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Une Russie de moins en moins démocrate

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  • Une Russie de moins en moins démocrate

    L’empire rouge, celui de l’URSS, a été bâti par Staline, dont Lénine disait qu’il était un amateur de « plats épicés ». Aujourd’hui, c’est Poutine qui nous cuisine son plat épicé. Les étagères vides dans les magasins et les queues pour le papier toilette font désormais partie du passé, mais l’aisance n’a pas mené à la démocratie, elle a fait ressurgir un état d’esprit impérialiste. Le rêve russe, c’est d’être un grand empire et d’inspirer la peur. Les interviews éclair que j’ai réalisées dans les rues de Moscou se terminaient toujours de la même façon : « D’abord, ça a été les Jeux olympiques de Sotchi, ensuite, on a repris la Crimée. Et maintenant, on a gagné le championnat de hockey ! » Une plaisanterie populaire : « Tout le monde pensait que la Russie était à genoux, et pendant ce temps-là, elle était en train de lacer ses rangers… »

    On a répété pendant vingt ans que l’on construisait un pays occidental, mais la fine couche de libéralisme a disparu en un clin d’œil. Fini de jouer à l’Occident. L’Occident manque de sensibilité, il est pragmatique, alors que la Russie, elle, c’est la bonté, la spiritualité. L’Occident est en pleine dégénérescence, et Poutine endosse le rôle de défenseur des valeurs traditionnelles.

    La Russie est maintenant un pays fondamentaliste. Il est dangereux de reconnaître que l’on est athée et d’entamer une discussion là-dessus. Des brigades de volontaires traquent les homosexuels dans les rues, ils les tabassent. Ils peuvent même aller jusqu’à les tuer. Une campagne pour interdire les McDonald’s a commencé sur Internet. En quelques jours, des dizaines de milliers de signatures ont été recueillies. Les patriotes incitent à prendre ses vacances uniquement en Russie, et l’Etat promet de verser une somme non négligeable à ceux qui iront passer leurs congés en Crimée.

    L’amour pour cette nouvelle Russie poutinienne se paie avec de l’argent. Il est déjà devenu suspect de parler des langues étrangères, et ne pensez plus à la Sorbonne, faites vos études chez nous ! On s’emploie à restreindre les voyages des chercheurs russes à l’étranger. Le Parlement a adopté une loi spéciale interdisant l’adoption d’orphelins russes par des étrangers – même des enfants malades, qui vont végéter dans nos orphelinats où l’on manque souvent de choses aussi élémentaires que l’iode et les bandes velpeau.

    L’EURASIE EST À LA MODE

    Il est vrai que les parlementaires, eux, se font soigner à l’étranger, qu’ils envoient leurs enfants étudier dans les universités occidentales, qu’ils cachent leur argent dans des banques occidentales, et qu’ils achètent des biens immobiliers là-bas. Le peuple et les dirigeants vivent dans des pays différents.

    La Russie se tourne vers l’Orient. L’Eurasie est à la mode. Une Union eurasienne, pour contrebalancer l’Union européenne. Nous ne sommes plus l’Europe. A la télévision, on voit tous les jours des émissions sur la Chine. Maintenant, elle est une alliée de la Russie. Depuis un an, les opinions favorables à la Chine ont augmenté de 40 %.

    Le Kremlin déclare ouvertement que l’Occident a toujours été et reste toujours le principal ennemi de la Russie. On l’accuse de tout : de la chute de l’URSS, de la catastrophe de Tchernobyl, du naufrage du Koursk, le sous-marin nucléaire. Même Internet, ce sont les services secrets occidentaux qui l’ont inventé. Quant au dollar, c’est un bout de papier qui ne vaut rien. Et la Crimée est à nous !

    La Russie a lancé un défi au monde, et elle devient le lieu de ralliement de toutes les forces antioccidentales. Ses arguments : l’arme atomique et les ressources énergétiques. Son triomphe lui monte à la tête, elle fait penser aujourd’hui à la société allemande des années 1930. Selon les derniers sondages, 71 % de la population reconnaît être plutôt hostile au monde occidental, surtout à l’Amérique.

    Une nouvelle vague d’émigration a commencé, la plus massive depuis la chute de l’URSS. Ce sont les meilleurs qui s’en vont, ceux qui croyaient construire une Russie européenne dans laquelle ils voulaient vivre. S’ils ne partent pas eux-mêmes, ils envoient leurs enfants à l’étranger. Et il est de plus en plus fréquent de rencontrer dans les écoles et les hôpitaux moscovites des enseignants et des médecins tadjiks ou ouzbeks. Les enseignants et les médecins russes sont partis.

    « IL N'Y A QUE LES TRAÎTRES POUR QUITTER LA RUSSIE »

    Pas besoin de lire les journaux, il suffit d’écouter les gens dans les queues devant les consulats européens à Moscou pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Russie. Je leur ai posé l’éternelle question russe : « Que faire ? » Tout le monde m’a répondu : « C’est le moment de filer. » « Dans les années 1990, on rêvait de faire de la Russie un pays occidental, m’a dit un autre. Moi, je travaillais à l’association Mémorial, on recueillait la terrible vérité sur les répressions staliniennes. Mais maintenant, personne n’a besoin de ça. On veut rendre le nom de Stalingrad à la ville de Volgograd. » Un autre Russe : « L’homme à poigne qui va restaurer l’empire est de nouveau à la mode. Je vis cela comme une défaite. »

    « Je pars parce que je suis lesbienne, m’explique une femme. Mon amie et moi, nous avons deux enfants. Je ne veux pas qu’on nous les prenne pour les mettre dans un orphelinat. » « Mon père est antioccidental, il dit qu’en ce moment il n’y a que les traîtres pour quitter la Russie, décrit un Moscovite. Mais moi, je le déteste, ce plus grand pays du monde, je déteste ce peuple d’esclaves qui va à l’église et fait des signes de croix, alors qu’il vole et qu’il tue. J’ai écrit sur ma page Facebook que j’étais pour Maïdan. Vous ne pouvez pas savoir les torrents de boue et de haine qui se sont déversés sur moi ! Pour l’instant, cela se passe seulement sur Facebook, mais cela ne va pas tarder à se répandre dans la rue. J’ai peur qu’il y ait une guerre civile… »

    Au lieu de la paix, nous choisissons la guerre. Au lieu de l’avenir, nous choisissons le passé. Pendant que je terminais cet article, le téléphone a sonné. « J’ai lu tes livres. Tes articles. J’ai vu comment tu traînais la Russie dans la boue. Vous êtes une « cinquième colonne » ! Espèces de traîtres ! On se souviendra de chacun de vous ! Votre heure va bientôt sonner ! »

    J’ai raccroché et je suis allée à la fenêtre. J’avais l’impression que tout avait commencé…

    Traduit du russe par Sophie Benech

    Svetlana Alexievitch (Ecrivain, journaliste)

    Le Monde
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

  • #2
    vivement un autre ennemi , que les arabes se fassent oublier ....... et surtout , qu'ils évitent de choisir un camp cette fois .
    " Je me rend souvent dans les Mosquées, Ou l'ombre est propice au sommeil " O.Khayaâm

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