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«Un homme qui a faim, opprimé, ou simplement qui ne rêve plus chez lui, s’en ira ailleurs»

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  • «Un homme qui a faim, opprimé, ou simplement qui ne rêve plus chez lui, s’en ira ailleurs»

    Mahi Binebine, écrivain et artiste peintre:

    Il est l’un des plasticiens maghrébins les plus confirmés et les plus en vue actuellement dans le monde. Cette qualité plutôt rare d’être un artiste consacré et en constant renouvellement, il la puise dans son Maroc qu’il conçoit aussi bien comme le territoire des origines que comme une partie de cette magnifique et problématique géographie qui nous parle plus que d’autres, à nous Algériens, et qui s’étend de Tanger jusqu’à Djerba, et de la Méditerranée jusqu’aux portes du Sahel. Il la tient aussi de son attention à la moindre des pulsations de sa société : un travail de création nourri d’observation qu’il effectue aussi dans le roman, un genre pour lequel il a écrit de très beaux textes, dont l’ancien et cependant actuel Cannibales sur le phénomène de la harga. Mahi Binebine, c’est aussi un point de vue qu’on lit toujours avec intérêt et plaisir sur ce que c’est que l’art et la culture au Maghreb et dans le monde. Sur le politique et notre rapport à l’Autre…Entretien.

    Reporters : Vous êtes à la fois écrivain et artiste peintre. Quelle correspondance y a-t-il chez vous entre les deux pratiques artistiques ? Y en a-t-il une qui prime sur l’autre ?

    Mahi Binebine : Dans mon cas, peinture et écriture sont absolument complémentaires. Ce que je n’arrive pas à exprimer avec les mots, je le fais aisément avec la couleur et les formes. Et vice-versa. Je m’épanouis avec les deux médiums. Ou les trois, puisqu’actuellement je fais pas mal de sculptures.

    A quel moment êtes-vous peintre à quel autre êtes-vous écrivain ?

    Les deux, tout le temps. J’ai une discipline quasi-militaire. Le matin j’écris et je passe mes après-midi à l’atelier. On me dit souvent que mes écrits sont « imagés » et ma peinture « narrative ».

    Que répondez-vous à ceux qui considèrent que vous êtes davantage un artiste peintre « majeur » de sa génération et un romancier plutôt dilettante ?

    Publier un roman tous les deux ans depuis une vingtaine d’années vous semble insuffisant… Mes livres sont traduits en quatorze langues. Non, je prends l’écriture très au sérieux. Il se trouve que j’ai davantage de succès en tant que peintre, mais cela ne veut rien dire. Le succès n’a jamais été un gage de talent.

    Quelle place pensez-vous avoir aujourd’hui dans le champ artistique et littéraire marocain si puissamment habité par des Khatibi, Laabi, Choukri, Bennis, etc. Croyez-vous à la filiation anciens-contemporains ?
    J’ai vécu vingt-trois ans en dehors du Maroc (17 ans à Paris et 6 ans à New York). J’ai été pétri par la littérature et la peinture occidentales. Très peu par la nôtre. Je n’ai lu que sur le tard nos auteurs (très bons du reste). Je suis une sorte d’électron libre dans mon pays. Par ailleurs, la génération d’artistes contemporains n’a plus les mêmes préoccupations que nos aînés. Nous vivons avec notre temps. Nous traitons nos problèmes actuels. Il y a une telle énergie alentour. A Tahanaout, dans la résidence d’artistes où je travaille, je suis entouré de peintres, de sculpteurs, de graveurs, de designers, de photographes, de vidéastes, tous animés par un formidable désir de liberté, détruisant sans complexe les limites matérielles de la peinture, purifiant son langage jusqu’à l’extrême, narguant l’expression esthétique convenue et ses codes. Ils emploient tous les procédés possibles et imaginables que leur offre le progrès technique du nouveau siècle. La vieille palette de nos aînés ne les concerne plus.

    Le Maghreb compte un nombre important de romanciers, de poètes et de plasticiens. Quand ils se rencontrent, ils le font le plus souvent hors de chez eux : à Paris, New York ou ailleurs. Pourquoi cette singularité ?

