Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Camus, le fils de l'ogresse

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Camus, le fils de l'ogresse

    «…On dit encore à l'artiste: «Voyez la misère du monde. Que faites-vous pour elle ?» À ce chantage cynique, l'artiste pourrait répondre: «La misère du monde ? Je n'y ajoute pas. Qui parmi vous peut en dire autant ?» Mais il n'en reste pas moins vrai qu'aucun d'entre nous, s'il a de l'exigence, ne peut rester indifférent à l'appel qui monte de l'humanité désespérée.

    Il faut donc se sentir coupable, à toute force.

    Nous voilà trainés au confessionnal laïc, le pire de tous.», Ainsi parlait Camus, à un meeting international d'écrivains en 1948. À peu près 10 ans avant son prix Nobel, l'homme était déjà en procès sommé de se défendre et apparemment il n'était pas doué. Plus il répondait, plus il s'enfonçait dans un monde «divorcé» de l'homme, «absurde». Pour lui l'absurde ne veut pas dire «qui-n'a-pas-de-raison, mais qui-a-reconnu-que-tout-est-sans-raison» (1). On ne peut pas tenir la plume avec brio et caresser avec doigtier un micro. Dans le livre «Albert Camus fils d'Alger» du biographe Vircondelet, un autre fils d'Alger, on est étonné de lire comment Camus, étudiant pauvre atteint de tuberculose, passait ses journées à faire d'Alger, la fêtarde, un pôle culturel tout en travaillant la nuit sur l'Étranger, l'Homme révolté et Le Mythe de Sisyphe. À peine sorti de l'adolescence, il avait tout compris : le déracinement, la révolte et le suicide. Une dette à payer. L'enfant malade sous-alimenté n'aurait jamais survécu sans la générosité des autres. Ah si Alger pouvait parler, elle se souviendrait de cet étudiant atypique qui voulait ajouter à sa beauté l'intelligence tout en défendant la veuve et l'orphelin. Mais Alger indépendante ne se souvient même plus qu'elle a une université tellement cette structure a cessé de donner signe de vie sauf en 1999 afin de lancer une grève illimitée pour une augmentation de salaire devenue par la suite une maladie chronique. «…dérèglement qui frappe un secteur censé privilégier les débats d'idées sur ceux, bien que légitimes, à caractère professionnel et matériel.»(1) Or que peut bien revendiquer l' «intellectuel» algérien d'aujourd'hui sinon un couffin mieux rempli comme n'importe quel bougnoul qui veut éviter la cravache du chef. Les autorités coloniales se contentaient de mettre des bâtons dans les roues endiablés du petit monstre ou pire le pousser à s'exiler à Paris le temps de se calmer. Paris où on pouvait faire carrière sans attachement, sans joie. «Avec la France, il a «noué une intrigue», avec l'Algérie, c'est «la passion sans frein et l'abandon à la volupté d'aimer.» De créer aussi, le prix Nobel était déjà acquis sur les bancs de l'université d'Alger. Marqué à vie par la mort du père, victime de la boucherie de la Première Guerre mondiale entrainant le traumatisme irréversible de la mère. «Enfance pauvre.

