72 mâts sont dressés, au bout desquels flottent des voiles musulmans blancs symbolisant les vierges houris, une oeuvre du Franco-Marocain Mehdi-Georges Lahlou, critique du paradis promis aux martyrs... Un grand mur de textile noir, revêtant celui du premier hangar, frissonne comme une émotion au vent, du Malgache Joel Andrianomerisoa Et juste devant le bâtiment, Justine Gaga, primée par cette édition, a installé des totems en forme de bonbonnes de gaz prêtes à exploser d'indignation devant l'état du monde.

    À l'intérieur, on est saisi par une installation jaune de la Tunisienne Faten Rouissi, intitulée en hommage à Buñuel Fantôme de la liberté : autour d'une table de conférence, les sièges ne sont autres que ceux des lieux d'aisance où il s'agit de se précipiter..., vu l'état du pays quand l'artiste a imaginé cette oeuvre, primée, comme celle de sa compatriote Houda Ghorbel, qui a installé une boîte noire évoquant la pierre de La Mecque, au pied de laquelle une inscription tourne en plusieurs langues, semblant répéter "Je t'écoute".

    D'Afrique du Nord, des oeuvres de grande force nous parviennent. Celle, primée aussi, de Driss Ouahadi montre à travers l'architecture urbaine "l'effet papillon", explique-t-il, qui fait qu'un battement d'aile à Casablanca peut entraîner une tornade à Los Angeles". On note dans l'exposition la présence forte de la ville, d'Alger à Mogadiscio. Juste derrière Ouahadi, son compatriote algérien Kader Attia a réalisé à partir de casiers métalliques récupérés à Alger une sculpture figurant le célèbre building Indépendance situé sur la place du même nom à Dakar, et totalement abandonné. Après l'indépendance Cha Cha, voici "l'indépendance Tchao" d'Attia.

    Toutes les formes d'expression cohabitent

    De manière prégnante, l'image animée s'impose, du film magnifique du grand artiste britannique John Akomfrah jusqu'à l'image à peine bougée qui est au coeur de l'installation de Simone Leigh, figurant un corps de femme, de dos, avec la tête recouverte de graviers, fascinante contemplation.

    La vidéo de Wangechi Mutu reste longtemps en mémoire entre attrait et réticence devant cette créature qui dévore tout ce qui passe, y compris des oiseaux, un travail organique et onirique de la Kényane de New York :The End of Eating Everything. La Sud-Africaine Candice Breitz, elle, nous introduit dans un salon familial, au milieu duquel trône un téléviseur diffusant une série très connue en son pays. Mais comme c'est bizarre, au milieu des comédiens noirs, un corps blanc, une main, une jambe font leur apparition : "J'interroge ici le rôle que cherche à jouer, après l'héritage des violences coloniales, la population blanche de mon pays, explique l'artiste (blanche et blonde platine). "À s'intégrer ? Ou à conserver sa visibilité et ses privilèges ? Je joue l'Africaine blanche voyeuse, qui vient provoquer la discussion." Si l'histoire coloniale commune au continent demeure présente, elle est productrice de regards distanciés, décalés, inventifs. Ainsi dans le montage que le Marocain Ali Essafi a fait de films précurseurs de cinéastes nord-africains, que le dispositif de son installation conte plus qu'il ne le montre. L'exposition, qui mélange jeunes talents et grandes pointures, ainsi que des contextes de création fort différents, associe toute sorte d'expressions. Des plus complexes montages usant de technologie à la trompeuse naïveté des dessins troublants du Sénégalais Éric Pina, ou des toiles engagées de son compatriote Sidy Diallo.

    Anonymes et solidaires

    Quand on atteint les salles où les créateurs ont laissé leur ego à la porte, pour jouer le jeu de l'anonymat et réfléchir à l'entrée de l'art africain dans l'histoire sous forme de cabinet de curiosité, tout devient possible : de la sensualité d'un cauris en majesté à la révérence à la figure d'Édouard Glissant. À propos d'"Anonymous" , nom du cabinet en question, on aurait peut-être aimé un plus petit espace (cliché ?) pour apprécier des oeuvres en réalité signées des mêmes artistes de l'exposition principale, dont certains sont reconnaissables au premier coup d'oeil : série ludique, tendre et piquante de sachets "sentimentaux" ou travail sur le corps de la tradition à la modernité.

    C'est, tout à fait dans un autre genre, ce que propose à Dak'Art, dans le off, l'exposition "Imago Mundi" de la fondation Benetton, où des artistes, qu'ils soient célèbres ou inconnus, de plusieurs continents et pays - pour la première fois, un pays d'Afrique noire avec le Sénégal - ont été invités à s'exprimer sur un tout petit format 10 x 12. Qui est artiste, qui ne l'est pas ? Yves Michaud a montré dans sa conférence inaugurale à quel point les frontières bougent. En tout cas, elles sont ici ouvertes sur le monde tel qu'il est justement en train de se transformer, et personne ne nous le dit mieux que les créateurs. Demandez au Tamtam Azzam, l'artiste syrien dont l'oeuvre était sur le point d'arriver au musée Théodore Monod, dans l'exposition du in de la biennale consacrée aux artistes de la diversité


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