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Des Algériens réclament un cimetière : analyse d'une crevasse

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    Des Algériens réclament un cimetière : analyse d'une crevasse


    par Kamel Daoud


    Lu dans un journal : les habitant d'Ali-Mendjeli (une cité) à Constantine réclament un cimetière. Fascinant. On devine que la cité, livrée dans le cadre de la politique du relogement, manque de tout : jardins, loisir, rire, air, plaisir, équipements et verdure, manque aussi de place pour mourir. Rien n'y a été prévu, ni l'espace de vie, ni celui de la mort. L'Algérie reloge mais sans plus. Habiter n'est pas occuper, c'est se refugier, se rétracter, se replier, fuir, s'isoler, couper le lien avec la communauté par la communauté. Reloger n'est pas civiliser mais se débarrasser du postulant. La même pensée traverse l'esprit du chroniqueur quand il voit les cités algériennes. Ce ne sont pas des architectures de cités de conquête, d'occupation de l'espace et d'affirmation de la présence de l'homme, mais des cellules de retraits vers soi, de refus. On ne construit pas, comme les Romains, les Egyptiens ou les autres civilisations et pays, pour «orner» l'espace et en jouir dans le collectif, mais pour fuir le collectif, briser le lien et tourner le dos. Les cités algériennes sont des ruches de solitude. Le régime construit pour reloger, pas pour qu'on habite le pays.

    C'est différent.

    D'où cet air qu'ont les cités algériennes post-indépendance : on attend longtemps, on fini par obtenir, on y habite puis on sombre dans l'hébétude et la bigoterie jusqu'à la mort. On n'y vit pas. Ce ne sont pas des espaces de vie mais de réclusions. Cela vient du fait que les pouvoirs publics construisent pour reloger, pas pour faire habiter. C'est aussi la conséquence de ce lien mort entre l'Algérien et l'espace public. Mais, au plus profond, cela nous vient d'un accident intime : l'espace, nous ne l'avons pas conquis pour y célébrer notre vision du monde, nos identités ou nos arts et donc notre présence au monde mais le contraire : notre absence au monde. Le logement est vu et vécu comme un cantonnement, une immobilisation, pas un mouvement de rencontre et une fondation de lien. On habite une cité pour ne pas se rencontrer, pas pour fonder la Cité au sens antique du terme. D'où ces étranges agglomération nées de l'argent du pétrole qui n'ont pas de forum, pas de «centre», pas d'espaces verts, pas de jardins ni lieux de rire et de fête. Et, vers le comble, qui n'ont même pas des espaces de mort. Les deux nécessités de l'urbanisme y font défaut : la sépulture et la fête.

    D'où cette fascinante anecdote de la cité Ali-Mendjeli : les habitants réclament un cimetière. Car, racontent-ils au journaliste, mourir est un calvaire. Car on ne sait pas où enterrer, que faire du corps. La Cité n'est ni espace de vie ni espace de mort. Un purgatoire. Un lieu entre les deux. Un bardo selon les Tibétains du Nord. Un lieu mort sans repos pour les morts. On a construit une cité avec l'idée que le but de l'Algérien est d'avoir un toit. Donc, qu'il ne va pas vivre ni mourir. Ni rire, ni finir. L'idée du bonheur n'est pas une priorité, ni celle du loisir, ni les autres rites de la vie. On prévoit le toit, pas la vie. Le décolonisateur a, pour le pays, la vision primaire de ses misères d'enfance : on loge l'Algérien, on lui remplit le ventre, il ne cirera pas des chaussures et il votera «oui» pour le FLN et ainsi de suite jusqu'à la fin du monde. Que pourra-t-il vouloir de plus ? Qu'y a-t-il à demander plus que de la semoule ou un toit quand on a le drapeau ?

    Donc on n'a pas prévu de cimetière à Ali-Mendjeli. On imagine le comble : des Algériens qui protestent puis en arrivent à couper une route pour avoir une fosse facile. La question est d'ailleurs posée : fera-t-on un jour une émeute pour réclamer un cimetière ? L'Algérien en arrivera-t-il à cette limite ?

    par Kamel Daoud


    Le Quotidien d'Oran
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

  • #2
    L'algérien découvre à quel point on pousse l'urbanisme politique. Tout est fait pour éviter la réunion de citoyens qui pourraient comploter contre le pouvoir en place.

    A Tizi-ouzou, j'ai vu un parking de cimetière transformé en décharge sauvage après que des citoyens l'aient utilisé pour une manifestation.

    .

    Commentaire


    • #3
      Jamais le Kamel Daoud n'aurais imaginé que par sont article il va transformer les cimetières en lieu de réunions et meetings politiques .


      A Tizi-ouzou, j'ai vu un parking de cimetière transformé en décharge sauvage après que des citoyens l'aient utilisé pour une manifestation.
      "Les petits esprits parlent des gens, les esprits moyens parlent des événements, les grands esprits parlent des idées, et les esprits supérieurs agissent en silence."

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