Pour comprendre l’histoire des Algériens de Nouvelle-Calédonie, le lecteur devra tenir compte de l’histoire culturelle, politique et religieuse de l’Algérie, et en particulier de la grande vague de déportations de la fin du XIXe siècle. Concernant cette époque laissée dans l’oubli, il n’y avait rien de précis pour que le lecteur moderne puisse se faire une idée des faits historiques alors même que nous retrouvons un certain nombre de ritualisations sociales d’origine arabo-berbère reproduites dans la région de Bourail. Le voyageur de passage dans cette région ne verra probablement pas l’organisation coutumière qui fut instaurée dans ces vallées. Celle-ci n’étant pas visible directement, il a fallu démontrer, durant les années passées sur ce territoire, le sens de cette organisation, son contenu social à travers l’implantation du palmier dattier, ses rites, son lieu saint, les principes de solidarité qui fondent la base même d’une djemââ ancienne. La répression morale (assimilation ou conversion) et la répression physique (torture et barbarie) n’ont pas réussi à asseoir la méthode coloniale d’assimilation. La mission ancestrale des « Dar-el-Hadj » (terme péjoratif employé à l’époque coloniale pour désigner les chefs insurgés) va consister à réorganiser une composante solidaire et nombreuse de Calédoniens descendants d’Algériens sur la base d’un regroupement culturel et religieux autour du saint patron Sidi Moulay.
1- La peine infligée : phénomène colonial
2En 1870, Adolphe Isaac Crémieux, avocat d’origine israélite, inscrit au barreau de Nîmes, Garde des Sceaux dans le gouvernement du 4 septembre, prend la décision d’accorder aux Juifs d’Algérie la qualité de citoyens français. Cette politique tourne le dos délibérément au « Royaume Arabe » de Napoléon III. Quand on connaît les relations commerciales millénaires qu’entretenaient les communautés respectives, on comprend comment par l’acquisition de la citoyenneté française des uns (Juifs indigènes) au détriment des autres (Musulmans indigènes), la révolte des grandes tribus algériennes était inévitable. Un an avant, la guerre a été déclarée à la Prusse par Napoléon III et la Défense nationale semble n’être nullement décidée à la lutte contre les Prussiens. Devant l’atteinte au statut familial collectif, un pôle de spahis se constitue sur la base d’une solidarité subjective : ils refusent de reconnaître les nouveaux dirigeants du gouvernement de la Défense nationale. Au mois de décembre 1870, à Alger, le régiment de spahis refuse d’embarquer pour la France. En avril 1871, le Cheikh Mokrani prend la tête de la rébellion mais le 11 novembre 1871, le général Lacroix obtient sa reddition.
3L’Empire de Napoléon III fut remplacé par la République le 4 septembre 1870. Un gouvernement de la Défense nationale est constitué. De faux tribunaux d’exception dits « Conseils de guerre » sont installés dans les trois départements (Alger, Constantine, Oran), pour juger les délits commis pendant la période insurrectionnelle. L’instruction des insurgés donna lieu à diverses interprétations. Comme on ne pouvait pas agir de la même façon vis-à-vis des collectivités, on réunit le même acte d’accusation pour 213 individus parmi lesquels les « grands chefs ». Pour produire sur le jury une impression défavorable (aux accusés), il fallait que le parquet général présente les insurgés comme des malfaiteurs ordinaires, chefs d’assassins, incendiaires, pillards et voleurs. Un nouveau journal (le Mobacher) exploita une certaine vision totalement négative du nationalisme arabe naissant et de la religion musulmane. La propagande fut dirigée contre les insurgés qu’on qualifiait de bandits, d’assassins ou de rebelles.
4L’exemple de la condamnation de Boumezreg qui remplaça son frère El Mokrani (après la mort de ce dernier au combat) à la tête de l’insurrection de 1871, mérite d’être cité, car le procès de ce chef berbère avait provoqué beaucoup de remous. En effet, le faux jugement fit réagir les juristes français de la métropole ; certains montrèrent même leur ferme désaccord en révélant que sa condamnation avait été prise avant sa comparution devant la Cour d’assises. Il sera pourtant jugé coupable et condamné à la déportation avec les autres insurgés. Ceux-ci sont dirigés sur la France et internés dans les ports côtiers (fort de Toulon, îles Porquerolles, île Saint Marguerite, fort de Saint-Martin-de-Ré, fort de Brest, en Corse à Calvi et à Corte).
