A l’indépendance, Alger comptait 2 600 rues portant un nom. 50 ans plus tard, elle en compte 2 800. A ces chiffres, on pourrait penser qu’après avoir rebaptisé les 2 600 rues laissées par le colon, l’Algérie indépendante n’en a construit que 200 nouvelles à travers toute la capitale. En fait, il n’en est rien. Car là réside l’un des grands problèmes auquel fait face l’Algérie : on n’a pas donné de noms à nos rues ! Rien que pour la capitale, plus de 40 000 rues sont sans noms.
Et pour le reste du pays, la quasi-totalité des rues ne sont pas identifiées. « Pas loin de la poste » ou encore « derrière Sonelgaz ». Des repères sous forme de phrases récurrentes qui font partie du quotidien pour désigner l’adresse d’un parent, d’un ami, d’un établissement public ou commercial.
DES NOMS IMPORTÉS !
Ces derniers, souvent situés dans des cités (nouvellement construites), qui, à l’instar des rues, ne portent pas de noms. Souvent, par la force des choses, désignées par les noms des entreprises qui les ont réalisés (Sorecal, Dragados…). Ou encore par la nationalité de ces mêmes entreprises (cité chinois, cités Allemand, cité Hongrie). Il en est d’autres qui sont carrément nommées par rapport à la manière dont les habitants ont accédé aux logements. A l’image de la cité « Ebni Weskoun » (construis et habite), qu’on peut retrouver dans les wilayas d’Adrar et Tamanrasset. Ou encore la cité « Bessif » (de force) du côté de Constantine. On pourrait encore citer la cité « El Houdjoum » (l’attaque) à Boumerdès, ou encore la cité « Zedma » (la ruée) à Beni Amrane. Il s’agit, vous l’aurez compris, de noms de cités à connotation péjorative, tant il est fait référence à la manière « illégale » dont elles ont été construites ou occuppées. Le comble est que ces toponymes sont inscrits dans la cartographie officielle algérienne ! On pourrait penser que ces cas sont propres aux régions à faible densité de population, mais connaissez-vous la cité « Je m’en fous » du côté de Tixeraïne, en pleine capitale ? Ou encore la cité « Diar Ezedma » (maisons de la ruée) à la sortie de Birkhadem. La palme pour la capitale revenant à la cité « Tchoualek » (les chiffons), en plein centre d’Hussein Dey. Outre qu’il ne fait pas bon être facteur dans ces conditions (aller trouver le destinataire d’une lettre qui habite à la cité 2004, sans plus de précisions ?), c’est toute la localisation des rues par la cartographie et demain par le GPS qui devient de ce fait une mission quasi-impossible… Déjà que rebaptiser ces cités est loin d’être une sinécure, imaginez le travail qui doit être entrepris pour baptiser les dizaines de rues qui les composent… Quand on sait qu’ailleurs, le moindre pont, le moindre escalier, la moindre impasse est identifié, le moins que l’on puisse dire est qu’on est là devant une situation des plus alarmantes. Pour ne citer que la capitale anglaise, Londres, pas moins d’un million de noms sont attribués à travers la ville. L’Algérie se retrouve donc devant cet état de fait : où trouver 40 000 noms pour nommer les rues d’Alger et les quelques dizaines, voire les centaines de milliers d’autres rues à travers le pays ? Mettre en place des systèmes de dénomination nationale intégrée a été l’un des défis de l’Algérie dès l’indépendance. L’urgence alors portait sur une entreprise historique de déstructuration et restructuration des modes de nomination traditionnelle algérienne et/ou maghrébine menée par l’armée et l’administration coloniales. Cette urgence passée, force est de constater que la toponymie (les noms de lieux), dans l’articulation multiforme que sont ses volets historique, linguistique, géographique, sociologique, psychologique, anthropologique et littéraire, a complètement été délaissée.
