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La Chine déjà l’autre hyperpuissance ?

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  • La Chine déjà l’autre hyperpuissance ?

    Dans les années 1960, la question de savoir si la Chine était une grande puissance était souvent posée aux étudiants en sciences politiques. Un demi-siècle plus tard, une fois l’ex-empire du Milieu devenu la 2e puissance économique de la planète, l’interrogation s’est modifiée. La Chine, aujourd’hui, est-elle une «puissance mondiale»? Se pourrait-il même qu’on la qualifie d’hyperpuissance», comme s’y était employé Hubert Védrine à propos des Etats-Unis. Dans une tribune lumineuse (1), Valérie Niquet, éminente spécialiste de l’Asie, juge la Chine, «une puissance inachevée», voulant sans doute indiquer par là que cette «puissance mondiale» n’en est pas encore tout à fait une.

    Difficile, à vrai dire, de classer ce pays dans une typologie d’Etats! La Chine est unique. Sa dualité saute aux yeux: elle est à la fois riche et pauvre, puissante et vulnérable, très peuplée mais démographiquement fragile. Même les sondages révèlent cette ambivalence selon que l’on s’adresse à des Occidentaux ou à des Chinois.

    Une très grande puissance

    Pour le professeur Zongxia Cai(2), la Chine, pour 80% des sondés non chinois, est bien une puissance mondiale. Les raisons invoquées sont simples qui sont autant de faits. Le PIB chinois est devenu en 2010 le deuxième du monde, grâce à une politique audacieuse de réforme économique et d’ouverture. Dix années durant, ce pays a connu une croissance économique extrêmement rapide et continue, de 10% en moyenne, puis 7,8% en 2012, 7,5% en 2013. Ce PIB représente 10% de celui de la planète; il pourrait atteindre 40% en 2040, si l’on en croit Robert William Foger, prix Nobel d’économie 1993. Ceci donne une idée du potentiel chinois de développement.
    Avec 1,3 milliard d’habitants, la Chine est riche de ses ressources humaines et d’un incomparable marché intérieur, propre à la prémunir, au moins en partie des crises économiques planétaires.
    Son très vaste territoire (9,6 millions de km2) recèle d’importantes ressources naturelles, souvent les premières du monde, terres, eau, énergie, minerais, rares ou non.
    La Chine, nul ne l’ignore, est l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle joue donc, ou pourrait jouer, un rôle majeur dans les affaires du monde, en particulier pour ce qui concerne le maintien de la paix. En ce domaine, ses interventions sont devenues fréquentes, au Moyen-Orient (Liban), en Afrique (Soudan), dans l’océan Indien où elle détache en permanence plusieurs bâtiments afin de lutter contre la piraterie. Reste qu’on ne sort pas impunément de 4.000 d’isolement et d’ignorance du monde extérieur. La Chine semble éprouver quelque difficulté à tenir son rôle d’«hyperpuissance». On note chez elle une sorte de désarroi face aux grandes mutations mondiales, comme une évidente maladresse dans la gestion des conflits locaux. Ainsi n’a-t-elle jamais affirmé clairement sa position vis-à-vis de la question syrienne.

    Une Chine encore en voie de développement

    Là réside peut-être une des raisons pour lesquelles les Chinois, si on les interroge sur l’importance de leur pays dans le monde d’aujourd’hui, sont plus nuancés. Quatre sur cinq ne croient pas que leur pays soit devenu une puissance mondiale. Leurs arguments ne manquent pas de pertinence. La Chine se situe, conformément au classement du FMI pour 2010, au 93e rang pour le PIB par habitant (7.500 $), quand les Etats-Unis sont 6ème (47.000 $), l’Allemagne 19e, (36.000 $), la France 23e, (34 000 $), le Japon 24e (33.000 $).

    Pour ces Chinois, leur pays est toujours en voie de développement, loin de pouvoir se dire «développé». Compte tenu d’une énorme population, son classement ne surprend pas. Les Chinois sont dix fois plus nombreux, par exemple, que les Japonais, et la part du gâteau à partager entre les citoyens est d’autant plus réduite que les convives sont plus nombreux.

    Toujours rapporté au nombre de ses habitants, ce pays est relativement pauvre en ressources naturelles, notamment en terre, en eau, en énergie… La Chine dispose de 7% des terres cultivées; c’est beaucoup mais tout de même assez peu dès lors que ces terres, surexploitées et souvent dégradées, doivent nourrir 21% de la population du globe. Au reste, cette superficie cultivable va diminuant, pour cause de croissance économique, d’urbanisation accélérée, de modernisation des infrastructures. Aujourd’hui, la superficie cultivable par habitant est estimée à 0,11 ha, et les choses ne s’améliorent nullement, au contraire.
    C’est la même chose pour l’eau. Les réserves hydriques sont globalement formidables. Elles représentent 5,6% de celles du monde. C’est impressionnant, certes, mais c’est trop peu. Dans le monde, la Chine, en la matière, n’est que 6e, dépassée par le Brésil, la Russie, le Canada, les Etats-Unis, l’Indonésie. Et encore! Cette eau chinoise est mal répartie, dans l’espace et dans le temps, et si on la rapporte à la population et aux terres cultivées. Le développement durable de la Chine est plus que menacé…