    J'avais honte de ma pauvreté et de ma famille…J'aimais ma mère avec désespoir. Je l'ai toujours aimée avec désespoir… Sans père. La mère singulière… Se débrouiller seul… Un peu monstrueux…» Qu'aurait-il dit s'il avait vécu maintenant au sujet des bombes qui ont éclaté à Alger dans les années 1990, du terrorisme de masse qu'a connu l'Algérie, du FIS en terre musulmane à 100 %, de l'amnistie des émirs égorgeurs et le silence imposé aux victimes ? Il l'avait prévu : il vaut mieux utiliser sa langue que son arme. Ceux qui s'entendent ne s'entretuent pas et ceux qui s'entretuent ne s'entendent pas. Palissade : ceux qui s'entendent ne sont pas ceux qui s'entretuent. Qui a dit que les guerres sont déclenchées par des gens qui se connaissent et ceux qui en paient le prix sont ceux qui ne se connaissent pas ? Pythagore avant lui avait affirmé que même le massacre d'animaux fait de l'homme un danger pour l'homme. Aujourd'hui les psychologues nous disent que les enfants qui martyrisent les animaux ont de fortes chances de devenir plus tard des serials killers. Pythagore, né 580 ans avant J-C, ce n'est pas n'importe qui. Les Américains en envoyant Pionner dans l'espace ont utilisé son théorème comme message pour prouver aux extraterrestres que sur la planète Terre, il y a des êtres intelligents. Alors, les attentats à Alger ou ailleurs quels que soient leurs initiateurs ne pouvaient avoir l'aval d'un Camus. Il n'attend même pas d'être un courtisan déçu comme Voltaire pour acquérir un peu d'indulgence et d'expérience. N'appartient à aucune tribu ni arabe ni coloniale encore moins gauloise, il parle au nom de toutes les victimes. Mais c'est en tant que fils d'une femme qu'il a été lapidé par un jeune militant du FLN à Stockholm. Choisir entre la mère et la liberté ? Une question «terroriste» pour un méditerranéen. Ce serait vraiment intéressant de savoir ce qu'est devenu ce jeune qui a liquidé avec le verbe le nobélisé en littérature. Pour l'histoire il n'a pas de nom. Il a juste été un outil de démolition jeté avec les gravats. A-t-il réalisé ses rêves de liberté en préservant sa mère ? Dommage, la caméra a glissé sur lui pour se concentrer sur la Bête qui se prenait pour la Belle.

    Camus parlant de sa mère, il évoque un malheur qu'il ne pouvait comprendre, la comparant à l'Idiot de Dostoïevski «… son maigre dos courbé…» . «O mère pardonne à ton fils d'avoir fui la nuit de ta vérité.» Pas de fuite puisque tout le génie camusien repose sur «ce maigre dos courbé…». Sur cette petite chose insignifiante, illettrée, sourde et carrément muette depuis son veuvage, condamnée à la misère avec deux enfants dans une seule pièce, comme une Fatma à faire le ménage chez les autres. Il avait peur qu'elle meure dans un attendant à Alger parce que les attentats à Alger, on le sait ne tuent que les mères lambda.

    L'«handicapée» ne voulait pas vivre loin des Arabes, elle refusait l'hospitalité du fils nobélisé. Têtue et lucide tel un poisson dans sa goutte d'eau. Ni victime ni bourreau, écrivait-il imprudemment et pourquoi faudrait-il choisir entre victime et bourreau quand on ne sait plus les discerner, quand tous sont téléguidés l'un pour frapper l'autre pour subir ? Plus d'un demi-siècle plus tard, rien n'a changé ou tout a changé avec l'anesthésie des cités algéroises et parisiennes avec un va-t-en-guerre latent bien entretenu, on ne sait jamais. Pendant que le parfait amour soude la dictature florissante d'Alger et la démocratie vieillissante de Paris. N'est-ce pas Mitterrand qui a fait le nid de Le Pen avec son SOS-Racisme dans une France où 1 Français sur 3 est d'origine étrangère pendant que le Terminator Boumediene liquidait les adeptes du dialogue, les humanistes à la Camus. Le pire est que le terme même de populaire est devenu synonyme de honte de mépris dont les médias aux ordres usent et abusent.

    On aime Alger avec les yeux de Camus, c'est ses dieux qui veillent sur les splendides ruines de Tipaza et Feraoun n'est pas le seul à se dire « Le Fils du Pauvre. » Dans «Misère de la Kabylie», il écrit : «À cette heure qui n'était plus le jour et pas encore la nuit, je ne sentais pas ma différence avec ces êtres…Il y a des jours où le monde ment.» Il était de tous les combats dénonçant la guerre civile en Espagne, l'enfer du Goulag… quitte à se mettre à dos les puissants du monde. On lui reprochait tout et son contraire : sa sympathie pour les indigènes, sa méfiance pour le «bon»FLN sa sympathie pour le «mauvais», son hostilité à Staline, ses affinités communistes, son ambigüité concernant la religion, trop algérien pour les eux, trop français pour les autres etc. Vircondelet note : «… déchiré par le conflit algérien sur lequel il ne veut plus s'exprimer, comme s'il ramassait pour lui tout seul toute sa douleur, préférant le mutisme dont il sait par sa mère combien il peut receler de forces de vie. » Il a fini par haïr Paris et dans l'impossibilité de revenir vers son pays, il acheta une maison au soleil grâce à l'argent du Prix Nobel. «De l'Algérie, Camus garde un souvenir si ébloui qu'il fait d'elle une terre mystique… «Son Algérie existe-t-elle vraiment… ? Comment la relier à ce désastre où toutes les valeurs en lesquelles il croit, fraternité, solidarité, respect mutuel, et surtout amour d'une terre unique au monde, «habitée par les dieux»sont balayées par les idéologies meurtrières, les violences et les destructions ?» Choisir entre la liberté et la mère, comment a-t-il pu tomber dans ce piège ? C'est qu'il n'était pas un homme politique rompu aux sournois mensonges et aux réponses mielleuses pour un parterre d'idiots bien choisis. Il clame : «Je me refuserai toujours à mettre entre l'homme et la vie, un volume du Capital.»

