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Par-delà la célébration, l'homme et l'œuvre

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  • Par-delà la célébration, l'homme et l'œuvre

    "La porte de la prison est bien close. Sur elle mon estampille se pose; Bien collée et sigillée, Me désignant à perpétuité ". (Matoub-1986)

    La commémoration de l'assassinat de Matoub Lounès, un vendredi 25 juin 1998, a été, tous les ans, portée avec deuil, émotion et recueillement par l'ensemble de la jeunesse kabyle.

    Ce sont des sentiments et des réactions qui n'ont aucune tendance à diminuer, sous prétexte que le temps aurait fait son œuvre. C'est que la vie et l'œuvre de Matoub parlent pour lui et résonnent dans tous les coins de la Kabylie et chez des jeunes qui ne l'on pas connu de son vivant.

    Il y en a qui avaient quatre ans le jour de sa disparition. Aujourd'hui, ils sont habités, comme leurs aînés, de la "matoub'mania". Toute la discographie du chanteur est copiée sur des cartes-mémoires et des clefs-Usb, permettant aux jeunes d'aujourd'hui d'écouter leur idole sur téléphone portable, tablettes, PC, ou dans la voiture. Par sa fougue poétique, son innovation musicale et les thématiques sensibles qu'il a abordées dans ses textes, Matoub a marqué pour de bon un public qui continue à s'accroître et à s'allonger dans le temps, seize ans après la mort du barde.

    Toutes les commémorations de Matoub, y compris la célébration de sa naissance, le 24 janvier 1954, ont toujours eu un accompagnement des plus denses et des plus réguliers de la part de notre journal. Mieux, des pages spéciales, relatives à l'étude de certaines de ses thématiques et à la traduction de certaines de ses chansons, ont été réservées par notre journal, espérant contribuer ainsi à vulgariser l'œuvre de Matoub auprès des lecteurs.

    Des échos favorables ont été enregistrés, venant souvent de la diaspora kabyle de France, de Canada et d'autres pays. Cependant, peut-on prétendre avoir épuisé le sujet à force de commémorations et de célébrations ? Rien n’est moins vrai. Après avoir entamé un travail de deuil qui peine à prendre fin, après avoir dit combien Lounès manque à la jeunesse kabyle, à l’ambiance et aux horizons qu’elle veut imprimer à sa marche, et après avoir déploré la disparition du verbe fougueux et rebelle qui fut le sien, nous nous rendons compte que le vrai travail sur Matoub Lounès- le poète, l’artiste, le musicien- n’est pas encore réalisé, ou bien qu'il l’est très peu. C’est en tout cas le sentiment de beaucoup de ses fans, les vrais, qui ne se contentent pas des hosannas d’anniversaires et des pures images symboliques. Parce que, en vérité, si l’esprit de "rébellion" dont on affuble Matoub n’est pas une illusion d’optique, il se trouve que la substantifique moelle de cet esprit gît d’abord dans le verbe du chanteur, un verbe juste et enflammé à la fois, pertinent et porteur, émouvant et engageant.

    En tout cas, il ne peut en être autrement lorsque tous les ingrédients se trouvent réunis pour révolutionner le texte poétique kabyle. Le contexte est, en fait, celui de la fin des années soixante-dix du siècle dernier, avec tout ce que cela suppose comme situation politique d’autarcie, de tyrannie et d’arbitraire. Il est aussi celui d’un jeune kabyle, Lounès, dont tout le monde s’accorde sur son parcours d’enfant rebelle, y compris dans ses relations les plus familières et les plus domestiques. La situation de dictature que vivait le peuple algérien d’une façon générale et la répression dont a souffert la région de Kabylie en particulier allaient réaliser une mixture explosive avec le caractère taillé dans le roc de Matoub Lounès.


    Depuis les maquis du FFS en 1963 et la répression qui frappera la Kabylie pendant plus de trois ans- le chanteur dira qu'il en gardé une image horrible, que l'on rencontre d'ailleurs dans plusieurs de ses textes-, jusqu'au terrorisme islamistes qui a fauché la vie à Djaout, Boudiaf Boucebsi, Yefsah (ce sont des noms que Lounès a intégrés dans l'une de ses chansons), le parcours de la chanson de Matoub sera quasiment celui de l'itinéraire de son pays, un itinéraire de postindépendance fait d'arbitraire, de déni identitaire, de faux serments, de dévoiement des valeurs de la révolution. Matoub a traité tous ces thèmes, tout en faisant de belles haltes sur ce qui fait la joie de vivre, l'amitié, l'amour et d'autres sujets tirés de la vie de sa société.

    Matoub Lounès a accompagné la jeunesse de son pays dans toutes ses revendications, ses aspirations, sa colère, son bonheur. Les jeunes ne se sont pas trompés d'avoir fait de Lounès une idole particulière, celle qui galvanise les foules, renforce la détermination des jeunes, porte haut leur combat, se jette dans l'arène, y compris physiquement.

    Après trois ou quatre livres publiés sur le chanteur, l'on ressent légitimement une frustration quant au déficit de fonds documentaire inhérent à l'œuvre même de Matoub: études de textes, critique littéraire, études thématiques, traductions les moins infidèles possible des textes originaux. Ce sont là des points de réflexion qui, avec d'autres éléments ou objets susceptibles de pouvoir constituer un mini-musée de Matoub, devraient logiquement être pris en charge par la Fondation qui porte le nom du poète. Parallèlement aux célébrations qui se font un partout en Kabylie, la connaissance de l'œuvre et de la vie de Matoub mérite qu'elle soit accessible aux jeunes d'aujourd'hui.



    Par Amar Naït Messaoud- La Dépêche de Kabylie
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