Monsieur Philippe Richardot nous permis d'extraire d'une savante étude qu'il a consacrée l'implantation militaire romaine en Afrique, ces quelques pages qui évoquent la politique des frontières et le limes. Nous l'en remercions vivement.
Rappelons que Monsieur Richardot travaille actuellement sur la fin de l'armée romaine (cf son exposé du 16 novembre 1996 devant la CFHM).
" A toi, Romain, qu’il te souvienne d'imposer aux peuples ton empire. Tes actes sont d'édicter les lois de la paix entre les nations, d'épargner les vaincus, de dompter les orgueilleux. "
VIRGILE, Éntide, v. 851-853.
Près d'un siècle avant la totale soumission des Gaules par César, les Romains prennent pied en Afrique, à la suite de la prise de Carthage en 146 avant Jésus-Christ, colonie phénicienne installée au nord de la Tunisie actuelle et rivale de Rome en Méditerranée occidentale.Cette victoire clôt un cycle de trois guerres impitoyables commencé en 264 avant Jésus-Christ, terminé avec la destruction de Carthage dont les ruines sont symboliquement labourées avec du sel par le général Scipion Éinilien, avant d'être relevées par une nouvelle colonie romaine en dépit des malédictions proférées. C'est le début d'une implantation par à-coups vers le sud, l'est et l'ouest qui finit par englober tout le Maghreb actuel jusqu'à la Cyrénafque aux confins de l'Égypte. Il semble que c'est en Afrique qu'apparaît la plus ancienne délimitation linéaire d'une frontière romaine à travers les fossa reggia, terrassements entrepris par Scipion Éinilien après la chute de Carthage.Cette limite très provisoire marquait à l'origine la frontière commune entre la province d'Afrique et le royaume de Numidie. Néanmoins, la notion de frontière dans l'Afrique du Nord romaine est complexe, car extrêmement mobile. La conquête progressive de l'Afrique achève de faire de la Méditerranée, la " Mer du Milieu " ou Mare, Nostrum (" Notre Mer ") des Romains. Désormais, comme l'écrira l'historien grec Procope au VI, siècle, il était possible de faire le tour de la Méditerranée en 347 jours sans quitter le règne romain.
Géopolitique d'une frontière mouvante.
Les Puniques n'ont jamais contrôlé que Carthage et le tiers nord-est de l'actuelle Tunisie, arrière-pays agricole ainsi qu'une chaîne de comptoirs allant de Tingi (l'actuelle Tanger) à la Tripolitaine ou " région des trois villes ", c'est-à-dire Oea (Tripoli), Sabratha et Leptis Magna (Lebda). Les tribus maures réfugiées dans les montagnes de l'intérieur sont toujours restées insoumises aux Puniques. Selon Appien, il aurait existé des " fosses phéniciennes " délimitant l'étendue du territoire de Carthage. Rome hérite donc de cette situation mais bénéficie de l'alliance des Numides, farouches ennemis des Carthaginois. Scipion Émilien, vainqueur de Carthage, après accord avec le roi des Numides Masinissa, trace les fossa reggia ou "fosses royales ", fossé et levée de terre qui bornent l'influence romaine à l'ouest... Le Maghreb romain était divisé en trois régions : l'Afrique, la Numidie et la Maurétanie. Africa vient du nom du peuple des Afri qui vivaient dans l'actuelle Tunisie. Depuis 146 avant Jésus-Christ, elle forme la province romaine tributaire d'Afrique dont le gouverneur réside en Utique, au nord de Carthage. La Numidie correspond à l'Est algérien et la Maurétanie s'étend de la Moulouya jusqu'à l'océan Atlantique. La Numidie est un puissant royaume dont le roi Masinissa, puis son fils Micipsa, sont des alliés des Romains jusqu'en 118 avant Jésus-Christ. La Maurétanie constitue également un royaume important qui correspond en partie au Maroc d'aujourd'hui. Les Gétules sont une tribu dont la vassalité se partage entre la Numidie et la Maurétanie. Ce que les Romains appellent " royaumes " sont des confédérations de tribus sous la houlette d'une dynastie charismatique plutôt que des constructions politiques centralisées. Ces royaumes ne survivent pas à la proximité romaine et disparaissent sous le Haut-Empire, mais les tribus demeurent...