    Il y a une telle misère intellectuelle chez nous. Pendant des décennies, nos régimes dictatoriaux se sont méfiés de la culture. L’éveil à leurs yeux impliquait la sédition. C’est la raison pour laquelle l’éducation a été pendant longtemps le parent pauvre du développement chez nous. Je rencontre les écrivains maghrébins plus facilement à Paris, Berlin ou Londres qu’à Marrakech… Et cela n’est pas normal. Cependant, les choses sont en train de changer, mais pas au rythme que je voudrais.

    Il est parmi les artistes et les hommes de culture maghrébins des gens qui, comme vous, voyagent beaucoup. Le voyage, l’exil ou tout simplement le changement de lieu sont-ils importants pour la création, quelle qu’en soit la forme ?

    Il me semble que le processus de création est une affaire intérieure. L’environnement peut jouer un rôle, certes, mais c’est dans ses entrailles qu’il faut chercher les choses.

    Revenons, si vous le permettez, à votre œuvre de romancier et à un titre en particulier : Cannibales. Dans ce texte, vous vous intéressez au thème de la « harga » qui faisait certes partie de l’actualité marocaine et maghrébine, mais qui n’avait pas encore l’audience qu’il a aujourd’hui. Est-ce le résultat d’une proximité avec la société, la vôtre ? Ou est-ce l’expression d’un auteur visionnaire ?

    J’ai commencé à écrire ce roman en 1997. En effet, à l’époque, ce n’était pas un sujet « à la mode ». Mais il y avait ici ou là quelques papiers qui parlaient de cette tragédie. Je voyais bien qu’il y avait une certaine hypocrisie des gouvernements européens vis-à-vis de l’immigration clandestine. Ils ont besoin de main-d’œuvre bon marché, docile et sans couverture sociale pour les chantiers agricoles, le bâtiment et la restauration. Mais cela n’était pas bon d’un point de vue électoral… alors il y avait un double discours…
    Cela dit, un homme qui a faim, opprimé, ou simplement qui ne rêve plus chez lui, s’en ira ailleurs. Les hommes sont comme les oiseaux, ils vont là où l’air est le plus respirable. Un sentiment d’enfermement oppresse nos jeunes depuis la création de l’espace Schengen et la réduction drastique des visas qui s’en est suivie. Cela engendre une folle envie de départ. Et, voyez-vous, on ne pourra pas mettre du fil barbelé autour de l’Europe. Car, il y aura toujours des rapaces mafieux parfaitement organisés des deux côtés de la frontière pour leur sucer le sang (lequel sang est, je le répète, un carburant indispensable pour les économies occidentales). Oui, ces jeunes partiront parce que la lutte contre l’immigration clandestine ne doit pas se faire sur les frontières, mais dans les lieux et les pensées des immigrants clandestins ; elle doit s’opérer dans le cadre de la coopération Nord-Sud basée sur un dialogue équilibré, et non pas reposer sur un monologue du Nord. Il faut une politique et non une police d’immigration. Le Sud ne doit pas être contraint à la mendicité.

    Si vous deviez donner une expression picturale à ce roman, ce serait quoi ? Le Radeau de la méduse ?

    Au moment où j’écrivais le roman, j’ai beaucoup peint les « pateras », ces embarcations de fortune qu’utilisaient à l’époque les clandestins.

    Cannibales, Les Funérailles du lait, Le Sommeil de l’esclave… Un critique dit de vos textes qu’ils sont traversés par les grandes transformations qui ont marqué le Maroc et le Monde… Le lieu d’origine et l’universel se rencontrent-ils ? Peut-on du lieu d’origine raconter ou décrire le Monde ?

    Je viens de relire, après la mort de Gabriel Garcia Marquez Cent ans de solitude. Il raconte un petit patelin (imaginaire par ailleurs) du fin fond de sa Colombie natale, et là, c’est un texte absolument universel !!!

    Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
    Plusieurs expos aux USA et à Paris à la rentrée prochaine. Puis un nouveau roman dont je ne vous dévoilerai pas le sujet…

    nordine azzouz
    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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