IL FALLAIT BIEN RECTIFIER LE TIR
Ce constat établi, les pouvoirs publics ont depuis quelques années tenté de rattraper le coup, à travers un certain nombre d’efforts à caractère institutionnel, scientifique et technique. Nous pourrions citer dans cet ordre d’idées la création d’une structure nationale d’expertise (Commission permanente spécialisée de toponymie) sous l’égide du CNIG en 1998. L’inscription de la toponymie parmi les axes prioritaires des PNR (Programmes nationaux de recherche) en 1999. Mais aussi en 2010, la réalisation d’une série d’actions au niveau de l’Institut national de cartographie et de télédétection (INCT), une banque de données des toponymes officiels (CRASC), la mise en place de plusieurs équipes de recherche (Oran, Constantine, Tlemcen…) et la réalisation de travaux à caractère universitaire sur l’onomastique (toponymie, anthroponymie, enseignes commerciales, dénomination des produits, contrefaçon, onomastique littéraire, etc.) : ouvrages, articles, mémoires de licence et de magister, thèses de doctorat. La dernière action, unique en son genre, est la création officielle d’une Unité de recherche sur les systèmes de dénomination en Algérie (Rasyd/CRASC). Toute une série d’actions qui attendent toutefois d’être traduites par des résultats sur le terrain… Et là, le génie populaire peut être salutaire… Ainsi, cette affaire de la coulée de boue dans la commune d’Illilten à Tizi-Ouzou. Dans son intervention à l’issue des journées d’étude sur le « patrimoine villageois amazigh » qu’a accueillies la Maison de la culture de Tizi-Ouzou durant le mois de novembre, Mustapha Tidjet, enseignant à l’Institut de langue et culture amazighes de l’université de Béjaïa, évoquant l’importance de préserver la microtoponymie villageoise, est revenu sur le sujet. Il avait indiqué à l’issue de son intervention que « si des gens ont construit leurs maisons sur le lit de l’oued Ichkar, c’est parce qu’ils n’ont pas pris en considération la toponymie de ce lieu ». La toponymie fait appel
au génie populaire qui donne des noms à des endroits en fonction de leurs particularismes, avait-il affirmé.
QUAND « IMECHDALEN » DEVIENT « M’CHEDELLAH »
Pour ne citer que les wilayas de Tizi-Ouzou et Béjaïa, l’ouverture, ces deux dernières années, de nouvelles lignes de transport a été l’occasion au génie populaire de s’exprimer de nouveau en donnant des appellations aux différents arrêts, tels que l’arrêt du « virage », « la piste » ou encore « el qahwa » (le café). « Ces appellations sont acceptées et adoptées par le citoyen. » Pis encore, selon les participants aux journées d’étude sur le « patrimoine villageois amazigh », « quand l’administration intervient pour les changer, la population n’y adhère pas ». Il faut dire que quand une ville s’appelle depuis la nuit des temps « Imchedalen » (grosses fourmis rouges en berbère) (du côté de Bouira), en référence à la présence de cet insecte dans la région, et qu’on la rebaptise « M’chedellah », qui ne veut absolument rien dire, on peut comprendre d’où peut provenir ce type de résistance. L’une des graves conséquences qui ont poussé vers ce manque de considération envers la dénomination officielle est la fâcheuse tendance qu’ont pu avoir, à une certaine époque, certains responsables, de transformer, pour des raisons souvent idéologiques, un toponyme typiquement algérien qui porte un sens pour en faire un mot qui sonne « moyen-oriental », mais qui n’en produit aucun. D’autant que, selon le docteur Brahim Attoui, chercheur et membre de cette société savante, qui a recensé quelque 140 000 toponymes à travers le territoire national, qui évoquait le sujet récemment, « 80% de la toponymie algérienne est d’origine berbère ».
Et pour le reste du pays, la quasi-totalité des rues ne sont pas identifiées. « Pas loin de la poste » ou encore « derrière Sonelgaz ». Des repères sous forme de phrases récurrentes qui font partie du quotidien pour désigner l’adresse d’un parent, d’un ami, d’un établissement public ou commercial.
DES NOMS IMPORTÉS !
Ces derniers, souvent situés dans des cités (nouvellement construites), qui, à l’instar des rues, ne portent pas de noms. Souvent, par la force des choses, désignées par les noms des entreprises qui les ont réalisés (Sorecal, Dragados…). Ou encore par la nationalité de ces mêmes entreprises (cité chinois, cités Allemand, cité Hongrie). Il en est d’autres qui sont carrément nommées par rapport à la manière dont les habitants ont accédé aux logements. A l’image de la cité « Ebni Weskoun » (construis et habite), qu’on peut retrouver dans les wilayas d’Adrar et Tamanrasset. Ou encore la cité « Bessif » (de force) du côté de Constantine. On pourrait encore citer la cité « El Houdjoum » (l’attaque) à Boumerdès, ou encore la cité « Zedma » (la ruée) à Beni Amrane. Il s’agit, vous l’aurez compris, de noms de cités à connotation péjorative, tant il est fait référence à la manière « illégale » dont elles ont été construites ou occuppées. Le comble est que ces toponymes sont inscrits dans la cartographie officielle algérienne ! On pourrait penser que ces cas sont propres aux régions à faible densité de population, mais connaissez-vous la cité « Je m’en fous » du côté de Tixeraïne, en pleine capitale ? Ou encore la cité « Diar Ezedma » (maisons de la ruée) à la sortie de Birkhadem. La palme pour la capitale revenant à la cité « Tchoualek » (les chiffons), en plein centre d’Hussein Dey. Outre qu’il ne fait pas bon être facteur dans ces conditions (aller trouver le destinataire d’une lettre qui habite à la cité 2004, sans plus de précisions ?), c’est toute la localisation des rues par la cartographie et demain par le GPS qui devient de ce fait une mission quasi-impossible… Déjà que rebaptiser ces cités est loin d’être une sinécure, imaginez le travail qui doit être entrepris pour baptiser les dizaines de rues qui les composent… Quand on sait qu’ailleurs, le moindre pont, le moindre escalier, la moindre impasse est identifié, le moins que l’on puisse dire est qu’on est là devant une situation des plus alarmantes. Pour ne citer que la capitale anglaise, Londres, pas moins d’un million de noms sont attribués à travers la ville. L’Algérie se retrouve donc devant cet état de fait : où trouver 40 000 noms pour nommer les rues d’Alger et les quelques dizaines, voire les centaines de milliers d’autres rues à travers le pays ? Mettre en place des systèmes de dénomination nationale intégrée a été l’un des défis de l’Algérie dès l’indépendance. L’urgence alors portait sur une entreprise historique de déstructuration et restructuration des modes de nomination traditionnelle algérienne et/ou maghrébine menée par l’armée et l’administration coloniales. Cette urgence passée, force est de constater que la toponymie (les noms de lieux), dans l’articulation multiforme que sont ses volets historique, linguistique, géographique, sociologique, psychologique, anthropologique et littéraire, a complètement été délaissée.
