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Le bruit et le Führer

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  • Le bruit et le Führer

    Succès colossal en Allemagne, le livre "Il est de retour" fait revivre de nos jours le chancelier Hitler. Il n'est pas sûr pourtant que ce roman de Timur Vermes, lancé à grands sons de cor, emballe les Français.


    Tout est prêt pour l'offensive montée par les éditions Belfond, qui lancent Il est de retour, de Timur Vermes, roman dont le héros est Adolf Hitler. Le chancelier, soixante-six ans après sa disparition, se réveille dans un terrain vague de Berlin et repart, par le biais de la trash télé et d'Internet, à la conquête du pouvoir.

    La bataille de France répond aux canons de l'offensive éclair d'une Panzerdivision épaulée par des Stuka en piqué. Pour réitérer l'écrasante victoire de ce roman outre-Rhin (1,5 million d'exemplaires vendus en un an), Belfond (filiale du groupe Editis, lui-même filiale du groupe hispanophone Planeta, 2,5 milliards de chiffre d'affaires) a sorti l'artillerie lourde du marketing.

    Les épreuves reliées distribuées urbi et orbi sont accompagnées d'une plaquette sur papier glacé propre à mâcher le travail des « prescripteurs ». En une, la reproduction de la couverture allemande au design soigné (sur fond blanc, la célèbre mèche noire coiffant le titre en forme de moustache). Les deux pages suivantes déclinent l'argumentaire comme suit : présentation du livre, de l'auteur (dont on précise, on ne saurait être trop prudent, que le père est d'origine juive hongroise). Suivent de petites notules sur le « succès » sur le fait qu'il s'agit d'une « satire » qui délivre un « message » (« Si nous n'y prenons garde, l'histoire pourrait se répéter »), et que nous voilà face à une « œuvre », « un roman remarquable [...] dont la rigueur ne laisse place à aucune ambiguïté ».


    Pour conclure, Belfond donne la liste exhaustive de son arsenal : couverture de Livres Hebdo, le journal des critiques et des libraires, buzz en amont sur les réseaux sociaux, venue de l'auteur, affichage dos de kiosques, affichages Premium Relay. Pour faire bon poids, les possesseurs d'un smartphone peuvent décrypter un QR Code donnant accès à une animation où le Führer s'essaie en éructant à toutes sortes de moustaches avant de trouver sa brosse.

    Comme, faut-il le répéter, il s'agit d'une satire, l'éditeur ne recule devant rien pour mettre les rieurs de son côté : la date de sortie est le 7 mai, soit un jour avant la capitulation de l'Allemagne en 1945, et le prix de vente est de 19,33 €, soit l'année de l'accession de Hitler au pouvoir.

    Si le Führer avait indéniablement un don pour galvaniser les foules, on sait que ses talents d'écriture n'étaient pas du même tonneau. Quiconque s'est essayé à l'étude de Mein Kampf peut en témoigner. En plus d'être d'une colossale saloperie, le manifeste nazi est aussi un monument d'ennui. En ce sens, Il est de retour est une parfaite réussite en termes de mimétisme, tant le style de cet ouvrage de 400 pages n'a rien à lui envier.

    Timur Vermes file la métaphore et le quiproquo jusqu'à épuisement et prend systématiquement trois pages là où un paragraphe serait amplement suffisant. Si le lecteur allemand peut parfois y trouver son compte, les Français, malgré le glossaire en fin de volume, risquent en plus de se perdre dans les arcanes contemporaines du microcosme politique d'outre-Rhin.

    Bien plus que le scandale consistant à faire de Hitler un personnage comique (après tout, pourquoi pas, Lubitsch et Chaplin l'ont fait avec brio), c'est surtout la lourdeur du contenu et le convenu de la critique de l'époque qui rendent la lecture de cet ouvrage aussi poussive qu'inutile.


    Il est de retour, de Timur Vermes, traduit de l'allemand par Pierre Deshusses, Belfond, 408 p.

    Marianne
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