Le changement climatique soulève des questions essentielles pour notre avenir : de quelle manière le climat va-t-il nous affecter ? Quelles sont nos plus grandes vulnérabilités ? Comment pouvons-nous nous adapter à ce changement global ?
Une façon d’aborder ces questions est de se tourner vers le passé. D’Aristote à Montesquieu, les philosophes ont questionné l’impact du climat dans l’histoire et sur la société. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, certains géographes ont embrassé les théories simplistes et souvent racistes du déterminisme climatique, ce qui, par la suite, a conduit de nombreux chercheurs à éviter le sujet. Mais à partir des années 1960, les travaux d’historiens pionniers tels qu’Emmanuel Le Roy Ladurie ont permis de forger une base beaucoup plus solide pour la compréhension du climat passé et de son impact sur l’histoire. Ces chercheurs ont retrouvé des documents écrits systématiques tels que journaux météorologiques et dates de vendanges, permettant de mieux comprendre le climat et le temps dans les siècles passés, en particulier en Europe.
Aujourd’hui, les préoccupations liées au réchauffement climatique inspirent de nouvelles recherches. Elles visent non seulement à mesurer et modéliser les modifications contemporaines du climat, mais aussi à reconstruire les climats du passé. Les mesures instrumentales fiables ne remontent qu’à un siècle ou deux dans la plupart du monde. Des reconstructions à plus long terme ne peuvent donc se faire qu’à l’aide de ce qu’on appelle des « proxies climatiques »*. Outre les anneaux des arbres, les climatologues peuvent utiliser des carottes glaciaires, des spéléothèmes (stalactites et stalagmites), des coraux et des dépôts sédimentaires provenant de fonds de lacs pour reconstituer les différents aspects du climat passé. En combinant documents écrits et indicateurs physiques, les chercheurs sont maintenant mieux placés pour comprendre les changements climatiques passés et leur rôle dans l’histoire.
Il y a 2,5 millions d’années
Quand le monde était froid et sec
Les hommes n’ont pas toujours vécu dans le climat que nous connaissons aujourd’hui. Notre espèce a évolué au cours de la dernière période glaciaire du Pléistocène, débutant il y a environ 2,5 millions d’années, quand le monde était beaucoup plus froid et sec. Lorsque l’âge glaciaire a commencé à céder la place à la période interglaciaire actuelle (Holocène), il y a de cela environ 18 000 ans, la Terre a subi des fluctuations climatiques considérables. Une légère modification de l’orbite terrestre s’est traduite par un ensoleillement plus direct en été dans l’hémisphère nord. Les calottes polaires couvrant une grande partie de l’Amérique du Nord et de l’Eurasie ont fondu, exposant plus de terres. Comme la glace renvoie la lumière du soleil alors que la terre l’absorbe, la diminution des surfaces de glace et l’accroissement des surfaces terrestres ont accéléré le réchauffement, dans un phénomène de rétroaction. Cependant, l’apport massif d’eaux froides dû à la fonte des glaces se déversant dans l’Atlantique nord provoqua à plusieurs reprises l’arrêt du Gulf Stream. Le dernier de ces événements dits « événements de Heinrich » était le Dryas récent (il y a environ 12 800-11 500 ans), quand la planète est revenue brièvement à des conditions d’âge glaciaire.
Ces fluctuations ont eu de grandes conséquences à la fois sur l’environnement et sur les modes de vie des hommes. Durant la majeure partie de l’histoire humaine, un climat froid et incertain avait rendu l’agriculture et le développement d’établissements sédentaires difficiles, voire impossibles. Sur une bonne partie de la Terre, les hommes survivaient grâce à la chasse au gros gibier, tel que les mammouths, dans des paysages de toundra. Le monde se réchauffant, les populations humaines augmentèrent et se propagèrent sur de nouveaux territoires, atteignant les Amériques il y a environ 15 000 ans. Les grands mammifères et les populations d’oiseaux se révélèrent particulièrement vulnérables à la prédation humaine. On pense maintenant que la combinaison des modifications climatiques et de la chasse a conduit à l’extinction de dizaines d’espèces de la mégafaune en Eurasie et dans les Amériques.