IL FALLAIT BIEN RECTIFIER LE TIR
Ce constat établi, les pouvoirs publics ont depuis quelques années tenté de rattraper le coup, à travers un certain nombre d’efforts à caractère institutionnel, scientifique et technique. Nous pourrions citer dans cet ordre d’idées la création d’une structure nationale d’expertise (Commission permanente spécialisée de toponymie) sous l’égide du CNIG en 1998. L’inscription de la toponymie parmi les axes prioritaires des PNR (Programmes nationaux de recherche) en 1999. Mais aussi en 2010, la réalisation d’une série d’actions au niveau de l’Institut national de cartographie et de télédétection (INCT), une banque de données des toponymes officiels (CRASC), la mise en place de plusieurs équipes de recherche (Oran, Constantine, Tlemcen…) et la réalisation de travaux à caractère universitaire sur l’onomastique (toponymie, anthroponymie, enseignes commerciales, dénomination des produits, contrefaçon, onomastique littéraire, etc.) : ouvrages, articles, mémoires de licence et de magister, thèses de doctorat. La dernière action, unique en son genre, est la création officielle d’une Unité de recherche sur les systèmes de dénomination en Algérie (Rasyd/CRASC). Toute une série d’actions qui attendent toutefois d’être traduites par des résultats sur le terrain… Et là, le génie populaire peut être salutaire… Ainsi, cette affaire de la coulée de boue dans la commune d’Illilten à Tizi-Ouzou. Dans son intervention à l’issue des journées d’étude sur le « patrimoine villageois amazigh » qu’a accueillies la Maison de la culture de Tizi-Ouzou durant le mois de novembre, Mustapha Tidjet, enseignant à l’Institut de langue et culture amazighes de l’université de Béjaïa, évoquant l’importance de préserver la microtoponymie villageoise, est revenu sur le sujet. Il avait indiqué à l’issue de son intervention que « si des gens ont construit leurs maisons sur le lit de l’oued Ichkar, c’est parce qu’ils n’ont pas pris en considération la toponymie de ce lieu ». La toponymie fait appel
au génie populaire qui donne des noms à des endroits en fonction de leurs particularismes, avait-il affirmé.
QUAND « IMECHDALEN » DEVIENT « M’CHEDELLAH »
Pour ne citer que les wilayas de Tizi-Ouzou et Béjaïa, l’ouverture, ces deux dernières années, de nouvelles lignes de transport a été l’occasion au génie populaire de s’exprimer de nouveau en donnant des appellations aux différents arrêts, tels que l’arrêt du « virage », « la piste » ou encore « el qahwa » (le café). « Ces appellations sont acceptées et adoptées par le citoyen. » Pis encore, selon les participants aux journées d’étude sur le « patrimoine villageois amazigh », « quand l’administration intervient pour les changer, la population n’y adhère pas ». Il faut dire que quand une ville s’appelle depuis la nuit des temps « Imchedalen » (grosses fourmis rouges en berbère) (du côté de Bouira), en référence à la présence de cet insecte dans la région, et qu’on la rebaptise « M’chedellah », qui ne veut absolument rien dire, on peut comprendre d’où peut provenir ce type de résistance. L’une des graves conséquences qui ont poussé vers ce manque de considération envers la dénomination officielle est la fâcheuse tendance qu’ont pu avoir, à une certaine époque, certains responsables, de transformer, pour des raisons souvent idéologiques, un toponyme typiquement algérien qui porte un sens pour en faire un mot qui sonne « moyen-oriental », mais qui n’en produit aucun. D’autant que, selon le docteur Brahim Attoui, chercheur et membre de cette société savante, qui a recensé quelque 140 000 toponymes à travers le territoire national, qui évoquait le sujet récemment, « 80% de la toponymie algérienne est d’origine berbère ».
Commentaire