Pour Hocine Malti, en attendant une alternative à la fracturation hydraulique, l'exploitation des gaz de schiste est un danger pour les ressources hydriques.
Dans cet entretien publié par le Huffington Post Algérie, cet ancien haut responsable de Sonatrach met en garde contre les dangers écologiques mais aussi économiques de la décision du gouvernement algérien d’exploiter le gaz de schiste. Pour lui, après avoir surexploité les ressources en hydrocarbures conventionnels afin d’alimenter les grosses réserves américaines, « le régime de Bouteflika nous propose de porter atteinte à la denrée la plus précieuse que recèle le sous-sol algérien, l’eau ».
vous opposez-vous à l’option du gaz de schiste alors que le pays connait, selon les experts, un déclin pétro-gazier ?
Nous parlerons un peu plus loin du déclin de la production de pétrole et de gaz. Quant aux raisons pour lesquelles je m’oppose à l’exploitation du gaz de schiste, elles sont nombreuses et connues de tous.
Premièrement la pollution qu’elle cause. La technique aujourd’hui utilisée pour extraire le gaz est la fracturation hydraulique. Il s’agit d’injecter à très haute pression dans le puits un mélange d’eau, de sable et des produits chimiques afin de créer une perméabilité artificielle de la roche en la fracturant, car le schiste est très compact et imperméable. Les fissures ainsi créées constitueront autant de voies de communication possibles entre la couche porteuse et d’autres situées au-dessus ou au-dessous, à travers lesquelles vont circuler le mélange eau-produits chimiques, mais aussi un peu de gaz. Et c’est là que se trouve le grand danger de cette technique, car les deux peuvent atteindre lors de leur migration les immenses réserves d’eau de la couche albienne notamment. Or les produits chimiques utilisés sont pour certains radioactifs et pour d’autres cancérigènes ; le schiste lui-même recèle des gaz radioactifs qui seront également libérés. Tous ces produits vont se retrouver aussi en surface et dans l’air.
Certains parlent d’exagération et citent les Etats-Unis comme exemple...
On a vu aux Etats-Unis des robinets d’eau flamber ce qui prouve bien que même les couches d’eau potable, proches de la surface du sol, ont été contaminées. Aux Etats-Unis toujours, où la règlementation est pourtant très stricte, plusieurs compagnies pétrolières ont été condamnées à de très fortes amendes car les décharges de produits chimiques qu’elles avaient créées et la pollution des eaux de rivières qu’elles avaient provoquée, ont causé d’énormes dégâts à la faune et à la flore environnantes.
Dans le cas de l’Algérie, si l’eau de l’albien venait à être polluée, ce sont des milliers de milliards de mètres cubes d’une eau de pluie accumulée depuis des siècles qui serait définitivement perdus. L’Etat algérien aura ainsi porté atteinte à la source de vie des générations futures ; si les citoyens que nous sommes laissaient faire, nous serions complices d’un tel crime. On assiste quasi journellement à travers le monde à des manifestations contre l’exploitation du gaz de schiste.
Parmi les rares pays qui l’ont autorisée, on trouve la Pologne où les fermiers se sont opposés violemment aux opérations de Marathon, Exxon et Talisman Energy. Déçues par les résultats enregistrés, par les réserves du pays qui sont passées en quelques années de 5 300 milliards de mètres cubes à 800 et par l’accueil de la population, ces multinationales ont fini par quitter le pays.
En Argentine, ce sont les Indiens du sud du pays, les Mapuche, qui se sont insurgés contre les opérations menées par Chevron. La plus haute autorité morale du christianisme, le pape François a fait part de son opposition à la fracturation hydraulique dans son pays d’origine l’Argentine, en recevant un groupe d’activistes argentins et en posant avec eux pour une photo avec un tee-shirt indiquant "No al fracking" (Non à la fracturation hydraulique).
En France, le gouvernement a proclamé un moratoire interdisant l’exploitation du gaz de schiste jusqu’à ce que soit mise au point une technologie moins polluante, moins nocive pour l’homme, pour les animaux et pour la végétation. Le gouvernement algérien lui-même reconnait la dangerosité de cette exploitation : le communiqué publié à l’issue du conseil des ministres du 21 mai dernier spécifie qu’il y a lieu "de veiller à ce que la prospection, et plus tard l’exploitation des hydrocarbures schisteux soient menées en permanence avec le souci de préserver les ressources hydriques et de protéger l’environnement".
Est-ce uniquement pour des questions environnementales que vous êtes contre?
La deuxième raison pour laquelle je suis opposé à l’option gaz de schiste est que les Algériens ne maitrisent pas la technique d’extraction ; ils sont condamnés à faire appel aux compagnies étrangères qui nous factureraient certainement très cher leur savoir-faire. Or cette activité est très peu rentable.