    D'Alger à Paris, c'est la chasse aux sorcières. Vircondelet précise : «Prémonition des mots de Stockholm : entre l'Algérie et sa mère, il ne mettra pas non plus les manifestes «coraniques» des «libérateurs» du FL N…» Excommunié, ridiculisé condamné même par l'ami Sartre qui lui reprochait sa fibre méditerranéenne. Sartre, enfant gâté rebelle. Sartre malgré son refus du Nobel appartenait au clan, au réseau. Il pouvait, sans heurt, dérouler le tapis rouge à Staline et s'apitoyer sur les malheurs d'un Soljenitsyne ; il pouvait refuser d'être un résistant et jeter la première pierre sur le collaborateur. Dans son livre Les Philosophes sur le divan, Charles Pépin a fait parler Sartre en ces termes : «Je n'ai jamais été sincère, du plus loin que je remonte, je ne trouve rien qu'une personne, un masque ou un autre, je trouve tant de masques et cette évidence abyssale que ma personne n'est faite que d'une succession de personnages. Je sais aujourd'hui que toute ma philosophie ne fut qu'une tentative pour justifier mon trouble identitaire. .. Je n'ai de sincérité que dans la force inégalée de mon insincérité, je ne suis rien, vraiment rien que cette suite de masques…»

    On comprend pourquoi Sartre ne pouvait que mépriser Camus tout en le jalousant intérieurement, car ce dernier dépourvu du moindre masque poussait la folie jusqu'à refuser toute insincérité qui pouvait le protéger du lynchage médiatique. C'est que les défenseurs des masses sont vulnérables quand ils ne sont pas des chefs d'où leur solitude. Les psychologues connaissent le phénomène : il faut être fort pour se faire entendre du faible. La logique de ce dernier se défend bien : si tu n'es même pas capable de te protéger comment peux-tu me protéger ? On le voit en politique dans le monde arabo-musulman : même avec un vote libre et transparent, on ne se débarrasse du bâton du dictateur que pour se jeter dans les griffes d'un mollah. Aux extrémités tous les ressorts se brisent.

  • #2
    suite

    Camus, le non-croyant, s'interrogeait en vain avec les mots de Saint-Augustin, un autre fils de l'Ogresse : «Je cherchais d'où vient le mal et je n'en sortais pas.»Entre deux mondes, forcé de choisir, alors que dès le berceau deux accoucheuses, l'une Arabe l'autre Française l'attendait. Dehors, la même diversité : le père et le cocher qui lança : « Allah soit loué !» à l'annonce «c'est un garçon !» Camus était condamné à la double appartenance, à l'exclusion totale, à la suspicion sartrienne : «Dieu vous préoccupe dans le fond plus que tout.» Dieu et ses pauvres créatures. «Les reproches… parce que mes livres ne mettent pas en relief l'aspect politique. Traduction : ils veulent que je mette en scène des partis. Mais moi je ne mets en scène que des individus, opposés à la machine d'Etat…». Et les individus qui l'approchaient de près ne pouvaient que l'aimer. Même dans ses amours, l'épouse trahie se muait en sœur, la maitresse délaissée, en amie. Mais aucune femme ne pouvait rivaliser avec Alger. «J'ai grandi dans la mer et la pauvreté m'a été fastueuse, puis j'ai perdu la mer, tous les luxes alors m'ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j'attends. J'attends les navires de retour, la maison des eaux, le jour limpide…»

