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En Égypte, les jeux présidentiels sont faits

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    Dans un concert de klaxons, son visage voltige au-dessus du pont Qasr al-Nil, chatouillant les pare-brise des voitures d'un sourire confiant. Lui, c'est Hamdine Sabahi, casque de cheveux gris et costume sombre, seul candidat en lice contre Abdel Fattah al-Sissi, le grand favori de l'armée et des milieux d'affaires en Égypte. À quelques jours d'un scrutin sans grand suspense, ses partisans, principalement de jeunes révolutionnaires, ont eu l'ingénieuse idée d'inonder le ciel de cerfs-volants à son effigie. Un pied de nez à cet avion privé qui, quelques jours plus tôt, décollait du Caire pour survoler la Haute-Égypte, flanqué d'un poster géant du maréchal

    «Sissi a des réseaux et de l'argent, nous avons des idées», entonne Abdel Rahman Saïd, membre de la campagne pro-Sabahi, refusant de partir perdant. Hamdine Sabahi, insiste-t-il, est «l'un des nôtres» - c'est d'ailleurs l'un des principaux slogans de sa campagne. Avant d'ajouter: «Il aime les bains de foule. Il est le dernier espoir de la révolution de janvier 2011.»
    Difficile, pourtant, de faire le poids contre la «machine» pro-Sissi. La photo du «sauveur de la nation», celui dont les télévisions privées applaudissent à l'unisson le coup de balai brutal contre le président «frériste» Mohammed Morsi en juillet, se démultiplie à l'infini sur les façades des immeubles et les panneaux publicitaires. Selon son directeur de campagne, pas moins de 1,2 million d'euros auraient été dépensés pour son budget de communication - contre seulement 10.000 maigres euros rassemblés par les pro-Sabahi. Sans compter tous ces petits commerçants qui, dans l'espoir de s'acheter les faveurs de la police et de l'armée en cas de litige sur un bail ou une licence, affichent leur soutien à l'ex-ministre de la Défense à grands renforts de banderoles colorées sur leurs vitrines.
    «Les partisans de Sissi ont une puissante force de lobbying»

    «Le seul espace qui nous reste, c'est la rue et le contact direct avec la population», concède Abdel Alim Ammar, un des responsables de la campagne pro-Sabahi, qui s'achève ce vendredi matin. Les yeux creusés par la fatigue, derrière un cendrier rempli de mégots, il ne décolle pas de son bureau du quartier des Ingénieurs, l'une des deux permanences du candidat nassérien de 59 ans. À l'heure du retour aux vieilles méthodes d'intimidation et de pression héritées des années Moubarak, sa tâche est ardue. «Début mai, le premier meeting de campagne de Sabahi, dans la ville de Méhallet el-Kobra, a dû être reporté à plusieurs reprises, car les salles de conférence qui promettaient de nous accueillir ne cessaient d'annuler les unes après les autres. À el-Monofia, dans le Delta, on a même dû renoncer à une conférence après avoir essuyé le refus de six salles qui prétendaient ne pas être disponibles aux dates demandées. De toute évidence, les partisans de Sissi ont une puissante force de lobbying à travers le pays», raconte-t-il. Des exemples, parmi tant d'autres, de cette campagne largement biaisée que la Fondation Carter, qui s'est refusée à envoyer des observateurs, dénonce dans son dernier rapport.
    Al-Sissi, lui, ne perd pas son temps au contact du peuple. Officiellement, sa «discrétion» répond à des motifs sécuritaires - il aurait échappé à deux tentatives d'assassinat, à en croire une de ses interviews télévisées. En réalité, l'ex-ministre de la Défense, véritable homme fort de l'Égypte depuis l'éviction de Morsi, se sent déjà vainqueur avant l'heure. «Dans nos cœurs, il est déjà président», roucoule Mohammed Magdy, 27 ans, en citant fièrement les 98 % de voix remportées haut la main lors du vote anticipé, cette semaine, des Égyptiens de France. Cet ex-footballeur qui se targue d'être l'un des cinq hommes de l'équipe rapprochée d'al-Sissi reçoit dans la cafétéria d'un hôtel cossu dirigé par l'épouse d'Ahmed Ezz, un homme d'affaires corrompu pro-Moubarak, aujourd'hui en prison. D'ailleurs, le jeune homme - qui admet ne pas avoir participé à la révolution - assume ses affinités politiques. «Aujourd'hui, il nous faut un président aussi courageux que Nasser, aussi intelligent que Sadate et bon rhéteur comme Moubarak. À l'exception de Morsi, tous nos leaders sont issus de l'armée. Al-Sissi est l'homme de la situation, le seul capable de restaurer l'ordre, de mettre fin à l'insécurité et de créer des emplois», assène-t-il, en misant sur la fibre patriotique et les difficultés économiques des Égyptiens.
    Ainsi, plus qu'une campagne électorale sur un programme concret, c'est une opération de charme que l'équipe pro-Sissi a initiée: don de prothèses pour handicapés, distribution d'ampoules fluo-compactes - permettant d'économiser de l'énergie en ces temps de coupures de courant répétées. Un savant calcul pour dissuader, aussi, les indécis de bouder les urnes. Car la grande inconnue du scrutin, c'est bien le taux de participation, de nombreux Égyptiens ayant renoncé à leurs - éphémères - idéaux démocratiques depuis l'éviction de Morsi, un an après son élection au suffrage universel. «En juin 2013, j'ai voté pour le candidat des Frères musulmans. J'admets qu'il a fait des erreurs. Mais était-ce une raison pour annuler mon vote? Aujourd'hui, à quoi bon choisir Sissi ou Sabahi? râle Moamen Khaled, un informaticien. Cette élection est une mascarade. Au final, les militaires choisiront à notre place.»

    le figaro
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