Il y a environ 11 000 ans
Les débuts de l’agriculture
Dans le même temps, le réchauffement du monde permit d’établir des villages permanents et de trouver de nouvelles sources de nourriture. Les sociétés développèrent de nouvelles techniques de pêche et de chasse au petit gibier, ainsi que des moyens pour stocker et transformer de nouveaux aliments. Les chercheurs restent divisés quant à la manière exacte dont le changement climatique a influencé les débuts de l’agriculture, dont les premières traces au Proche-Orient remontent à au moins 11 000 ans. Certains pensent que l’agriculture est venue en réponse aux pressions démographiques et aux conditions de vie difficiles pendant le Dryas récent. D’autres soutiennent que le climat devait d’abord se stabiliser pour rendre possible la domestication des plantes.
Depuis le début de l’Holocène, il y a 11 700 années, le climat mondial a connu d’autres variations naturelles, de moindre importance mais toujours significatives. Par exemple, les archéologues ont découvert ce qui semble avoir été une sécheresse mondiale majeure, il y a environ 8 200 ans (peut-être un petit « événement de Heinrich » – voir ci-dessus). Puis dans la période allant approximativement de 6 000 à 5 000 ans s’est déroulée la « transition de l’Holocène moyen » : les pluies de mousson d’été ont décru sous les latitudes tempérées, provoquant une aridité accrue dans de vastes régions, depuis l’Afrique du Nord jusqu’à la Chine du Nord. Certains archéologues ont suggéré que ces changements avaient pu être à l’origine de migrations vers des vallées fertiles, encourageant la montée en puissance d’empires tels que les Sumériens ou l’Égypte pharaonique.
De 2200 av. J.-C. au XIVe siècle
Effondrements civilisationnels
Il y a près de 4 200 ans, un épisode de sécheresse majeur se produisit dans la même région, causant probablement l’effondrement de l’Ancien Empire d’Égypte et de l’Empire akkadien. D’autres archéologues ont aussi avancé l’idée d’une sécheresse importante dans les régions méditerranéennes il y a quelque 3 200 ans pour expliquer « la crise de l’âge du bronze tardif », lorsque des « peuples de la mer » détruisirent l’Empire hittite et tentèrent d’envahir l’Égypte.
Des catastrophes climatiques jouèrent aussi un rôle dans l’« effondrement » de différents empires, antiques et médiévaux. Certaines sont liées à l’éruption de grands volcans, qui projetèrent poussières et gaz dans la haute atmosphère, provoquant un refroidissement mondial et modifiant les cycles de précipitations. Par exemple, une éruption majeure dans les années 530 apr. J.‑C. contribua probablement à une famine dans le monde byzantin, et à la propagation de la « peste de Justinien » qui causa des millions de victimes, rendant plus tard l’Empire vulnérable aux invasions arabes. D’autres éruptions suivies de périodes de refroidissement ont probablement contribué à de graves sécheresses pendant le pic de la civilisation maya au Mexique du Sud et en Amérique centrale à la fin du IXe siècle. Si les causes de l’effondrement maya restent débattues, il est très probable que le climat y a joué un rôle important.
D’autres catastrophes climatiques ont été liées à des manifestations extrêmes du phénomène El Niño/oscillation australe (ENSO)*. Historiquement, des épisodes El Niño sévères ou récurrents ont apporté sécheresses et famines à une grande partie de l’Asie. Des anomalies de ce phénomène ENSO au XIVe et au début du XVe siècle participèrent à la désintégration de la puissante civilisation d’Angkor au Cambodge.
La disparition dramatique d’empires lointains a fait l’objet de publications historiques à succès, comme le livre Effondrements de Jared Diamond. Toutefois, dans ces cas où il n’y a pas ou peu de documents écrits, les exemples décrits ne peuvent être que des récits édifiants qui nous avertissent que le changement climatique peut être dangereux. Mais ils ne nous disent pas grand-chose sur la façon dont les populations ont réagi aux changements, ou sur la différence qu’auraient pu faire leurs choix. Pour en savoir plus sur les questions importantes que sont la vulnérabilité, l’adaptation et la résilience humaines, les historiens doivent aussi examiner plus attentivement les cas plus récents et bien documentés de changement climatique.
