Par le Professeur Djamil Aïssani
Il est communément admis que le début du mouvement soufi à Béjaïa date de la deuxième moitié de XIIe siècle, époque de Sidi Boumediene.
PUBLIE LE : 03-07-2014 | 0:00
Il est communément admis que le début du mouvement soufi à Béjaïa date de la deuxième moitié de XIIe siècle, époque de Sidi Boumediene. Cependant, nous avons montré que la période bougiote de la deuxième moitié du XIe siècle ne pouvait pas être dissociée de ce qui s'est passé à la Qal'a des Bani-Hammad. En effet, les princes hammadites y habitent encore et sa réputation comme foyer intellectuel est à son apogée. C'est ce qui nous a amené à parler de «mille ans de pensée soufie en Kabylie».
L'objectif de ce travail est de cerner le cadre et de préciser le contexte dans lequel a évolué le soufisme à Béjaïa et sa région à l’époque médiévale. II s'agit d'essayer de comprendre si ces aspects ont eu une quelconque influence sur certaines des célèbres étapes du dialogue islamo-chrétien en rapport avec la ville de Béjaïa, à savoir les questions siciliennes de l'empereur Frédérick II, l'influence de la pensée d'Ibn Sab'in et les disputes du philosophe catalan Raymond Lulle (1307).
I. Début du soufisme :
l’époque hammâdite (XIe -XIIe siècles)
La principale autorité intellectuelle de la Qal'a était Ibn Nahwi (434h./1042-513h./1119), dont l'influence sur Béjaïa s'est faite de deux façons. Localement par son disciple et continuateur Abou Imran Mousa. A l'échelle maghrébine ensuite, à travers son disciple Ibn Hirzihim qui deviendra le maître de Sidi Boumediene à Fes.
a) Le mysticisme à la Qal'a
Après un séjour a Kairouan, Ibn Nahwi s'était définitivement installé à la fin du XIe siècle. On possède de lui un poème mystique, al-munfaridja (soulagement après une épreuve (mihna)» et qui a fait l'objet d'une dizaine de commentaires. Dans ce poème, Ibn Nahwi énumère ce que doit faire le musulman pour être soulagé de la mihna. Selon A. Amara, al-munfaridja reflète la tension permanente qui a existé entre le pouvoir qui tentait de s'imposer au nom de la religion et le monde des soufis qui contestèrent la politique de ce pouvoir en matière de gouvernement. Après la mort d'Ibn Nahwi, plusieurs ouléma (érudits) de Béjaïa adhèrent à ses idées : Aboul-Al-hassan Ali b. Aboul-nasr Fath b. Abdallah al-Bija'i (né à Béjaïa en 506h.11112), Abou-Allah Mohammad b. Al-Muwaffaq al-Bija'i. Il en est de même de Sidi Yahia Zakariya, qui se déplaça à la Qal'a pour fréquenter les disciples du maître.
Soulignons néanmoins que la plupart de ces ouléma ont vécu à époque almohade. En effet, A. Amara a effectué un dépouillement des sources biographiques, chronologiques et juridiques de la dynastie hammadite. Il a ainsi recensé 234 personnalités appartenant au monde des ouléma et une seule a été citée comme versée dans le tassawuf et le zouhd.
b) Béjaïa, capitale des Hammâdites
C'est en 1067 que la capitale du royaume des Hammadites a été transférée à Béjaïa. Elle devient alors l'un des centres culturels et scientifiques du Maghreb. C'est notamment dans cette cité que le célèbre mathématicien italien Fibonacci (1170-1240) s'est initié au système de numération, aux méthodes de calcul et aux techniques commerciales des pays de l'Islam.
La ville était un centre d'enseignement supérieur. Plusieurs centaines d'étudiants (dont beaucoup d'Européens) se pressaient dans les écoles et les mosquées ou enseignaient théologiens, juristes, philosophes et savants parmi les plus réputés du monde musulman. Cette cité avait notamment la particularité importante d'être un point de passage obligé. En fait, plus qu'un lieu de passage, elle apparaissait comme un lieu de rencontres. Mais ces rencontres ne se faisaient pas en circuit fermé et entraînaient des rapports de communautés. Rappelons ici que c'est à Béjaïa que le Mahdi Ibn Toumart déploya vers 1117 son activité réformatrice, notamment par sa prédication en langue berbère. Sa science et son austère vertu séduisaient, mais il se montra un censeur rigoureux des mœurs.
c) Structuration du milieu scientifique
Au moyen-âge, la structuration du milieu scientifique était indissociable de celle du monde des ouléma. En ce qui concerne le XIIIe siècle, D. Urvoy propose une analyse intéressante en se basant sur l'ouvrage bio-bibliographique d'A1-Ghobrini. Cet ouvrage est la source la plus complète sur les savants de Bougie. Il contient notamment 108 personnalités célèbres des XIIe et XIIIe siècles.
Sur la base de cet ouvrage, D. Urvoy fait un graphique sur l'articulation d'un certain nombre d'éléments entre eux. Il remplaça les relations individuelles par des ensembles et fait ressortir la présence de communautés. On voit notamment se constituer un groupe très important dont les membres, sous l'influence d'Al-Hirrali, s'intéressent aux mathématiques, aux sciences naturelles et aux différentes formes de spéculations : ousoul al-fiqh, kalam, falsafa, mantiq et tassawuf. Ibn Rabi' (m. 675h./1276) qui en est le centre, a suscité l'admiration d'Ibn Rab'i.
