La montée d'une extrême droite populiste n'est pas propre à la France. Une majorité de pays européens est touchée, et, de manière frappante, dans des proportions à peu près identiques: à quelques exceptions, comme en Allemagne, ces partis populistes, ou nationaux-populistes, obtiennent partout environ 20% des voix aux élections générales, à quelques pour cents près. A l'issue des élections européennes qui ont commencé ce jeudi au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, ils pourraient devenir la troisième force politique du continent. Que se passe-t-il? Pendant trois mois, pour un film documentaire diffusé en avril sur Arte, j'ai sillonné l'Europe, à la rencontre des chefs populistes et de leurs électeurs, d'Italie en Finlande, j'ai interviewé Beppe Grillo, Timo Soini, Geert Wilders, Viktor Orban, Marine Le Pen, le britannique Nigel Farage, des Autrichiens du FPÖ. Expérience passionnante et instructive.
Les populistes témoignent, alors qu'ils vitupèrent sans cesse contre l'Europe, d'une unification du continent européen, d'une communauté de destin des sociétés européennes. Leurs discours, leurs méthodes, se ressemblent. Leurs cibles sont les mêmes : l'Union européenne, la finance, les élites politiques, les immigrés, les musulmans. Et d'abord les immigrés musulmans. Partout, le succès de ces partis tient à leurs chefs. Charismatiques. Télégéniques. Transgressifs. Habiles.
Habiles d'abord pour se montrer radicaux, mais pas trop. En rupture, mais respectables tout de même, car leur électorat veut la rupture mais pas de violence, verbale ou réelle. Ils sont révolutionnaires et conservateurs, comme leur électeurs. Habile aussi à être populaires mais pas trop. Parlant au nom du peuple, ils parviennent à la fois à se montrer proches de lui, tout en revendiquant des qualités exceptionnelles. Membres de facto d'une élite politique tout en dénonçant les élites. Pour parvenir à résoudre cette tension, il faut des nerfs et du savoir faire. Tous sont des aventuriers de la politique autant que des techniciens rusés. A l'instar de Nigel Farage. Ce Britannique à l'allure très patricienne, meilleur orateur du Parlement européen sortant est en passe de réaliser un exploit électoral avec son parti, UKIP, à qui les sondages prédisent 30% des voix, au coude à coude avec les travaillistes. Longtemps marginal, il doit son succès au génie de la communication de son chef, passé maître dans l'utilisation des réseaux sociaux et dans l'art du "buzz"
On pourrait croire ces populistes européens idéologues : ils ont peu d'idéologie, pas de lignes intangibles et là est leur force. Ils changent d'idées en fonction de l'air du temps, ils s'adaptent, ils fluctuent, ils épousent les mouvements d'opinion. Andreas Mölzer, l'idéologue du FPÖ autrichien, et représentant de son aile dure née des décombres du Troisième Reich, m'avouait ainsi que l'opinion publique étant devenue sensible à l'antisémitisme, son parti ne pouvait continuer de paraître antisémite et qu'il lui avait fallu, pour cela, organiser un voyage en Israël du chef du FPÖ. Aux Pays-Bas, Geert Wilders était libéral quand l'opinion l'était, il est devenu, au plan économique, quasiment d'extrême gauche depuis la crise. Le Hongrois Orban était pro-européen il y a quelques années, il est devenu anti-européen. Le Front national aussi a effectué sur les questions sociétale - le mariage gay - ou économiques des virages serrés. Beppe Grillo, après avoir mené une campagne aux accents de gauche, a refusé d'abroger, en plein drame de Lampedusa, une loi qui criminalisait les sans-papiers, avouant - cyniquement ? candidement ? - que ne pas le faire, le condamnerait un score dérisoire aux élections, tant le public italien serait hostiles aux immigrés. Ce sont tous des idéologues mous, portés par les courants dominants. Le populisme est avant tout, non une idéologie, mais une méthode : il s'agit de s'ériger en porte parole exclusif du peuple, qui aurait toujours - intrinsèquement, parce qu'il est le peuple - raison, contre les autres, ceux qui ne sont pas le peuple, contre ceux qui conspireraient contre lui, les élites, Bruxelles, les étrangers. Le populisme est une méthode, avant d'être une idée politique. Peu portés aux débats intellectuels, les chefs populistes sont des "être sans qualités". On m'a rapporté que le seul loisir connu de Wilders consisterait à aller faire des pointes de vitesse sur les autoroutes allemandes. Il ne lit jamais de livres, dit-on. Mais c'est sans doute l'un des plus brillants hommes politiques européens, comme Nigel Farage, comme Marine Le Pen, comme Beppe Grillo, tous excellents orateurs, excellents tacticiens, et, d'abord, excellents utilisateurs des médias de masse.