On ne peut, en effet, mettre en production par fracturation hydraulique qu’une zone limitée à cent ou deux cents mètres maximum autour du puits, car la nature imperméable de la roche empêche le gaz de circuler, contrairement à ce qui se passe dans les gisements de gaz naturel. On ne peut donc extraire qu’une faible partie des réserves en place.
Pour ces mêmes raisons, le profil de production d’un puits de gaz de schiste est totalement différent de celui produisant du gaz naturel ; ce dernier va continuer à produire durant plusieurs décennies, tandis que l’autre va s’essouffler au bout de 4 à 5 ans. Pour maintenir le niveau de production, il faudra forer encore et encore et par conséquent engager des sommes énormes d’argent, que l’Algérie aurait tout intérêt à utiliser pour d’autres activités économiques. Ce qui explique pourquoi l’exploitation du gaz de schiste ne serait pas rentable en Algérie aujourd’hui.
Ce n’est pas rentable aussi aux Etats-Unis?
Même aux Etats-Unis où les coûts sont moindres que chez nous, l’exploitation n’a été rendue possible que grâce à la politique laxiste en matière de crédit adoptée par la Réserve Fédérale depuis 2007. Malgré cela de nombreuses compagnies ont de grosses difficultés à rembourser les prêts qu’elles ont contractés pour se lancer dans l’aventure du gaz de schiste, tandis que d’autres ont tout simplement mis fin à leurs opérations. L’activité elle-même a nettement baissé : les investissements pour le pétrole et le gaz non conventionnel sont passés, selon l’agence Bloomberg, pour toute l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada) de 54 milliards de dollars au premier semestre 2012 à 26 milliards pour la même période de 2013.
C’est d’ailleurs parce qu’elles espèrent réaliser des opérations plus juteuses que chez elles que les compagnies américaines voudraient venir travailler en Algérie.
Elles ont effectivement de grandes chances de tirer leurs épingles du jeu en raison du coût élevé des prestations qu’elles factureront à Sonatrach, d’une part, mais aussi parce que la nouvelle loi sur les hydrocarbures leur permet de ne payer des impôts à l’Etat algérien qu’en fonction de la rentabilité des opérations qu’elles entreprennent. Il leur sera facile de démontrer que celle-ci est nulle ou très proche de zéro. Pour Total, la situation est identique avec en plus le fait que le groupe ne peut, pour le moment pas travailler en France.
Dans cet entretien publié par le Huffington Post Algérie, cet ancien haut responsable de Sonatrach met en garde contre les dangers écologiques mais aussi économiques de la décision du gouvernement algérien d’exploiter le gaz de schiste. Pour lui, après avoir surexploité les ressources en hydrocarbures conventionnels afin d’alimenter les grosses réserves américaines, « le régime de Bouteflika nous propose de porter atteinte à la denrée la plus précieuse que recèle le sous-sol algérien, l’eau ».
vous opposez-vous à l’option du gaz de schiste alors que le pays connait, selon les experts, un déclin pétro-gazier ?
Nous parlerons un peu plus loin du déclin de la production de pétrole et de gaz. Quant aux raisons pour lesquelles je m’oppose à l’exploitation du gaz de schiste, elles sont nombreuses et connues de tous.
Premièrement la pollution qu’elle cause. La technique aujourd’hui utilisée pour extraire le gaz est la fracturation hydraulique. Il s’agit d’injecter à très haute pression dans le puits un mélange d’eau, de sable et des produits chimiques afin de créer une perméabilité artificielle de la roche en la fracturant, car le schiste est très compact et imperméable. Les fissures ainsi créées constitueront autant de voies de communication possibles entre la couche porteuse et d’autres situées au-dessus ou au-dessous, à travers lesquelles vont circuler le mélange eau-produits chimiques, mais aussi un peu de gaz. Et c’est là que se trouve le grand danger de cette technique, car les deux peuvent atteindre lors de leur migration les immenses réserves d’eau de la couche albienne notamment. Or les produits chimiques utilisés sont pour certains radioactifs et pour d’autres cancérigènes ; le schiste lui-même recèle des gaz radioactifs qui seront également libérés. Tous ces produits vont se retrouver aussi en surface et dans l’air.
Certains parlent d’exagération et citent les Etats-Unis comme exemple...
On a vu aux Etats-Unis des robinets d’eau flamber ce qui prouve bien que même les couches d’eau potable, proches de la surface du sol, ont été contaminées. Aux Etats-Unis toujours, où la règlementation est pourtant très stricte, plusieurs compagnies pétrolières ont été condamnées à de très fortes amendes car les décharges de produits chimiques qu’elles avaient créées et la pollution des eaux de rivières qu’elles avaient provoquée, ont causé d’énormes dégâts à la faune et à la flore environnantes.
