Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Le temps des désillusions: Les printemps arabes loin de Germinal

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Le temps des désillusions: Les printemps arabes loin de Germinal

    Est-il le moment, trois ans après leurs premiers bourgeons, de faire le bilan des «printemps arabes» ? Dispose-t-on de tous les éléments d’analyse qui permettent de cerner les contours d’une dynamique complexe qui s’est déclenchée dans des contextes socio-économiques et politiques aussi complexes ? Pour certains observateurs, les révoltes arabes sont un succès dans la mesure où elles ont permis la chute de régimes dictatoriaux en Tunisie, en Egypte, en Libye et au Yémen.
    Pourtant, dans ces pays, y compris en Syrie et au Bahreïn, les activistes et même les institutions officielles parlent de révolutions. Pourtant, la révolution est un concept qui qualifie une dynamique de transformation globale qui ne se limite pas uniquement à un changement de régime. Pour l’heure, seule la Tunisie a réussi une transition sans trop de casse en vies humaines et en infrastructures contrairement à l’Egypte où l’ordre ancien est en train de se réinstaller sur fond de violence, à la Syrie où le pays est complètement détruit, à la Libye qui s’enlise chaque jour davantage dans le chaos et au Yémen qui n’arrive pas à transcender ses clivages tribaux Les révoltes arabes, appelées abusivement «révolutions», ont généré des situations politiques, sociales et économiques logiques et prévisibles en raison de la nature des régimes déchus qui ont instauré un système socio-politique verrouillé et castré. Toutefois, les dynamiques d’ouvertures politiques constituent des acquis indéniables dans la mesure où des pans de la société se sont libérés des peurs ataviques du pouvoir et de la répression. Les espaces de liberté s’élargissent en dépit des obstacles objectifs et subjectifs que génèrent une situation économique étouffante et une montée des intégrismes libérés aussi des abysses pour partir à la conquête des sociétés.
    S’il est établi que les révoltes arabes ont été provoquées par une instrumentalisation occidentale, il n’en demeure pas moins que la chair à canon était constituée des laissés-pour-compte de systèmes sclérosés et obsolètes. Cependant, si ces dynamiques n’ont pas abouti au bien-être politique, économique et social espéré, c’est pour des raisons objectives.
    En premier lieu, si ces soulèvements populaires ont réussi à chasser les dictateurs, c’est parce que la majorité des citoyens y a adhéré et voulait en découdre avec les régimes oppressifs, corrompus qui ont privatisé les Etats. En second lieu, les mêmes majorités, aussi bien en Tunisie qu’en Egypte, ont porté au pouvoir des courants islamistes.
    En troisième lieu, si les courants démocratiques et laïcs n’ont pas réussi à mobiliser les masses, c’est en raison de leur faiblesse d’ancrage social, de l’incohérence de leur discours politique et surtout de leur division face aux islamistes qui se sont toujours structurés dans le mouvement associatif et ont toujours occupé le terrain par des activités caritatives.
    Enfin, la nature des régimes qui s’installent après les choix populaires ne peut aller au-delà de la vision islamiste de l’Etat et de la société.
    Les Frères musulmans se retrouvent aujourd’hui au cœur d’une contradiction idéologique et politique qui explique l’inertie post-révoltes arabes : ils ne peuvent renier leurs principes fondateurs qui se réfèrent à l’Islam et à ses préceptes comme mode de gouvernance, mais ne peuvent pas, non plus, attenter aux espaces des libertés politiques et sociales au risque d’élargir le front de contestation. Cela est d’autant plus pertinent que les islamistes au pouvoir en Tunisie et en Egypte étaient dans l’incapacité objective de résoudre les problèmes économiques et sociaux des populations. Cette contradiction fondamentale explique les déceptions et le statu quo manifestes en Tunisie et en Egypte, mais aussi en Libye où l’Etat n’arrive pas à s’imposer comme une puissance publique reconnue par tous.