Une façon d’aborder ces questions est de se tourner vers le passé. D’Aristote à Montesquieu, les philosophes ont questionné l’impact du climat dans l’histoire et sur la société. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, certains géographes ont embrassé les théories simplistes et souvent racistes du déterminisme climatique, ce qui, par la suite, a conduit de nombreux chercheurs à éviter le sujet. Mais à partir des années 1960, les travaux d’historiens pionniers tels qu’Emmanuel Le Roy Ladurie ont permis de forger une base beaucoup plus solide pour la compréhension du climat passé et de son impact sur l’histoire. Ces chercheurs ont retrouvé des documents écrits systématiques tels que journaux météorologiques et dates de vendanges, permettant de mieux comprendre le climat et le temps dans les siècles passés, en particulier en Europe.
Aujourd’hui, les préoccupations liées au réchauffement climatique inspirent de nouvelles recherches. Elles visent non seulement à mesurer et modéliser les modifications contemporaines du climat, mais aussi à reconstruire les climats du passé. Les mesures instrumentales fiables ne remontent qu’à un siècle ou deux dans la plupart du monde. Des reconstructions à plus long terme ne peuvent donc se faire qu’à l’aide de ce qu’on appelle des « proxies climatiques »*. Outre les anneaux des arbres, les climatologues peuvent utiliser des carottes glaciaires, des spéléothèmes (stalactites et stalagmites), des coraux et des dépôts sédimentaires provenant de fonds de lacs pour reconstituer les différents aspects du climat passé. En combinant documents écrits et indicateurs physiques, les chercheurs sont maintenant mieux placés pour comprendre les changements climatiques passés et leur rôle dans l’histoire.
Il y a 2,5 millions d’années
Quand le monde était froid et sec
Les hommes n’ont pas toujours vécu dans le climat que nous connaissons aujourd’hui. Notre espèce a évolué au cours de la dernière période glaciaire du Pléistocène, débutant il y a environ 2,5 millions d’années, quand le monde était beaucoup plus froid et sec. Lorsque l’âge glaciaire a commencé à céder la place à la période interglaciaire actuelle (Holocène), il y a de cela environ 18 000 ans, la Terre a subi des fluctuations climatiques considérables. Une légère modification de l’orbite terrestre s’est traduite par un ensoleillement plus direct en été dans l’hémisphère nord. Les calottes polaires couvrant une grande partie de l’Amérique du Nord et de l’Eurasie ont fondu, exposant plus de terres. Comme la glace renvoie la lumière du soleil alors que la terre l’absorbe, la diminution des surfaces de glace et l’accroissement des surfaces terrestres ont accéléré le réchauffement, dans un phénomène de rétroaction. Cependant, l’apport massif d’eaux froides dû à la fonte des glaces se déversant dans l’Atlantique nord provoqua à plusieurs reprises l’arrêt du Gulf Stream. Le dernier de ces événements dits « événements de Heinrich » était le Dryas récent (il y a environ 12 800-11 500 ans), quand la planète est revenue brièvement à des conditions d’âge glaciaire.
Ces fluctuations ont eu de grandes conséquences à la fois sur l’environnement et sur les modes de vie des hommes. Durant la majeure partie de l’histoire humaine, un climat froid et incertain avait rendu l’agriculture et le développement d’établissements sédentaires difficiles, voire impossibles. Sur une bonne partie de la Terre, les hommes survivaient grâce à la chasse au gros gibier, tel que les mammouths, dans des paysages de toundra. Le monde se réchauffant, les populations humaines augmentèrent et se propagèrent sur de nouveaux territoires, atteignant les Amériques il y a environ 15 000 ans. Les grands mammifères et les populations d’oiseaux se révélèrent particulièrement vulnérables à la prédation humaine. On pense maintenant que la combinaison des modifications climatiques et de la chasse a conduit à l’extinction de dizaines d’espèces de la mégafaune en Eurasie et dans les Amériques.