    Le temps lui a donné raison, Alger libérée au lieu de le fêter en Mandela, perpétue son bannissement au-delà de la mort, l'Ogresse est habituée à dévorer avant de vomir le meilleur de ses entrailles. Elle fête aujourd'hui, en l'absence de colons, l'amnistie totale des poseurs de bombes comme elle a fêté hier leur héroïsme. Camus en prophète l'avait prédit, la violence est une absurdité et le terrorisme, une fin en soi : l'humain désintégré, le socle social pulvérisé. Poser une bombe dans un café ou sous un camion militaire c'est différent, assassiner un politicien avec ses gardes ou un pauvre bougre avec toute sa famille c'est différent. On n'en sort jamais indemne devait penser Camus, une mère ou pas... «J'ai voulu vivre pendant des années selon la morale de tous. Je me suis forcé à vivre comme tout le monde. J'ai dit ce qu'il fallait pour réunir, même quand je me sentais séparé. Et au bout de tout cela, ce fut la catastrophe. Maintenant j'erre parmi des débris, je suis sans loi, écartelé, seul et acceptant de l'être … dans une sorte de mensonge.» Sa femme a parlé de son état dépressif, de ses envies suicidaires. Si le platane l'avait épargné, il se serait sans doute suicidé. Finir comme Nietzsche qu'il admirait et tant d'autres génies incompris. Le suicide, affirmait-il «seul problème philosophe vraiment sérieux».

    C'est un fait, on aime ou on n'aime pas Camus, il ne laisse pas indifférent. Un bulldozer qui parle au nombre, à ceux qui subissent la fatalité, aux laissés-pour-compte, aux cibles faciles, aux étrangers sur le sol natal. En 1999, la FNAC et Le Monde ont demandé à 6000 Français de désigner, dans une liste de 200 titres, les 50 livres du siècle. L'Etranger a été classé 1er avant Proust et sa Recherche du Temps Perdu, le Procès de Kafka, Le Petit Prince de Saint-Exupéry (phénomène qui se vend pourtant par millions chaque année), La Condition humaine de Malraux, Voyage au bout de la nuit (Céline), Les Raisins de la colère(Steinbeck), Pour qui sonne le glas(Hemingway)le Deuxième Sexe( Beauvoir), L'être et le Néant (Sartre), l'Archipel du Goulag (Soljenitsyne) etc. (3) L'Etranger, un petit livre de rien du tout qui arrive à fasciner même les Japonais, la race dite à part. Un livre de paresseux de cancre, 123 pages gros caractères .Premier roman d'un étudiant à lire en une demi-heure maximum. Phrases simples, courtes à la portée d'un enfant studieux au primaire. Une atmosphère de nonchalance de boursoufflure avec un héros creux ; un aliéné, une légume énervante. Ce qui n'empêche pas le châtiment tranchant de la guillotine pour le meurtre d'un Arabe tout aussi flou, déroutant. Sans oublier cette indifférence qui ne pardonne pas dès les premiers mots et qui nous entraîne dans son tourbillon malgré nous : «Aujourd'hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais plus…»

    Référence : Albert Camus, Fils d'Alger (Alain Vircondelet)

    (1) L'Homme en procès ( Pierre-Henri Simon)

    (2) L'Ordre et le Désordre ( Noureddine Toualbi-Thaâlibi)

    (3) Dernier Inventaire avant Liquidation (Fréderic Beigbeder)

    le qutidien d'oran

    Commentaire


    • #3
      Y a beaucoup à dire sur cet article trop binaire, trop mielleux. L'auteur ne connait Camus qu'en superficie.

      On aime Alger avec les yeux de Camus, c'est ses dieux qui veillent sur les splendides ruines de Tipaza et Feraoun n'est pas le seul à se dire « Le Fils du Pauvre. » Dans «Misère de la Kabylie», il écrit : «À cette heure qui n'était plus le jour et pas encore la nuit, je ne sentais pas ma différence avec ces êtres…Il y a des jours où le monde ment.» Il était de tous les combats dénonçant la guerre civile en Espagne, l'enfer du Goulag…
      mais jamais dénonçant les responsables de l'enfer oû il vivait. Dénoncer le goulag des Russes à des milliers de kms et rester indifférent à celui, devant soi, qu'on imposait à tout un peuple.
      Mettre Feraoun et Camus dans la même phrase s'agissant de combat, c'est bien culotté.L'auteur aurait dû lire la correspondance entre ces deux hommes.

      Commentaire

      Chargement...
      X