Ces tribus, politiquement désunies et fragiles, représentaient plus un terrain d'expansion à l'autorité romaine qu'une menace permanente. Entre, 146 avant Jésus-Christ et le IIIe, siècle de notre ère, l'Empire romain est en phase d'expansion territoriale. Pas de conquête éclair mais une politique de protectorat finalement suivie par une colonisation patiente liée à la mise en valeur de terres agricoles aujourd'hui rendues au désert. Entre 146 avant Jésus-Christ et le début du Ier siècle de notre ère, Rome ne se soucie pas d'étendre territorialement la province d'Afrique mais d'y maintenir la paix par une politique de protectorat. Cette politique est compromise en 118 avant Jésus-Christ par la crise dynastique qui suit la mort du roi des Numides Micipsa. C'est l'épisode le mieux connu de la guerre de Jugurtha qui débouche à Rome sur une crise politique, portant Marius et le parti populaire au pouvoir, mais ne conduit a aucune annexion territoriale en Afrique. Néanmoins, cette guerre longue et difficile a permis à Rome d'étendre sont protectorat jusqu'à la Maurétanie du roi Bocchus, qui auparavant était " ignorant du peuple romain ", selon l'expression de l'historien Salluste. Rome préfère à cette époque maintenir la libre circulation de ses négociants sans avoir à payer le prix d'une occupation militaire de tout l'actuel Maghreb. L'influence romaine pénètre par le commerce et les villes et repose sur une cohabitation pacifique avec les peuples du Maghreb.
Les événements, plus qu'une politique concertée, poussent à l'accroissement territorial. En 96 avant Jésus-Christ, le roi hellénistique Ptolémée Appion transmet en héritage la Cyrénaïque à Rome. Après la défaite d'Actium sur Marc Antoine et Cléopâtre, le royaume d'Égypte est annexé par Auguste en 30 avant notre ère. La continuité territoriale entre l'Afrique et l'Égypte est assurée par la Tripolitaine, une mince bande côtière faiblement urbanisée le long d'un axe routier construit par étapes. La première étape décisive est la construction par la IIIe légion Auguste en 14 après Jésus-Christ d'une rocade située au nord du Chott el Djerid entre le camp d'Ammaedara (l'actuelle Haïdra) et Tacapae (Gabès) sur le golfe du Syrte. Par la suite Tacapae sera reliée aux villes côtières de Tripolitaine...
La frontière romaine avance également vers l'ouest à la faveur de la guerre civile qui oppose César à Pompée. Les royaumes-protectorats de Numidie et de Maurétanie sont contraints à prendre parti pour l'une ou l'autre faction. En 46 avant Jésus-Christ, à la bataille de Thapsus, César et son allié le roi de Maurétanie Bocchus Il remportent la victoire sur les Pompéiens et Juba Ier roi de Numidie. La Numidie fait les frais de son mauvais choix politique, mais il s'agit plus d'une sanction, d'un avertissement que d'un impérialisme prémédité. La Numidie se voit enlever un territoire situé autour des villes d'Hippo Regis ou Hippone (près d'Annaba) et de Calama (l'actuelle Guelma), et dont la capitale est Cirta (Constantine). Ce territoire devient une province sous le nom d'Africa nova, "nouvelle Afrique " par opposition à l'Africa vetus, " vieille Afrique ", la première à avoir été conquise. Auguste réunit par la suite les deux Afriques en une seule province gouvernée par un proconsul de classe sénatoriale qui est la plus haute autorité civile, militaire et religieuse. Pour cette raison la province d'Afrique est parfois appelée proconsulaire.