2- La déportation des Maghrébins en Nouvelle-Calédonie
1 Cf. "Etablissement généalogique des premières listes des mouvements de Maghrébins condamnés au bagn (...)
5Nombre de documents relatifs à la déportation en général ont été endommagés que ce soit en Métropole (durant la Seconde Guerre mondiale) ou en Nouvelle-Calédonie (inondations). Pour identifier les déportés politiques originaires du Maghreb, il nous a semblé nécessaire de faire un travail comparatif, à partir des différentes archives, entre les registres de la déportation et les registres des lieux de détention. Par ailleurs, les jugements des Conseils de guerre et des cours des assises étant parfois longs, les déportés durent attendre plusieurs mois avant leur embarquement dans les convois destinés à la Nouvelle-Calédonie. C’est la raison pour laquelle, ces prisonniers furent internés dans les dépôts ou lieux de détention avant leurs départs définitifs. Fort heureusement, c’est précisément dans les fonds d’archives des lieux d’internements que nous avons pu répertorier l’origine et la naissance de chacun des condamnés Maghrébins ainsi que leurs dates d’embarquements, convoi maritime par convoi maritime, vers la Nouvelle-Calédonie1.
2 Il s’agit de ne pas négliger ces autres condamnés, probablement à l’origine d’une longue résistance (...)
6Chronologiquement, les premiers convois de transportés maghrébins en Nouvelle-Calédonie s’effectuent à partir de 1867. Nous y avons comptabilisé un total de 178 condamnés sous le régime des droits communs. Ces premiers déportés font partie de l’insurrection des Ouled Sidi Cheikh de 1864. Nous identifions ensuite les déportés politiques à la suite de l’insurrection de Kabylie en 1871 et d’El Amri (Biskra) en 1876 : 120 embarqués dans les convois entre les périodes 1874 et 1878. Condamnés aux travaux forcés ou à la réclusion, on applique à ces insurgés politiques la loi du 23 Mars 1872 relative aux insurgés de la Commune de Paris de 1871. D’autres convois comprendront de nouveaux déportés politiques à la suite de l’insurrection du Sud oranais de 1881-1882 (Bouamama de nouveau, fractions Gharaba et Cherraga). Ils forment un total de 13 embarqués dans les convois qui suivront entre 1881 et 1882. Seront déportés ensuite 12 Tunisiens entre 1890 et 1892, à la suite de l’insurrection du Sud tunisien (Djerid/Taberka) en 1881, dont certains nés ou demeurant en Algérie pendant le développement insurrectionnel de 1871. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’il faut noter que le Sud algérien a joué un rôle croissant à partir du Djerid tunisien. Jugés sous le régime des droits communs par le Conseil de guerre de Tunis et la Cour d’assises de Tunis, les motifs principaux de leur condamnation seront le rejet du pouvoir français en Tunisie et l’insubordination. D’autres convois suivront la déportation des Tunisiens. Les archives nous signalent en effet un certain nombre de prisonniers algériens destinés au bagne calédonien. Ces derniers seront enregistrés sous leurs numéros d’écrou comme relégués. Ils feront partie des derniers convois effectués entre 1887 et 18952.
7L’organisation à bord des navires nous permet de nous intéresser à l’alimentation fournie aux condamnés. On observe par exemple que les Maghrébins n’ont pas pu s’adapter à une nourriture totalement européenne, celle-ci n’ayant pas encore introduit à l’époque les produits issus de l’arboriculture méditerranéenne. Ce comportement alimentaire faisait l’objet d’inquiétude de la part de l’administration pénitentiaire qui, du reste, s’efforçait de les satisfaire du mieux qu’elle pouvait.
1- La peine infligée : phénomène colonial
2En 1870, Adolphe Isaac Crémieux, avocat d’origine israélite, inscrit au barreau de Nîmes, Garde des Sceaux dans le gouvernement du 4 septembre, prend la décision d’accorder aux Juifs d’Algérie la qualité de citoyens français. Cette politique tourne le dos délibérément au « Royaume Arabe » de Napoléon III. Quand on connaît les relations commerciales millénaires qu’entretenaient les communautés respectives, on comprend comment par l’acquisition de la citoyenneté française des uns (Juifs indigènes) au détriment des autres (Musulmans indigènes), la révolte des grandes tribus algériennes était inévitable. Un an avant, la guerre a été déclarée à la Prusse par Napoléon III et la Défense nationale semble n’être nullement décidée à la lutte contre les Prussiens. Devant l’atteinte au statut familial collectif, un pôle de spahis se constitue sur la base d’une solidarité subjective : ils refusent de reconnaître les nouveaux dirigeants du gouvernement de la Défense nationale. Au mois de décembre 1870, à Alger, le régiment de spahis refuse d’embarquer pour la France. En avril 1871, le Cheikh Mokrani prend la tête de la rébellion mais le 11 novembre 1871, le général Lacroix obtient sa reddition.