    Sa démographie aussi! C’est là un domaine où il ne fait pas bon, en principe, forcer la nature et inciter les couples à se comporter comme le politique le désire. De 1949 à 1974, Mao encourage les naissances, la population explose, une première crise démographique apparaît. En 1963, le taux d’accroissement naturel de la population atteint 33 pour 1000, un record! En 1974, la politique change, le couple idéal doit avoir deux enfants. Mais quatre ans plus tard, il n’en faut plus qu’un. Après trente années d’ «enfant unique», la Chine a évité 400 millions de naissance. La pression démographique est allégée, mais c’est au prix d’un vieillissement accéléré. En 2015, 200 millions de Chinois auront plus de 60 ans, en 2050, ils seront 400 millions, une lourde charge pour l’Etat. Ceci sans compter le déséquilibre du sexe ratio à la naissance (116 garçons pour 100 filles), les problèmes psychologiques inhérents aux enfants uniques, souvent gâtés et fragiles, un exode rural massif, un budget d’éducation faible par rapport aux pays développés…

    Les défis s’accumulent, notamment en matière d’environnement. 27% du pays est désertique et la désertification s’est accélérée, réchauffement climatique aidant; estimée en 1990 à 3.440 km2 par an, elle n’était plus que de 2.100 km2 en 2010, grâce aux grands travaux, reboisement en particulier, mais dont le coût est très élevé.
    L’érosion menace un tiers des terres cultivables. Le Fleuve bleu (Yangzi) devient rouge du fait de l’érosion des sols, le Fleuve jaune l’est un peu plus… Année après année, la perte de sols atteindrait 5 milliards de tonnes et la productivité des terres cultivées se dégrade.

    «Riche, la Chine? Surtout pas!»(4) (extraits)

    «Appelons cela le choc de simplification, version chinoise. Ce choc nous est tombé dessus la veille du 1er mai, brutal dans sa simplicité : la Chine deviendra la première économie mondiale, devant les Etats-Unis, bien plus tôt qu’on ne l’avait prévu…».
    …« Comment en est-on arrivé là ? Pour ses mesures économiques, la Banque mondiale dispose d’un outil statistique formidable, le Programme de comparaison internationale, qui lui permet de moduler une multitude de facteurs pour établir des niveaux de prix comparables à l’échelle mondiale. Grâce à ces données, elle calcule les parités de pouvoir d’achat (PPA), instrument de mesure non moins formidable, permettant de comparer les niveaux de vie des différents pays…».
    … «Ces chiffres viennent d’être actualisés pour l’année 2011. On y découvre que l’économie chinoise a crû plus vite que prévu et que le PIB de la Chine a atteint 87% de celui des Etats-Unis en 2011, toujours en PPA. Ce qui offre déjà un ordre de grandeur très différent de celui que propose le calcul du PIB au taux de change courant, qui nous donne, pour 2012, une PIB de 16,2 milliards de dollars pour les Etats-Unis, soit près du double de celui de la Chine, estimé à 8,2 milliards. Si l’on se fonde sur ce calcul-là, la suprématie américaine est à peu près assurée jusqu’à 2024.
    Le calcul du PIB en parités de pouvoir d’achat, lui, fait exploser cette prévision puisque, en tenant compte des chiffres de 2011 et du rythme de la croissance chinoise, il prédit que l’empire du Milieu aura dépassé les Etats-Unis dès 2014»…
    Maintes villes chinoises sont confrontées à la pollution de l’air, liée à une augmentation spectaculaire du nombre d’automobiles. 5 millions de véhicules roulent dans Pékin, où la pollution de l’air est aggravée par les tempêtes hivernales et printanières de poussières, venues des déserts de Mongolie. La moitié des fleuves seraient pollués; 800millions de Chinois en souffrent plus ou moins. A quoi s’ajoute la question des déchets mal traités ou non traités…

    Et il faudrait aussi mentionner les problèmes socioéconomiques, l’urbanisation sauvage, des disparités régionales profondes, de fortes inégalités sociales, le sous-emploi, une sécurité sociale insuffisante, l’assurance médicale pas toujours effective en milieu rural… Cette façon de voir la Chine se veut conforme à la «modestie» volontiers affichée par les autorités chinoises(3). Celles-ci, bien sûr, sont nationalistes, mais elles le sont avec réserve et discrétion, et en étant pleinement conscientes des manques inévitables du pays, comme il en va de même aussi, à des degrés divers, dans bien d’autres Etats de par le monde.
    Cela n’empêche pas la Chine d’être effectivement duale. Dans ce pays exceptionnel, tous les résultats et les succès en matière de développement sont à diviser par 1,3 milliard d’habitants et deviennent, dès lors, très faibles, et les problèmes, très grands, voire démesurés…
    Sans doute la Chine doit-elle encore se développer. Tous les habitants de la planète pourraient, au fond, en dire autant de leur propre pays. Toutefois, la Chine a largement prouvé sa formidable capacité à évoluer dans le bon sens. Son dynamisme est incomparable. Elle n’a certainement pas cessé de surprendre!


    (1) « La Chine, une puissance inachevée, embarras de Pékin sur le dossier ukrainien », Le Monde, Décryptages, 27 mars 2014, par Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique.
    (2) 24e Festival international de géographie, octobre 2013, Saint-Dié-des-Vosges.
    (3) Lire, à cet égard, de Sylvie Kauffmann, « Riche, la Chine ? Surtout pas ! », Le Monde, mardi 6 mai 2014.
    (4) Sylvie Kauffmann, op. cit
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    l'économiste
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