Rappelons que Monsieur Richardot travaille actuellement sur la fin de l'armée romaine (cf son exposé du 16 novembre 1996 devant la CFHM).
" A toi, Romain, qu’il te souvienne d'imposer aux peuples ton empire. Tes actes sont d'édicter les lois de la paix entre les nations, d'épargner les vaincus, de dompter les orgueilleux. "
VIRGILE, Éntide, v. 851-853.
Près d'un siècle avant la totale soumission des Gaules par César, les Romains prennent pied en Afrique, à la suite de la prise de Carthage en 146 avant Jésus-Christ, colonie phénicienne installée au nord de la Tunisie actuelle et rivale de Rome en Méditerranée occidentale.Cette victoire clôt un cycle de trois guerres impitoyables commencé en 264 avant Jésus-Christ, terminé avec la destruction de Carthage dont les ruines sont symboliquement labourées avec du sel par le général Scipion Éinilien, avant d'être relevées par une nouvelle colonie romaine en dépit des malédictions proférées. C'est le début d'une implantation par à-coups vers le sud, l'est et l'ouest qui finit par englober tout le Maghreb actuel jusqu'à la Cyrénafque aux confins de l'Égypte. Il semble que c'est en Afrique qu'apparaît la plus ancienne délimitation linéaire d'une frontière romaine à travers les fossa reggia, terrassements entrepris par Scipion Éinilien après la chute de Carthage.Cette limite très provisoire marquait à l'origine la frontière commune entre la province d'Afrique et le royaume de Numidie. Néanmoins, la notion de frontière dans l'Afrique du Nord romaine est complexe, car extrêmement mobile. La conquête progressive de l'Afrique achève de faire de la Méditerranée, la " Mer du Milieu " ou Mare, Nostrum (" Notre Mer ") des Romains. Désormais, comme l'écrira l'historien grec Procope au VI, siècle, il était possible de faire le tour de la Méditerranée en 347 jours sans quitter le règne romain.
Géopolitique d'une frontière mouvante.
Les Puniques n'ont jamais contrôlé que Carthage et le tiers nord-est de l'actuelle Tunisie, arrière-pays agricole ainsi qu'une chaîne de comptoirs allant de Tingi (l'actuelle Tanger) à la Tripolitaine ou " région des trois villes ", c'est-à-dire Oea (Tripoli), Sabratha et Leptis Magna (Lebda). Les tribus maures réfugiées dans les montagnes de l'intérieur sont toujours restées insoumises aux Puniques. Selon Appien, il aurait existé des " fosses phéniciennes " délimitant l'étendue du territoire de Carthage. Rome hérite donc de cette situation mais bénéficie de l'alliance des Numides, farouches ennemis des Carthaginois. Scipion Émilien, vainqueur de Carthage, après accord avec le roi des Numides Masinissa, trace les fossa reggia ou "fosses royales ", fossé et levée de terre qui bornent l'influence romaine à l'ouest... Le Maghreb romain était divisé en trois régions : l'Afrique, la Numidie et la Maurétanie. Africa vient du nom du peuple des Afri qui vivaient dans l'actuelle Tunisie. Depuis 146 avant Jésus-Christ, elle forme la province romaine tributaire d'Afrique dont le gouverneur réside en Utique, au nord de Carthage. La Numidie correspond à l'Est algérien et la Maurétanie s'étend de la Moulouya jusqu'à l'océan Atlantique. La Numidie est un puissant royaume dont le roi Masinissa, puis son fils Micipsa, sont des alliés des Romains jusqu'en 118 avant Jésus-Christ. La Maurétanie constitue également un royaume important qui correspond en partie au Maroc d'aujourd'hui. Les Gétules sont une tribu dont la vassalité se partage entre la Numidie et la Maurétanie. Ce que les Romains appellent " royaumes " sont des confédérations de tribus sous la houlette d'une dynastie charismatique plutôt que des constructions politiques centralisées. Ces royaumes ne survivent pas à la proximité romaine et disparaissent sous le Haut-Empire, mais les tribus demeurent...
