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"L'objectivité journalistique n'existe pas

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  • "L'objectivité journalistique n'existe pas

    Pas facile d'écrire au sujet des conflits armés, le cas de l'Ukraine le démontre bien. Pour y voir plus clair, il est utile de relire l'œuvre de Ryszard Kapuscinski, qui fut un reporter engagé, conseille le chroniqueur de Gazeta Wyborcza.


    A l'approche de l'agression russe en Ukraine, je me suis rafraîchi la mémoire en relisant D'une guerre l'autre : Angola, 1975 (éd. Flammarion) de Ryszard Kapuscinski. C'est pourquoi, j'évoque une "agression russe" de manière pleinement responsable, car ce livre est non seulement un formidable reportage mais aussi une leçon intemporelle de l'éthique journalistique. Dans un premier réflexe, tous sont prêts à croire que le journaliste doit avant tout éviter de se ranger aux côtés d'un seul protagoniste.

    "Sois objectif. Efforce-toi de l'être. Présente plusieurs points de vue. Expose les arguments de toutes les parties. Evite d'employer les expressions du jugement", nous instruit le manuel de la fondation Pologne moderne. "Malheureusement, trop souvent, les journalistes violent ces principes éthiques", regrettent les auteurs. J'aimerais savoir s'ils ont lu Kapuscinski. Si ce dernier est rentré dans l'histoire du journalisme, ce n'est pas parce qu'il a décrit la décolonisation de manière objective en montrant toutes les parties du conflit.

    Le concept de confusão chez Kapuscinski

    Tout au contraire, Kapuscinski se rangeait en général d'un côté bien identifié, rejetant par principe l'objectivité et se focalisant sur les arguments d'une seule partie, celle des gens ordinaires, comme la boulangère de Pereira de Eça [ancien nom de la ville d'Ondjiva en Angola]. D'une guerre l'autre aurait-il été meilleur si Kapuscinski avait présenté laborieusement un point de vue de tous les acteurs du conflit en Angola ? Parlant aux mercenaires occidentaux, interrogeant des officiers sud-africains ? Kapuscinski a consacré beaucoup de place à la confusão qui a accompagné la guerre civile en Angola. "Confusão signifie la confusion, la pagaille, l'anarchie, le désordre. La confusão est provoquée par les gens qui en ont perdu le contrôle, devenant eux-mêmes ses victimes."

    Retrouver quelques personnages sympathiques (comme la boulangère déjà mentionnée) dans ce chaos constitue pour Kapuscinski une clé pour sortir de la confusaõ. Le conflit n'est plus pour lui un magma informe, il commence à avoir des axes du bien et du mal et gagne un visage de gens concrets. Cependant, ces axes du bien et du mal n'étaient pas identiques avec la ligne de la diplomatie communiste. Les "conseillers" cubains y sont décrits sans la sympathie ; Kapuscinski la réserve aux simples Angolais. Si je respectais les principes du "manuel de la Pologne moderne", je n'aurais jamais dû parler d'"agression russe en Ukraine". Je préfère me tenir à la leçon de Kapuscinski : sans rejeter l'objectivisme, on ne va jamais sortir de la confusaõ.

    Le journaliste ne peut pas être objectif

    Objectivement et équitablement, je devrais écrire quelque chose du genre : "Les incidents sur le territoire ancien et actuel de l'Ukraine (la république populaire de Donetsk, selon certains), auxquels prennent part des formations paramilitaires, dont la provenance est incertaine, une autodéfense spontanée de la population russe, selon les uns, ou des troupes du spetsnaz déguisées [forces spéciales russes], appelées communément 'petits hommes verts'..." Cela reviendrait à accorder à la version poutinienne autant de place qu'à ce que me dicte le bon sens, soit du spetsnaz déguisé.

    Poursuivant ainsi, j'aurais contribué à encore plus de confusão. Je ne crois pas que les auteurs du manuel aient rêvé un tel journalisme. Ils n'ont tout simplement pas réfléchi à leurs thèses. Le journaliste ne peut être objectif. Le journaliste se positionne déjà en choisissant d'écrire sur l'Ukraine. La principale question éthique est "Quel côté choisir" et non "Comment rester objectif". Moi, suivant Kapuscinski une fois de plus, je croise les doigts pour de simples boulangers (ou enseignants, ouvriers du bâtiment, médecins, etc.) ukrainiens. Riche d'une expérience polonaise, je sais qu'ils se porteraient mieux si leur pays adoptait une direction occidentale. Le choix est donc clair.

    le courrier international
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