Dans le cas de l’Algérie, si l’eau de l’albien venait à être polluée, ce sont des milliers de milliards de mètres cubes d’une eau de pluie accumulée depuis des siècles qui serait définitivement perdus. L’Etat algérien aura ainsi porté atteinte à la source de vie des générations futures ; si les citoyens que nous sommes laissaient faire, nous serions complices d’un tel crime. On assiste quasi journellement à travers le monde à des manifestations contre l’exploitation du gaz de schiste.
Parmi les rares pays qui l’ont autorisée, on trouve la Pologne où les fermiers se sont opposés violemment aux opérations de Marathon, Exxon et Talisman Energy. Déçues par les résultats enregistrés, par les réserves du pays qui sont passées en quelques années de 5 300 milliards de mètres cubes à 800 et par l’accueil de la population, ces multinationales ont fini par quitter le pays.
En Argentine, ce sont les Indiens du sud du pays, les Mapuche, qui se sont insurgés contre les opérations menées par Chevron. La plus haute autorité morale du christianisme, le pape François a fait part de son opposition à la fracturation hydraulique dans son pays d’origine l’Argentine, en recevant un groupe d’activistes argentins et en posant avec eux pour une photo avec un tee-shirt indiquant "No al fracking" (Non à la fracturation hydraulique).
En France, le gouvernement a proclamé un moratoire interdisant l’exploitation du gaz de schiste jusqu’à ce que soit mise au point une technologie moins polluante, moins nocive pour l’homme, pour les animaux et pour la végétation. Le gouvernement algérien lui-même reconnait la dangerosité de cette exploitation : le communiqué publié à l’issue du conseil des ministres du 21 mai dernier spécifie qu’il y a lieu "de veiller à ce que la prospection, et plus tard l’exploitation des hydrocarbures schisteux soient menées en permanence avec le souci de préserver les ressources hydriques et de protéger l’environnement".
Est-ce uniquement pour des questions environnementales que vous êtes contre?
La deuxième raison pour laquelle je suis opposé à l’option gaz de schiste est que les Algériens ne maitrisent pas la technique d’extraction ; ils sont condamnés à faire appel aux compagnies étrangères qui nous factureraient certainement très cher leur savoir-faire. Or cette activité est très peu rentable.
On ne peut, en effet, mettre en production par fracturation hydraulique qu’une zone limitée à cent ou deux cents mètres maximum autour du puits, car la nature imperméable de la roche empêche le gaz de circuler, contrairement à ce qui se passe dans les gisements de gaz naturel. On ne peut donc extraire qu’une faible partie des réserves en place.
Pour ces mêmes raisons, le profil de production d’un puits de gaz de schiste est totalement différent de celui produisant du gaz naturel ; ce dernier va continuer à produire durant plusieurs décennies, tandis que l’autre va s’essouffler au bout de 4 à 5 ans. Pour maintenir le niveau de production, il faudra forer encore et encore et par conséquent engager des sommes énormes d’argent, que l’Algérie aurait tout intérêt à utiliser pour d’autres activités économiques. Ce qui explique pourquoi l’exploitation du gaz de schiste ne serait pas rentable en Algérie aujourd’hui.
Ce n’est pas rentable aussi aux Etats-Unis?
Même aux Etats-Unis où les coûts sont moindres que chez nous, l’exploitation n’a été rendue possible que grâce à la politique laxiste en matière de crédit adoptée par la Réserve Fédérale depuis 2007. Malgré cela de nombreuses compagnies ont de grosses difficultés à rembourser les prêts qu’elles ont contractés pour se lancer dans l’aventure du gaz de schiste, tandis que d’autres ont tout simplement mis fin à leurs opérations. L’activité elle-même a nettement baissé : les investissements pour le pétrole et le gaz non conventionnel sont passés, selon l’agence Bloomberg, pour toute l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada) de 54 milliards de dollars au premier semestre 2012 à 26 milliards pour la même période de 2013.
C’est d’ailleurs parce qu’elles espèrent réaliser des opérations plus juteuses que chez elles que les compagnies américaines voudraient venir travailler en Algérie.
Elles ont effectivement de grandes chances de tirer leurs épingles du jeu en raison du coût élevé des prestations qu’elles factureront à Sonatrach, d’une part, mais aussi parce que la nouvelle loi sur les hydrocarbures leur permet de ne payer des impôts à l’Etat algérien qu’en fonction de la rentabilité des opérations qu’elles entreprennent. Il leur sera facile de démontrer que celle-ci est nulle ou très proche de zéro. Pour Total, la situation est identique avec en plus le fait que le groupe ne peut, pour le moment pas travailler en France.
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