3L’Empire de Napoléon III fut remplacé par la République le 4 septembre 1870. Un gouvernement de la Défense nationale est constitué. De faux tribunaux d’exception dits « Conseils de guerre » sont installés dans les trois départements (Alger, Constantine, Oran), pour juger les délits commis pendant la période insurrectionnelle. L’instruction des insurgés donna lieu à diverses interprétations. Comme on ne pouvait pas agir de la même façon vis-à-vis des collectivités, on réunit le même acte d’accusation pour 213 individus parmi lesquels les « grands chefs ». Pour produire sur le jury une impression défavorable (aux accusés), il fallait que le parquet général présente les insurgés comme des malfaiteurs ordinaires, chefs d’assassins, incendiaires, pillards et voleurs. Un nouveau journal (le Mobacher) exploita une certaine vision totalement négative du nationalisme arabe naissant et de la religion musulmane. La propagande fut dirigée contre les insurgés qu’on qualifiait de bandits, d’assassins ou de rebelles.
4L’exemple de la condamnation de Boumezreg qui remplaça son frère El Mokrani (après la mort de ce dernier au combat) à la tête de l’insurrection de 1871, mérite d’être cité, car le procès de ce chef berbère avait provoqué beaucoup de remous. En effet, le faux jugement fit réagir les juristes français de la métropole ; certains montrèrent même leur ferme désaccord en révélant que sa condamnation avait été prise avant sa comparution devant la Cour d’assises. Il sera pourtant jugé coupable et condamné à la déportation avec les autres insurgés. Ceux-ci sont dirigés sur la France et internés dans les ports côtiers (fort de Toulon, îles Porquerolles, île Saint Marguerite, fort de Saint-Martin-de-Ré, fort de Brest, en Corse à Calvi et à Corte).
2- La déportation des Maghrébins en Nouvelle-Calédonie
1 Cf. "Etablissement généalogique des premières listes des mouvements de Maghrébins condamnés au bagn (...)
5Nombre de documents relatifs à la déportation en général ont été endommagés que ce soit en Métropole (durant la Seconde Guerre mondiale) ou en Nouvelle-Calédonie (inondations). Pour identifier les déportés politiques originaires du Maghreb, il nous a semblé nécessaire de faire un travail comparatif, à partir des différentes archives, entre les registres de la déportation et les registres des lieux de détention. Par ailleurs, les jugements des Conseils de guerre et des cours des assises étant parfois longs, les déportés durent attendre plusieurs mois avant leur embarquement dans les convois destinés à la Nouvelle-Calédonie. C’est la raison pour laquelle, ces prisonniers furent internés dans les dépôts ou lieux de détention avant leurs départs définitifs. Fort heureusement, c’est précisément dans les fonds d’archives des lieux d’internements que nous avons pu répertorier l’origine et la naissance de chacun des condamnés Maghrébins ainsi que leurs dates d’embarquements, convoi maritime par convoi maritime, vers la Nouvelle-Calédonie1.
2 Il s’agit de ne pas négliger ces autres condamnés, probablement à l’origine d’une longue résistance (...)
6Chronologiquement, les premiers convois de transportés maghrébins en Nouvelle-Calédonie s’effectuent à partir de 1867. Nous y avons comptabilisé un total de 178 condamnés sous le régime des droits communs. Ces premiers déportés font partie de l’insurrection des Ouled Sidi Cheikh de 1864. Nous identifions ensuite les déportés politiques à la suite de l’insurrection de Kabylie en 1871 et d’El Amri (Biskra) en 1876 : 120 embarqués dans les convois entre les périodes 1874 et 1878. Condamnés aux travaux forcés ou à la réclusion, on applique à ces insurgés politiques la loi du 23 Mars 1872 relative aux insurgés de la Commune de Paris de 1871. D’autres convois comprendront de nouveaux déportés politiques à la suite de l’insurrection du Sud oranais de 1881-1882 (Bouamama de nouveau, fractions Gharaba et Cherraga). Ils forment un total de 13 embarqués dans les convois qui suivront entre 1881 et 1882. Seront déportés ensuite 12 Tunisiens entre 1890 et 1892, à la suite de l’insurrection du Sud tunisien (Djerid/Taberka) en 1881, dont certains nés ou demeurant en Algérie pendant le développement insurrectionnel de 1871. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’il faut noter que le Sud algérien a joué un rôle croissant à partir du Djerid tunisien. Jugés sous le régime des droits communs par le Conseil de guerre de Tunis et la Cour d’assises de Tunis, les motifs principaux de leur condamnation seront le rejet du pouvoir français en Tunisie et l’insubordination. D’autres convois suivront la déportation des Tunisiens. Les archives nous signalent en effet un certain nombre de prisonniers algériens destinés au bagne calédonien. Ces derniers seront enregistrés sous leurs numéros d’écrou comme relégués. Ils feront partie des derniers convois effectués entre 1887 et 18952.
7L’organisation à bord des navires nous permet de nous intéresser à l’alimentation fournie aux condamnés. On observe par exemple que les Maghrébins n’ont pas pu s’adapter à une nourriture totalement européenne, celle-ci n’ayant pas encore introduit à l’époque les produits issus de l’arboriculture méditerranéenne. Ce comportement alimentaire faisait l’objet d’inquiétude de la part de l’administration pénitentiaire qui, du reste, s’efforçait de les satisfaire du mieux qu’elle pouvait.
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