Il y a environ 11 000 ans
Les débuts de l’agriculture
Dans le même temps, le réchauffement du monde permit d’établir des villages permanents et de trouver de nouvelles sources de nourriture. Les sociétés développèrent de nouvelles techniques de pêche et de chasse au petit gibier, ainsi que des moyens pour stocker et transformer de nouveaux aliments. Les chercheurs restent divisés quant à la manière exacte dont le changement climatique a influencé les débuts de l’agriculture, dont les premières traces au Proche-Orient remontent à au moins 11 000 ans. Certains pensent que l’agriculture est venue en réponse aux pressions démographiques et aux conditions de vie difficiles pendant le Dryas récent. D’autres soutiennent que le climat devait d’abord se stabiliser pour rendre possible la domestication des plantes.
Depuis le début de l’Holocène, il y a 11 700 années, le climat mondial a connu d’autres variations naturelles, de moindre importance mais toujours significatives. Par exemple, les archéologues ont découvert ce qui semble avoir été une sécheresse mondiale majeure, il y a environ 8 200 ans (peut-être un petit « événement de Heinrich » – voir ci-dessus). Puis dans la période allant approximativement de 6 000 à 5 000 ans s’est déroulée la « transition de l’Holocène moyen » : les pluies de mousson d’été ont décru sous les latitudes tempérées, provoquant une aridité accrue dans de vastes régions, depuis l’Afrique du Nord jusqu’à la Chine du Nord. Certains archéologues ont suggéré que ces changements avaient pu être à l’origine de migrations vers des vallées fertiles, encourageant la montée en puissance d’empires tels que les Sumériens ou l’Égypte pharaonique.
De 2200 av. J.-C. au XIVe siècle
Effondrements civilisationnels
Il y a près de 4 200 ans, un épisode de sécheresse majeur se produisit dans la même région, causant probablement l’effondrement de l’Ancien Empire d’Égypte et de l’Empire akkadien. D’autres archéologues ont aussi avancé l’idée d’une sécheresse importante dans les régions méditerranéennes il y a quelque 3 200 ans pour expliquer « la crise de l’âge du bronze tardif », lorsque des « peuples de la mer » détruisirent l’Empire hittite et tentèrent d’envahir l’Égypte.
Des catastrophes climatiques jouèrent aussi un rôle dans l’« effondrement » de différents empires, antiques et médiévaux. Certaines sont liées à l’éruption de grands volcans, qui projetèrent poussières et gaz dans la haute atmosphère, provoquant un refroidissement mondial et modifiant les cycles de précipitations. Par exemple, une éruption majeure dans les années 530 apr. J.‑C. contribua probablement à une famine dans le monde byzantin, et à la propagation de la « peste de Justinien » qui causa des millions de victimes, rendant plus tard l’Empire vulnérable aux invasions arabes. D’autres éruptions suivies de périodes de refroidissement ont probablement contribué à de graves sécheresses pendant le pic de la civilisation maya au Mexique du Sud et en Amérique centrale à la fin du IXe siècle. Si les causes de l’effondrement maya restent débattues, il est très probable que le climat y a joué un rôle important.
D’autres catastrophes climatiques ont été liées à des manifestations extrêmes du phénomène El Niño/oscillation australe (ENSO)*. Historiquement, des épisodes El Niño sévères ou récurrents ont apporté sécheresses et famines à une grande partie de l’Asie. Des anomalies de ce phénomène ENSO au XIVe et au début du XVe siècle participèrent à la désintégration de la puissante civilisation d’Angkor au Cambodge.
La disparition dramatique d’empires lointains a fait l’objet de publications historiques à succès, comme le livre Effondrements de Jared Diamond. Toutefois, dans ces cas où il n’y a pas ou peu de documents écrits, les exemples décrits ne peuvent être que des récits édifiants qui nous avertissent que le changement climatique peut être dangereux. Mais ils ne nous disent pas grand-chose sur la façon dont les populations ont réagi aux changements, ou sur la différence qu’auraient pu faire leurs choix. Pour en savoir plus sur les questions importantes que sont la vulnérabilité, l’adaptation et la résilience humaines, les historiens doivent aussi examiner plus attentivement les cas plus récents et bien documentés de changement climatique.
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