Il est communément admis que le début du mouvement soufi à Béjaïa date de la deuxième moitié de XIIe siècle, époque de Sidi Boumediene.
PUBLIE LE : 03-07-2014 | 0:00
Il est communément admis que le début du mouvement soufi à Béjaïa date de la deuxième moitié de XIIe siècle, époque de Sidi Boumediene. Cependant, nous avons montré que la période bougiote de la deuxième moitié du XIe siècle ne pouvait pas être dissociée de ce qui s'est passé à la Qal'a des Bani-Hammad. En effet, les princes hammadites y habitent encore et sa réputation comme foyer intellectuel est à son apogée. C'est ce qui nous a amené à parler de «mille ans de pensée soufie en Kabylie».
L'objectif de ce travail est de cerner le cadre et de préciser le contexte dans lequel a évolué le soufisme à Béjaïa et sa région à l’époque médiévale. II s'agit d'essayer de comprendre si ces aspects ont eu une quelconque influence sur certaines des célèbres étapes du dialogue islamo-chrétien en rapport avec la ville de Béjaïa, à savoir les questions siciliennes de l'empereur Frédérick II, l'influence de la pensée d'Ibn Sab'in et les disputes du philosophe catalan Raymond Lulle (1307).
I. Début du soufisme :
l’époque hammâdite (XIe -XIIe siècles)
La principale autorité intellectuelle de la Qal'a était Ibn Nahwi (434h./1042-513h./1119), dont l'influence sur Béjaïa s'est faite de deux façons. Localement par son disciple et continuateur Abou Imran Mousa. A l'échelle maghrébine ensuite, à travers son disciple Ibn Hirzihim qui deviendra le maître de Sidi Boumediene à Fes.
a) Le mysticisme à la Qal'a
Après un séjour a Kairouan, Ibn Nahwi s'était définitivement installé à la fin du XIe siècle. On possède de lui un poème mystique, al-munfaridja (soulagement après une épreuve (mihna)» et qui a fait l'objet d'une dizaine de commentaires. Dans ce poème, Ibn Nahwi énumère ce que doit faire le musulman pour être soulagé de la mihna. Selon A. Amara, al-munfaridja reflète la tension permanente qui a existé entre le pouvoir qui tentait de s'imposer au nom de la religion et le monde des soufis qui contestèrent la politique de ce pouvoir en matière de gouvernement. Après la mort d'Ibn Nahwi, plusieurs ouléma (érudits) de Béjaïa adhèrent à ses idées : Aboul-Al-hassan Ali b. Aboul-nasr Fath b. Abdallah al-Bija'i (né à Béjaïa en 506h.11112), Abou-Allah Mohammad b. Al-Muwaffaq al-Bija'i. Il en est de même de Sidi Yahia Zakariya, qui se déplaça à la Qal'a pour fréquenter les disciples du maître.
Soulignons néanmoins que la plupart de ces ouléma ont vécu à époque almohade. En effet, A. Amara a effectué un dépouillement des sources biographiques, chronologiques et juridiques de la dynastie hammadite. Il a ainsi recensé 234 personnalités appartenant au monde des ouléma et une seule a été citée comme versée dans le tassawuf et le zouhd.
b) Béjaïa, capitale des Hammâdites
C'est en 1067 que la capitale du royaume des Hammadites a été transférée à Béjaïa. Elle devient alors l'un des centres culturels et scientifiques du Maghreb. C'est notamment dans cette cité que le célèbre mathématicien italien Fibonacci (1170-1240) s'est initié au système de numération, aux méthodes de calcul et aux techniques commerciales des pays de l'Islam.
La ville était un centre d'enseignement supérieur. Plusieurs centaines d'étudiants (dont beaucoup d'Européens) se pressaient dans les écoles et les mosquées ou enseignaient théologiens, juristes, philosophes et savants parmi les plus réputés du monde musulman. Cette cité avait notamment la particularité importante d'être un point de passage obligé. En fait, plus qu'un lieu de passage, elle apparaissait comme un lieu de rencontres. Mais ces rencontres ne se faisaient pas en circuit fermé et entraînaient des rapports de communautés. Rappelons ici que c'est à Béjaïa que le Mahdi Ibn Toumart déploya vers 1117 son activité réformatrice, notamment par sa prédication en langue berbère. Sa science et son austère vertu séduisaient, mais il se montra un censeur rigoureux des mœurs.
c) Structuration du milieu scientifique
Au moyen-âge, la structuration du milieu scientifique était indissociable de celle du monde des ouléma. En ce qui concerne le XIIIe siècle, D. Urvoy propose une analyse intéressante en se basant sur l'ouvrage bio-bibliographique d'A1-Ghobrini. Cet ouvrage est la source la plus complète sur les savants de Bougie. Il contient notamment 108 personnalités célèbres des XIIe et XIIIe siècles.
Sur la base de cet ouvrage, D. Urvoy fait un graphique sur l'articulation d'un certain nombre d'éléments entre eux. Il remplaça les relations individuelles par des ensembles et fait ressortir la présence de communautés. On voit notamment se constituer un groupe très important dont les membres, sous l'influence d'Al-Hirrali, s'intéressent aux mathématiques, aux sciences naturelles et aux différentes formes de spéculations : ousoul al-fiqh, kalam, falsafa, mantiq et tassawuf. Ibn Rabi' (m. 675h./1276) qui en est le centre, a suscité l'admiration d'Ibn Rab'i.
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