    L’Occident et le monde arabe
    Le think-tank américain RAND considère que les perspectives de démocratisation se sont «assombries» dans la région et que le «printemps arabe» n’aura été qu’un «mirage». Pour cet organisme, qui a une large audience auprès des décideurs politiques américains, ceux qui croyaient que les événements de 2011 annonçaient «la fin tant attendue de l’immunité des pays arabes des mouvements de démocratisation avaient fait, finalement, une lecture qui a mal interprété les événements et affiché un optimisme excessif». La disparition de l’autoritarisme dans le Monde arabe peut arriver, mais il y a peu de raisons de penser que ce jour soit proche, estime-t-il. Certes, après la chute des anciens dirigeants tunisien, égyptien et libyen, des élections équitables ont été organisées dans les trois pays où les électeurs ont exprimé librement leurs opinions politiques, reconnaît-il. Cependant, la plupart des pays du Monde arabe n’ont pas franchi cette voie politique, et ceux qui ont commencé à se libéraliser ont du mal à maintenir l’ordre, s’enfermant au niveau des acquis réalisés et font face à une grande incertitude, observe ce cercle de réflexion spécialisé dans les questions de défense et des relations internationales. Ce dernier relève que le gouvernement «fragile» en Libye n’a pas réussi à désarmer les milices qui contrôlent de nombreuses régions du pays, tandis que les violations des droits de l’Homme se poursuivent, et qu’à l’instar de l’Irak, la rédaction d’une Constitution sera probablement entravée par des dissensions sur la question du pouvoir entre les différentes régions du pays. Alors qu’en Tunisie, l’Etat reste «faible» et fait face au défi des salafistes radicaux, mais surtout au défi économique et social qui reste le véritable enjeu pour les autorités de transition. En Egypte, les observateurs hésitent sur la terminologie adéquate : nouveau souffle de la révolution ou contre-révolution ? Sissi, symbole du pouvoir militaire, a été élu à un taux qui rappelle la période des partis uniques dans les régimes arabes. Pourtant, ce maréchal a été soutenu par la rue pour destituer Morsi et chasser les Frères musulmans du pouvoir, avant d’être sollicité pour se présenter à la présidentielle. Par ailleurs, la Syrie a sombré dans une guerre civile sanglante. Pire encore, le terrorisme continue aussi d’être un problème majeur avec Al-Qaïda et ses affiliés qui essayent de combler le vide en Libye, en Syrie et dans d’autres pays instables, selon RAND. Evoquant les enjeux des Etats-Unis dans ce contexte, ce think-tank juge que Washington ne devrait pas fonder sa politique à l’égard des pays arabes sur l’hypothèse d’une démocratisation rapide ou durable. Il soutient également que toute tentative de Washington d’établir la démocratie dans la région échouera «si les conditions sociales et économiques locales ne sont pas encore mûres et si ses intérêts particuliers dans ces pays s’opposent aux réformes politiques». Son analyse va jusqu’à considérer que la réalisation de ces objectifs «nécessite de travailler avec certains gouvernements autoritaires et d’accepter le Monde arabe tel qu’il est», en faisant valoir que les Etats-Unis comptent parmi leurs alliés «un certain nombre de pays arabes autoritaires qui sont des partenaires essentiels dans la protection de ses intérêts». Pour ce think-tank, bien que les Etats-Unis puissent prendre certaines mesures pour soutenir la démocratisation dans la région dans le long terme, «ils ne peuvent pas forcer le changement». Cette analyse exprime, d’une part, la conception que se fait l’Occident de la démocratie et, d’autre part, son regard sur le Monde arabe. Pourtant, ce think-tank sait pertinemment que c’est l’Occident qui a provoqué les révoltes arabes en commençant par le maillon faible du Monde arabe, qu’est la Tunisie pour tester l’efficacité de leur stratagème avant de passer à la puissance régionale qu’est l’Egypte. L’objectif initial n’était pas l’instauration de la démocratie, mais de desserrer l’étau sur les populations étouffées par des régimes archaïques et renouveler la classe politique pour, d’une part, changer la vision qu’ont les Arabes sur l’Occident et, d’autre part, pour préserver leurs intérêts stratégiques dans un contexte de crise économique mondiale.


    Auteur: Abdelkrim Ghezali
    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
Chargement...
X