Sans les médias, et en particulier la télévision, ils ne seraient rien. C'est l'histoire de la poule et de l'œuf : est-ce parce qu'ils sont télégéniques, eux et leurs idées simples et chocs, qu'ils y sont invités ? Ou l'inverse ? L'audimat les fait-il ou font-ils l'audimat ? Un exemple, aux Pays-Bas, où Geert Wilders s'est rendu récemment dans un quartier immigré de La Haye, pour y dénoncer l'existence d'un supposé "triangle de la charia", entouré de dizaines de caméras. Dans ce quartier, la charia ne régnait pas. Aucune nécessité journalistique ne justifiait de couvrir cette visite, rien, si ce n'est la présence de Wilders. Pourquoi y aller alors ? "La présence de dizaine de journalistes couvrant cette visite nécessitait de s'y rendre" - le serpent qui se mort la queue - , "cela, en soi, faisait l'événement, était une information", m'a affirmé un journaliste d'une chaine d'information. Il a fini par m'avouer aussi que c'était bon pour l'audience. Et lorsque dans un meeting de Wilders à La Haye, j'ai demandé à ses sympathisants qui m'affirmaient que dans un quartier de leur propre capitale régnait la sharia, comment ils le savaient, ils me répondirent tous, sans exception : "on l'a vu à la télévision". Pas un seul n'avait pensé se rendre sur place, à quelques pâtés de maisons de là. Les populistes nourrissent la machine télévisuelle avide de sensations fortes, et celle-ci démultiplie leur message. Wilders est en tête des sondages pour les Européennes. En Finlande, le patron d'une émission politique me confiait que lorsqu'il avait besoin de se faire valoir auprès sa hiérarchie, il invitait le chef des Vrais Finlandais, Timo Soini, et gagnait quelques points d'audimat. Reste que, si la responsabilité des journalistes de télévision est en jeu, les populistes font de l'audimat parce qu'ils intéressent le public, et qu'au de là de leur électorat, ils hystérisent le débat public. Pourquoi ?
Les populistes témoignent, alors qu'ils vitupèrent sans cesse contre l'Europe, d'une unification du continent européen, d'une communauté de destin des sociétés européennes. Leurs discours, leurs méthodes, se ressemblent. Leurs cibles sont les mêmes : l'Union européenne, la finance, les élites politiques, les immigrés, les musulmans. Et d'abord les immigrés musulmans. Partout, le succès de ces partis tient à leurs chefs. Charismatiques. Télégéniques. Transgressifs. Habiles.