Ces tribus, politiquement désunies et fragiles, représentaient plus un terrain d'expansion à l'autorité romaine qu'une menace permanente. Entre, 146 avant Jésus-Christ et le IIIe, siècle de notre ère, l'Empire romain est en phase d'expansion territoriale. Pas de conquête éclair mais une politique de protectorat finalement suivie par une colonisation patiente liée à la mise en valeur de terres agricoles aujourd'hui rendues au désert. Entre 146 avant Jésus-Christ et le début du Ier siècle de notre ère, Rome ne se soucie pas d'étendre territorialement la province d'Afrique mais d'y maintenir la paix par une politique de protectorat. Cette politique est compromise en 118 avant Jésus-Christ par la crise dynastique qui suit la mort du roi des Numides Micipsa. C'est l'épisode le mieux connu de la guerre de Jugurtha qui débouche à Rome sur une crise politique, portant Marius et le parti populaire au pouvoir, mais ne conduit a aucune annexion territoriale en Afrique. Néanmoins, cette guerre longue et difficile a permis à Rome d'étendre sont protectorat jusqu'à la Maurétanie du roi Bocchus, qui auparavant était " ignorant du peuple romain ", selon l'expression de l'historien Salluste. Rome préfère à cette époque maintenir la libre circulation de ses négociants sans avoir à payer le prix d'une occupation militaire de tout l'actuel Maghreb. L'influence romaine pénètre par le commerce et les villes et repose sur une cohabitation pacifique avec les peuples du Maghreb.
Les événements, plus qu'une politique concertée, poussent à l'accroissement territorial. En 96 avant Jésus-Christ, le roi hellénistique Ptolémée Appion transmet en héritage la Cyrénaïque à Rome. Après la défaite d'Actium sur Marc Antoine et Cléopâtre, le royaume d'Égypte est annexé par Auguste en 30 avant notre ère. La continuité territoriale entre l'Afrique et l'Égypte est assurée par la Tripolitaine, une mince bande côtière faiblement urbanisée le long d'un axe routier construit par étapes. La première étape décisive est la construction par la IIIe légion Auguste en 14 après Jésus-Christ d'une rocade située au nord du Chott el Djerid entre le camp d'Ammaedara (l'actuelle Haïdra) et Tacapae (Gabès) sur le golfe du Syrte. Par la suite Tacapae sera reliée aux villes côtières de Tripolitaine...
La frontière romaine avance également vers l'ouest à la faveur de la guerre civile qui oppose César à Pompée. Les royaumes-protectorats de Numidie et de Maurétanie sont contraints à prendre parti pour l'une ou l'autre faction. En 46 avant Jésus-Christ, à la bataille de Thapsus, César et son allié le roi de Maurétanie Bocchus Il remportent la victoire sur les Pompéiens et Juba Ier roi de Numidie. La Numidie fait les frais de son mauvais choix politique, mais il s'agit plus d'une sanction, d'un avertissement que d'un impérialisme prémédité. La Numidie se voit enlever un territoire situé autour des villes d'Hippo Regis ou Hippone (près d'Annaba) et de Calama (l'actuelle Guelma), et dont la capitale est Cirta (Constantine). Ce territoire devient une province sous le nom d'Africa nova, "nouvelle Afrique " par opposition à l'Africa vetus, " vieille Afrique ", la première à avoir été conquise. Auguste réunit par la suite les deux Afriques en une seule province gouvernée par un proconsul de classe sénatoriale qui est la plus haute autorité civile, militaire et religieuse. Pour cette raison la province d'Afrique est parfois appelée proconsulaire.
Commentaire