Habiles d'abord pour se montrer radicaux, mais pas trop. En rupture, mais respectables tout de même, car leur électorat veut la rupture mais pas de violence, verbale ou réelle. Ils sont révolutionnaires et conservateurs, comme leur électeurs. Habile aussi à être populaires mais pas trop. Parlant au nom du peuple, ils parviennent à la fois à se montrer proches de lui, tout en revendiquant des qualités exceptionnelles. Membres de facto d'une élite politique tout en dénonçant les élites. Pour parvenir à résoudre cette tension, il faut des nerfs et du savoir faire. Tous sont des aventuriers de la politique autant que des techniciens rusés. A l'instar de Nigel Farage. Ce Britannique à l'allure très patricienne, meilleur orateur du Parlement européen sortant est en passe de réaliser un exploit électoral avec son parti, UKIP, à qui les sondages prédisent 30% des voix, au coude à coude avec les travaillistes. Longtemps marginal, il doit son succès au génie de la communication de son chef, passé maître dans l'utilisation des réseaux sociaux et dans l'art du "buzz"
On pourrait croire ces populistes européens idéologues : ils ont peu d'idéologie, pas de lignes intangibles et là est leur force. Ils changent d'idées en fonction de l'air du temps, ils s'adaptent, ils fluctuent, ils épousent les mouvements d'opinion. Andreas Mölzer, l'idéologue du FPÖ autrichien, et représentant de son aile dure née des décombres du Troisième Reich, m'avouait ainsi que l'opinion publique étant devenue sensible à l'antisémitisme, son parti ne pouvait continuer de paraître antisémite et qu'il lui avait fallu, pour cela, organiser un voyage en Israël du chef du FPÖ. Aux Pays-Bas, Geert Wilders était libéral quand l'opinion l'était, il est devenu, au plan économique, quasiment d'extrême gauche depuis la crise. Le Hongrois Orban était pro-européen il y a quelques années, il est devenu anti-européen. Le Front national aussi a effectué sur les questions sociétale - le mariage gay - ou économiques des virages serrés. Beppe Grillo, après avoir mené une campagne aux accents de gauche, a refusé d'abroger, en plein drame de Lampedusa, une loi qui criminalisait les sans-papiers, avouant - cyniquement ? candidement ? - que ne pas le faire, le condamnerait un score dérisoire aux élections, tant le public italien serait hostiles aux immigrés. Ce sont tous des idéologues mous, portés par les courants dominants. Le populisme est avant tout, non une idéologie, mais une méthode : il s'agit de s'ériger en porte parole exclusif du peuple, qui aurait toujours - intrinsèquement, parce qu'il est le peuple - raison, contre les autres, ceux qui ne sont pas le peuple, contre ceux qui conspireraient contre lui, les élites, Bruxelles, les étrangers. Le populisme est une méthode, avant d'être une idée politique. Peu portés aux débats intellectuels, les chefs populistes sont des "être sans qualités". On m'a rapporté que le seul loisir connu de Wilders consisterait à aller faire des pointes de vitesse sur les autoroutes allemandes. Il ne lit jamais de livres, dit-on. Mais c'est sans doute l'un des plus brillants hommes politiques européens, comme Nigel Farage, comme Marine Le Pen, comme Beppe Grillo, tous excellents orateurs, excellents tacticiens, et, d'abord, excellents utilisateurs des médias de masse.
Sans les médias, et en particulier la télévision, ils ne seraient rien. C'est l'histoire de la poule et de l'œuf : est-ce parce qu'ils sont télégéniques, eux et leurs idées simples et chocs, qu'ils y sont invités ? Ou l'inverse ? L'audimat les fait-il ou font-ils l'audimat ? Un exemple, aux Pays-Bas, où Geert Wilders s'est rendu récemment dans un quartier immigré de La Haye, pour y dénoncer l'existence d'un supposé "triangle de la charia", entouré de dizaines de caméras. Dans ce quartier, la charia ne régnait pas. Aucune nécessité journalistique ne justifiait de couvrir cette visite, rien, si ce n'est la présence de Wilders. Pourquoi y aller alors ? "La présence de dizaine de journalistes couvrant cette visite nécessitait de s'y rendre" - le serpent qui se mort la queue - , "cela, en soi, faisait l'événement, était une information", m'a affirmé un journaliste d'une chaine d'information. Il a fini par m'avouer aussi que c'était bon pour l'audience. Et lorsque dans un meeting de Wilders à La Haye, j'ai demandé à ses sympathisants qui m'affirmaient que dans un quartier de leur propre capitale régnait la sharia, comment ils le savaient, ils me répondirent tous, sans exception : "on l'a vu à la télévision". Pas un seul n'avait pensé se rendre sur place, à quelques pâtés de maisons de là. Les populistes nourrissent la machine télévisuelle avide de sensations fortes, et celle-ci démultiplie leur message. Wilders est en tête des sondages pour les Européennes. En Finlande, le patron d'une émission politique me confiait que lorsqu'il avait besoin de se faire valoir auprès sa hiérarchie, il invitait le chef des Vrais Finlandais, Timo Soini, et gagnait quelques points d'audimat. Reste que, si la responsabilité des journalistes de télévision est en jeu, les populistes font de l'audimat parce qu'ils intéressent le public, et qu'au de là de leur électorat, ils hystérisent le débat public. Pourquoi ?
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